Naissance de Jésus — Noël —

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Naissance de Jésus
— Noël —

Il y avait environ quatre mille ans que le monde subsistait, et les oracles des prophètes sur ce qui devait précéder la venue du Messie, se trouvaient vérifiés, lorsque Jésus-Christ, vrai Fils de Dieu, se revêtit de notre nature, et naquit de la vierge Marie, pour sauver le genre humain. Dieu , depuis la chute d'Adam et d'Ève, n'avait cessé de réitérer ses promesses relativement à l'incarnation de son Verbe, et la manière dont sa providence disposait tous les événement, conduisait par degrés à l'accomplissement de cet adorable mystère.

Si l'homme eût été rétabli en grâce immédiatement après son péché, il n'aurait pas compris suffisamment la profondeur de ses plaies, il ne se serait pas formé une juste idée des misères qui étaient la suite de sa prévarication. D'un autre côté, Dieu, en le sauvant ainsi, n'aurait point fait éclater d'une manière si admirable sa puissance et sa miséricorde. L'homme fut donc abandonné à sa faiblesse et à son aveuglement, mais avec la promesse d'une rédemption future, et avec des secours suffisants pour quiconque ne fermait pas volontairement les yeux à la lumière qui l'éclairait; D'ailleurs, Dieu suscita dans tous les temps de fidèles adorateurs de son nom ; et quand la plupart des peuples, aveuglés par leurs passions, méconnurent Celui qui les avaient créés, et divinisèrent les objets les plus vils ou les plus criminels, il choisit un peuple particulier parmi lequel il conserva les dogmes primitifs de la religion, et auquel il révéla l'espèce de culte qu'on devait lui rendre. Plusieurs s'y sauvèrent par la foi au Rédempteur promis, et par l'espérance en ses mérites futurs. Les Saints qu'on vit paraître au milieu de ce peuple, ne cessaient de solliciter par leurs soupirs et leurs larmes la venue du Désiré de toutes les nations ; et par la vivacité de leur ferveur, ils se disposaient eux-mêmes à recevoir le fruit de sa rédemption, et ils accéléraient, autant qu'il était en eux, l'effet des miséricordes du Seigneur.

Dieu, dont la sagesse conduit peu à peu les choses à la perfection, ne fit pas connaître tout à coup le mystère de la réparation du genre humain. Il promit un Sauveur à Adam, et lui communiqua sur ce point une certaine mesure de connaissance. Il renouvela la même promesse à Abraham, mais en la restreignant à sa postérité. Il la confirma à Isaac et à Jacob. La dernière prophétie du second de ces patriarches, la fixa dans la tribu de Juda. Dieu déclara depuis expressément qu'elle appartenait à la postérité de David et de Salomon ; ce qui fut répété par tous les prophètes qui parurent ensuite. Ces prophètes entrent dans le détail de circonstances particulières qui devaient accompagner la naissance, la vie et la mort de Jésus-Christ ; ils insistent sur le règne spirituel qu'il exercerait un jour dans son Église ; toute la loi mosaïque offre une foule de figures qui se rapportent aux mêmes objets, ou qui y font allusion. Plus la venue du Messie approchait, plus la révélation de ce mystère s'éclaircissait. La prophétie dans laquelle il est dit qu'on changera les épées en socs de charrues, et les lances en faux, exprimait que la paix profonde dont le monde jouirait, était l'emblème du prince de paix. Jacob en prédisant que le sceptre serait ôté à la tribu de Juda, désignait l'établissement du règne spirituel du Messie, qui ne devait jamais finir. Suivant Aggée et Malachie, le Messie devait paraître pendant que subsistait le second temple, rebâti après le retour de la captivité. Daniel prédit quatre grandes monarchies qui devaient se succéder sans interruption, et dont les premières seraient détruites par la dernière. Ces monarchies, désignées par des caractères distinctifs, étaient celles des Mèdes, des Perses, des Grecs et des Romains. Les soixante-dix semaines d’années, également prédites par Daniel, déterminent le temps de la venue et de la mort du Messie. Depuis l'ordre donné par Artaxercès-Longue-Main de rebâtir Jérusalem, jusqu'à la fin de ce travail entrepris et continué dans des temps difficiles, les sept premières semaines devaient s'écouler ; en y ajoutant les soixante-deux qui s'écoulèrent depuis, on en avait soixante-neuf, temps marqué pour la manifestation du Christ, qui devait mourir au milieu de la soixante-dixième, et dont la mort devait être suivie de la ruine de Jérusalem et de celle du temple. Le Christ, en mourant, devait encore expier l’iniquité, établir le règne de la justice éternelle, accomplir les visions et les prophéties.

Les Gentils même avaient quelque connaissance de cet événement ; elle pouvait leur venir de la prédiction de Balaam, qui avait annoncé qu'une étoile se lèverait de Jacob. Lorsque Jésus-Christ parut sur la terre, on attendait dans tout l'Orient un Libérateur du genre humain. Les historiens sont formels sur ce point. « Il s'était répandu dans tout l'Orient, dit Suétone, une opinion ancienne et constante, qu'en ce temps-là, par un arrêt du destin, des conquérants sortis de la Judée, seraient les maîtres du monde. Plusieurs , suivant Tacite, étaient persuadés qu'il était écrit dans les anciens livres des prêtres, qu'en ce temps-là l'Orient reprendrait la supériorité, et que des hommes sortis de la Judée seraient les maîtres du monde. » L'historien Josèphe prit de là occasion d’avancer, pour flatter Vespasien, que ce prince était le Messie prédit par les prophètes. Il y eut aussi parmi les Juifs plusieurs imposteurs qui prirent ce titre, et dans ce siècle et dans le suivant : ce qui prouve qu'ils attendaient le Messie dans le temps dont il s'agit. Quelques-uns de ces imposteurs eurent quelque temps un grand nombre de disciples, nommément Barkokebas, qui acheva de perdre sa nation sous Adrien.

Lorsque le Sauveur naquit, les soixante-dix semaines de Daniel touchaient à leur fin ; le sceptre n'était plus dans la maison de Juda , soit qu'on entende par-là la tribu de ce nom, ou toute la nation juive dont cette tribu faisait une partie considérable. A la vérité, Hérode professait le judaïsme ; mais il était Iduméen de naissance. Antipas, son père, lequel prit le nom d'Antipater qui était Grec, avait été fait gouverneur de l'Idumée par le Roi Alexandre Jannée. Nous apprenons ces particularités de Josèphe, dont on ne peut récuser ici le témoignage. Hérode avait été placé sur le trône à l'exclusion des Asmonéens, ou princes de la famille royale de Juda. Il fit même périr ce qui restait de cette famille, ainsi que les principaux membres du sanhédrin. C'était ainsi qu'on appelait le grand conseil des Juifs, par lequel cette nation s'était gouvernée selon ses propres lois sous ses souverains. Elle fut encore dépouillée de tous ses autres droits dans l'ordre civil. Enfin la Judée devint une province de l'empire romain ; son temple fut détruit, et la nation dispersée ; en sorte que les Juifs sont forcés d'avouer eux-mêmes que l'époque désignée par les prophètes pour la venue du Messie est écoulée depuis longtemps.

A la naissance de Jésus-Christ, l'empire romain, la quatrième des monarchies que Daniel avait prédites, était élevé au plus haut degré de puissance. Il la devait à Auguste, qui régna cinquante-sept ans, à. compter du temps où il commença à se mettre a la tête des armées, et quarante ans, si l'on compte seulement depuis la bataille d'Actium. La grandeur de l'empire romain était un effet visible de la Providence, qui, en réunissant la plus grande partie des peuples sous un seul maître, voulait faciliter la propagation de l'Évangile. L'univers était alors en paix. On avait coutume à Rome de ne fermer les portes du temple de Janus, que quand la guerre était suivie d'une paix générale. Cela n'était arrivé que deux fois avant Auguste, sous le règne de Numa, et après la première guerre punique ; encore ne fut-ce que durant des intervalles très courts. Mais sous Auguste, le temple de Janus fut fermé trois fois : après la victoire remportée à Actium sur Antoine et Cléopâtre ; après la fin de la guerre contre les Cantabres en Espagne, et l'année même de la naissance de Jésus-Christ, où régnait une paix universelle que la guerre ne troubla point pendant douze ans. Le Sauveur naquit la quarantième année du règne d'Auguste, la vingt-neuvième depuis la bataille d'Actium, environ quatre mille ans depuis la création, deux mille cinq cents depuis le déluge, près de deux mille ans depuis la vocation d'Abraham, et un peu plus de mille depuis la fondation du temple par Salomon.

Auguste avait publié un édit par lequel il était ordonné à tous les sujets de l'empire de se faire enregistrer dans certains lieux, suivant leurs provinces, leurs villes et leurs familles. Ce dénombrement général avait pour objet de faire connaître les forces et les richesses de chaque province. Quirinus fut chargé de le faire dans la Syrie et la Palestine. Quintilius Varus était alors proconsul de Syrie, et le gouverneur de la Judée était à son égard dans une sorte de dépendance. Quirinus succéda à Varus dans le gouvernement de Syrie, environ dix ans après la mort d'Hérode, et lorsque Archelaùs, fils de ce prince, ayant été banni, la Judée fut réduite en province de l'empire romain. On le chargea de faire un second dénombrement. Quant au premier, il l'avait fait du temps de Varus ; il put agir alors en qualité de député extraordinaire, du moins pour la Palestine, gouvernée par Hérode. Peut-être aussi lui attribue-t-on tout ce dénombrement, parce que ce fut lui qui l'acheva depuis.

La politique avait dicté l'édit de l'Empereur ; mais la Providence avait aussi ménagé cette circonstance pour montrer à tout l'univers que Jésus-Christ était de la maison de David, et de la tribu de Juda. Les descendants de David eurent ordre de se faire enregistrer à Bethléem, petite ville de la tribu de Juda, à sept milles et au sud-ouest de Jérusalem. On l'appelait la ville de David, et elle fut expressément désignée pour l'enregistrement de ceux qui appartenaient à la famille de ce prince. Peut-être aussi que Joseph et Marie étaient nés dans cette ville, quoiqu'ils demeurassent alors à Nazareth. D'ailleurs Michée avait prédit que Bethléem, nommée Ephrata par les Jébuséens qui l'avaient bâtie, serait illustrée par la naissance de -Jésus-Christ. Quoique Marie fût fort avancée dans sa grossesse, elle partit avec Joseph pour se rendre au lieu désigné. Son état ne lui parut point une raison suffisante pour différer d'obéir à l'Empereur. On croit que son fils fut enregistré ainsi qu'elle et Joseph : du moins Origène, saint Justin, Tertullien, et saint Chrysostome, ne forment aucun doute sur ce fait. Nous allons voir que Jésus-Christ a réuni en sa personne tous les caractères du Messie, dont il est parlé dans les prophètes.

Sait Matthieu et saint Luc ont donné chacun la généalogie du Sauveur, pour montrer qu'il descend de David et de Juda. La différence qui s'y trouve, ou plutôt cette double généalogie, ajoute un nouveau degré de force à la preuve qu'on en tire. Les Évangélistes n'ont point marqué la raison de la différence, parce que tout le monde la connaissait dans le temps où ils écrivaient. Le sentiment le plus probable est que saint Matthieu donne la généalogie de Joseph suivant l'ordre naturel, et que saint Luc la donne suivant l'ordre de la loi, qui, en certain cas, autorisait l'adoption. Les Livres saints en fournissent divers exemples. Saint Chrysostome fait remarquer à ce sujet toute l'étendue de la miséricorde et de l'humilité de Jésus-Christ qui, pour sauver les pécheurs, n'a pas dédaigné de compter parmi ses ancêtres, des hommes souillés par les plus grands crimes. En s'humiliant ainsi lui-même, il a voulu expier notre orgueil, et nous guérir des suites funestes de ce vice. Le même Père, après avoir lu à son peuple la généalogie qui est au commencement de l'Évangile selon saint Matthieu, s'écriait dans un transport d'admiration : « Que dites-vous, ô Évangéliste ? Vous avez promis de parler du Fils unique de Dieu, et vous nommez David !... » Ne vous imaginez pas que ce que vous entendez soit ordinaire ou commun ; mais élevez vos esprits, et soyez remplis de respect et d'étonnement, lorsque vous entendez dire qu'un Dieu est venu sur la terre. Ce prodige était d'un ordre si supérieur, que les anges réunis en « chœur chantèrent louange et gloire pour tout l'univers, et que les prophètes étaient comme hors d'eux-mêmes, lorsqu'ils pensaient à ce mystère ineffable Pourriez-vous n'être pas ravis d'admiration, en considérant que le Fils unique de Dieu, qui est sans commencement, a bien voulu être appelé fils de David, afin de vous rendre le Fils de Dieu ? » Les circonstances de ce grand mystère doivent exciter toute notre attention, et devenir particulièrement en ce jour l'objet de nos pieuses méditations.

Marie et Joseph arrivèrent à Bethléem, après un voyage pénible de plusieurs jours, à travers un pays rempli de montagnes. Il n'y avait plus de place dans l'hôtellerie publique destinée à recevoir les étrangers. Personne ne voulut les loger dans la ville ; leur pauvreté les fit mépriser et rejeter. Invitons-nous Jésus-Christ à venir spirituellement dans nos cœurs ? Lui préparons-nous une demeure digne de lui par la ferveur de nos affections ? Il est infiniment jaloux de cette demeure, et c'est pour la chercher qu'il est descendu du ciel. Une âme plongée dans la tiédeur ; et à plus forte raison, dans le péché, refuse de le recevoir. Un tel refus lui est bien plus sensible que celui qu'il éprouva de la part des habituas de Bethléem.

Joseph et Marie ne trouvèrent d'autre retraite qu'une caverne creusée dans un rocher, laquelle servait d'étable, sans doute pour l'usage de ceux qui logeaient dans l'hôtellerie publique. Il s'y trouvait alors, suivant la tradition commune, un bœuf et un âne. A la vérité, l'Écriture ne fait point mention de cette circonstance : mais elle est donnée pour certaine par saint Jérôme, par saint Grégoire de Nazianze, par saint Grégoire de Nysse et par Prudence.

Ce fut dans cette caverne que Marie mit au monde son divin Fils, sans ressentir les douleurs qu'éprouvent les autres mères. Elle resta toujours vierge avant et après l'enfantement. On ne peut imaginer la joie et le respect avec lesquels elle vit et adora le Créateur de toutes choses, qui se faisait homme pour nous. Après l'avoir enveloppé dans de pauvres langes, elle le coucha dans la crèche. « Avec quel soin, dit saint Bonaventure, ne veilla-t-elle pas sur son fils ? Avec quel respect ne touchait-elle pas celui » qu'elle savait être son Seigneur ? Avec quelle tendresse et quelle vénération ne l'embrassait-elle pas ? Avec quel saint tremblement ne considérait-elle pas son visage et ses tendres mains ! Avec quelle gravité ne couvrait-elle pas ses petits membres ?... Avec quel empressement ne » présentait-elle pas son sein pour l'allaiter ? » Saint Joseph partageait, autant qu'il était en lui, les sentiments de Marie. Il prenait l'enfant dans ses bras, dit saint Bernard, et lui prodiguait toutes les caresses que pouvait inspirer un cœur embrasé d'amour. Que n'aurions-nous pas à dire des chœurs des anges, descendus du ciel pour adorer leur Dieu dans ce nouvel état où l'avait réduit sa miséricorde, et pour célébrer sa gloire par des hymnes de louanges ? Joignons-nous à eux dans la personne des bergers.

Dieu voulut que son Fils, quoique né dans le secret et dans l'état de l'humiliation la plus profonde, fût connu des hommes, et reçût les prémices de leurs hommages , en commençant à paraître au milieu d'eux. Mais quels seront ces hommes privilégiés que le Ciel favorisera d'un tel bonheur ? Ce ne seront ni les grands du monde, ni les sages renommés par les Juifs et les Gentils, ni les princes que leurs richesses et leur puissance semblent élever au-dessus de leurs semblables. Dieu choisit des hommes simples, obscurs, pauvres, éloignés par leur genre de vie des principaux dangers du monde, et conséquemment plus susceptibles de cet amour et de cet esprit de retraite, de pénitence et d'humilité que Jésus-Christ est venu recommander sur la terre. Ces hommes, ce sont des bergers, occupés pendant la nuit à la garde de leurs troupeaux, et qui sans doute avaient les vertus propres de leur état. Un ange se présenta à eux, et ils se virent environnés d'une clarté céleste. Ils furent tout à coup saisis d'une grande frayeur ; mais l'ange les rassura, en leur disant : Ne craignez point ; car je viens vous apporter une nouvelle qui sera pour tout le peuple le sujet d'une grande joie. C'est qu’aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ. Et voici la marque pour le reconnaître : vous trouverez un enfant enveloppé de langes et couché dans une crèche. Au même instant, il se joignit à l'ange une multitude d'esprits célestes qui louaient Dieu, et disaient : Gloire à Dieu au plus haut des deux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. Lorsque les anges se furent retirés, les bergers, frappés d'étonnement, se dirent l'un à l'autre : Passons jusqu'à Bethléem, et voyons ce qui est arrivé et ce lieu que le Seigneur nous a fait connaître. Il se hâtèrent d'y aller, et trouvèrent Marie et Joseph, avec l'enfant couché dans une crèche. Après avoir rendu leurs pieux hommages au Messie, comme au Roi spirituel des hommes, ils s'en retournèrent à leurs troupeaux, glorifiant et louant Dieu. Marie conservait religieusement le souvenir de toutes ces choses, elle les repassait et s'en entretenait dans son cœur. Ce que l'ange dit aux bergers, s'adresse h chacun de nous. Nous sommes invités dans leur personne à venir adorer le Roi qui nous est né. Imitons le zèle et la promptitude qui les firent voler à la crèche. En adorant avec eux notre Dieu et notre Sauveur, livrons-nous à une sainte joie, et aux plus vifs transports d'amour et de reconnaissance.

L'ange, en parlant de la naissance de Jésus, dit qu'il serait le sujet d'une grande joie pour tout le peuple. Nous n'aurions guères d'estime pour les choses spirituelles, si nous étions insensibles à la vue de cette miséricorde qui a fait éclater d'une manière si étonnante la bonté divine, et qui nous a procuré tout à la fois tant de grâces et de gloire. La pensée seule de ce mystère consolait Adam après son exil du paradis terrestre. La promesse qui en fut faite à Abraham adoucissait les peines de son laborieux pèlerinage. C'était la même promesse qui rendait Jacob supérieur à l'adversité, et qui soutenait Moïse au milieu de toutes les peines qu'il lui en coûta pour affranchir les Israélites de la servitude de l'Égypte. Tous les prophètes virent ce mystère en esprit et tressaillirent de joie. Quels doivent être nos sentiments, à nous qui possédons le bien qui ne leur avait été que promis, et qu'ils ne faisaient qu'entrevoir de loin ?

La joie, ce sentiment délicieux qu'une créature raison nable trouve dans la possession d'un objet qu'elle désirait , doit être proportionnée à la nature de la possession r elle doit donc faire sur nous une impression d'autant plus vive , que la jouissance l'emporte infiniment sur la promesse ou l'espérance. Cette réflexion est éclaircie par un passage de saint Pierre Chrysologue, sur la différence qu'il y a entre l'ancien et le nouveau Testament « La lettre d'un ami, dit ce Père, est agréable, mais sa présence l'est beaucoup plus ; une obligation est utile, mais le paiement l'est bien d'avantage ; on aime les fleurs, mais seulement jusqu'à ce que le fruit paraisse. Les patriarches reçurent les lettres de Dieu, nous jouissons de sa présence ; ils eurent la promesse, nous en avons l'accomplissement ; ils eurent l’obligation, nous en avons le paiement. » A quels transports les patriarches ne se seraient-ils pas livrés, si, comme Siméon, ils avaient vu l'accomplissement d'un mystère qui avait été l'objet continuel de leurs soupirs, de leurs larmes et de leurs prières ? « Il m'arrive fort souvent, disait saint Bernard à ce sujet, de penser aux saintes ardeurs qui faisaient soupirer les patriarches après la venue du Messie, et je me sens rempli de confusion et pénétré de douleur à peine même puis-je retenir mes larmes, tant je suis touché de honte à la vue de la tiédeur et de l'indifférence de ces malheureux temps. Car, qui d'entre nous ressent autant de joie de la présence de cette grâce, que la promesse qui en avait été faite aux Saints de l'ancien Testament, leur inspirait de désirs ? Plusieurs à la vérité se réjouiront dans cette fête ; mais j'ai bien peur que ce ne soit moins pour la fête que par vanité. »

Si nous nous réjouissons comme le monde, nous n'avons point l'esprit de Dieu. La joie qui nous est recommandée, est un sentiment excité par le bienfait que nous recevons, et par l'amour que le Seigneur nous porte dans ce mystère. Nos âmes n'y auront point de part, tant qu'elles seront plongées dans la chair et la vanité. Encore, si nous gémissions sous le poids de nos misères et si nous sentions le prix de la grâce, nous ne serions point entièrement exclus de cette joie spirituelle. Les marques extérieures de joie ne sont point défendues, pourvu que nous ne les cherchions point pour elles-mêmes ; que nous les renfermions dans de justes bornes ; que nous ayons soin de les sanctifier par des motifs de vertu ; que nous nous souvenions toujours qu'en qualité de chrétiens, nous sommes tenus de mener une vie grave et pénitente. Que la sensualité n'entre jamais dans la célébration de nos fêtes, elles dégénéraient en fêtes païennes, elles ne serviraient qu'à nourrir et à fortifier des passions que Jésus-Christ nous enseigne à soumettre. Pour sanctifier celle-ci, nous devons la passer dans la ferveur, et la consacrer aux exercices de piété. C'est le tribut que Jésus attend de nous, lorsque nous le visitons en esprit avec les bergers. Approchons de la crèche avec eux, et, conduits par la lumière de la foi, adorons la majesté infinie de Dieu, cachée sous les voiles de l'enfance. Ce mystère nous offrira un prodige de toute-puissance qui excitera nos louanges, et un prodige d'amour qui embrasera nos cœurs de la plus ardente charité.

Un Dieu éternel qui est né dans le temps, qui a renfermé son immensité dans le corps d'un enfant, qui a caché sa toute-puissance sous le voile de la faiblesse, a beaucoup plus fait que quand il a tiré l'univers du néant. C'est un mystère si incompréhensible, qu'on doit l'adorer en silence, sans chercher dans le langage humain des paroles pour l'expliquer. C'est la réflexion de saint Fulgence. Dieu sans doute est admirable dans toutes ses œuvres ; mais l'incarnation est quelque chose de si élevé au-dessus des pensées de toutes les créatures, qu'elles ne l'auraient pas jugé possible à la toute-puissance même, si elles n'avaient vu l'accomplissement de ce mystère. « Seigneur, s'écriait un grand serviteur de Dieu, que votre nom est admirable sur toute la terre ! Vous êtes véritablement un Dieu qui opère des merveilles. Je ne suis plus étonné de la création de l'univers, ni de la succession des jours et des saisons ; mais je ne puis revenir de mon étonne ment, lorsque je vois un Dieu renfermé dans le sein d'une vierge, le Tout-puissant couché dans une crèche, et le Verbe éternel fait chair. »

Ne devrions-nous pas inviter les esprits célestes à louer le Seigneur, de ce qu'il a déployé d'une manière si incompréhensible sa puissance, sa bonté, sa sagesse, et à glorifier leur Dieu de ce qu'il a bien voulu se réduire à cet état d'humiliation pour sauver l'homme pécheur ? N'aurions-nous pas droit de leur dire, avec le Psalmiste : Que tous les anges l'adorent. Mais ces esprits bienheureux ont reçu l'ordre de s'acquitter de ce devoir. Le Père éternel, en introduisant son Fils dans le monde, leur a dit : Que tous les anges de Dieu l'adorent. Au reste, ils n'avaient besoin, ni d’ordre, ni d'invitation ; leur propre ferveur leur suffisait. Qui pourrait expliquer ce qui se passa en eux, quand ils virent leur Roi dans une étable ; quand ils aperçurent ce divin Enfant dont les mains, toutes faibles qu'elles paraissaient, avaient formé l'univers , et soutenaient par leur puissance le ciel et la terre ! Comme ils le louèrent ! Comme ils le bénirent! Comme ils l'adorèrent! Comme ils firent retentir de leurs concerts et la terre et les cieux ! L'homme, en faveur duquel ce mystère a été opéré, pourrait-il ne point partager leurs saintes ardeurs ? Joignons y encore les actes de la reconnaissance la plus vive : nous en trouverons des modèles dans les psaumes, et dans l'hymne qu'on attribue communément à saint Ambroise et à saint Augustin. Répétons sans cesse : Gloire et louange à Dieu seul au plus haut des deux ; paix, pardon, réconciliation, grâces aux hommes de bonne volonté. Que les actes d'amour aient la principale part dans nos exercices de piété. L'incarnation du Fils de Dieu est un mystère d'amour, où il se dépouille des rayons de sa gloire pour nous visiter, pour devenir notre frère, et se rendre parfaitement semblable à nous.

L'amour est le principal tribut que Dieu demande de nous, surtout dans ce mystère. Il dit à chacun de nous : Mon fils, donnez-moi votre cœur. L'aimer est notre souverain bonheur ; c'est la plus haute dignité où une créature puisse aspirer. Le désir qu'il a que nous l’aimions, devrait seul nous engager à correspondre avec fidélité à une si grande grâce. Mais nous y sommes tenus à titre de justice, et de la justice la plus rigoureuse. Dieu étant infini en tout genre de perfections, est infiniment digne de notre amour ; nous devrions donc l'aimer d'un amour infini, si nous en étions capables. Nous sommes de plus obligés de l'aimer par reconnaissance pour le bienfait de l'incarnation, où il s'est donné à nous afin de nous délivrer de nos misères, et de nous combler de ses faveurs les plus signalées.

L'homme, en péchant, s'était rendu le complice du démon. Dieu lui promit un libérateur qui le tirerait de l'abîme où il s'était précipité. Mais presque tous les peuples, s'étant livrés aveuglément à leurs passions, oublièrent insensiblement leur Créateur. Ils rendirent les honneurs divins aux étoiles, aux planètes, puis aux morts, à ceux mêmes qui avaient déshonorés l'humanité par les plus grands crimes. Ils en vinrent jusqu'à diviniser les ouvrages de leurs propres mains, et souvent les bêtes, les monstres, et les plus infâmes passions. Les crimes les plus abominables furent consacrés par de prétendus rites religieux, et les plus insignes scélérats se virent par-là autorisés à ne plus rien craindre. Une corruption effroyable et presque universelle, criait de toutes parts vengeance au ciel. Les Juifs eux-mêmes, que Dieu avait choisis spécialement pour son peuple, et qu'il avait favorisés plus que toutes les autres nations, s'abandonnaient de leur côté à l'envie, à la jalousie, à l'orgueil et à beaucoup d'autres vices : en sorte que Dieu comptait bien peu de fidèles serviteurs parmi eux. Pouvons-nous considérer sans effroi ce déluge d'iniquités et cette épouvantable scène d'horreurs ? Voilà cependant quelle était la face de la terre lorsque le Fils de Dieu daigna l'honorer de sa présence. Qui n'aurait imaginé, en apprenant que Dieu était venu parmi les hommes, qu'il se proposait de les consumer par le feu du ciel, comme les habitants de Sodome, et de les plonger dans les flammes de l'enfer ? Mais non : il ne venait dans le monde que pour le purifier et le sauver ; la vue de nos misères émut ses entrailles de compassion pour nous.

La manière dont il vient à nous, est une nouvelle preuve de sa miséricorde et de sa bonté. Il se fait semblable à nous et prend notre nature. Dieu a été vu sur la terre et a conversé avec les hommes. Le verbe s'est fait chair ; l'Éternel est devenu enfant; le Tout-puissant s'est rendu faible ; celui qui est infini et indépendant, s'est humilié et s'est soumis à ses propres créatures. C'est son amour pour nous qui lui a fait opérer tous ces prodiges. « O charité, s'écrie saint Thomas de Villeneuve ! Ô le plus puissant triomphe de l'amour ! Vous avez vaincu l’invincible, le Tout-puissant est devenu captif. Ô vrai excès de charité ! » Pourrions-nous en effet contempler ce divin enfant, et n'être pas tout transportés d'amour ? Toutes les circonstances de ce mystère sont si propres à inspirer l'amour le plus tendre, que l’Église, pour l’exprimer, dit qu'en ce jour les cieux distillent le miel. Nous lasserons-nous de répéter, et chaque fois avec une nouvelle effusion de joie et d’amour, ces paroles si touchantes : Un petit enfant nous est ne : un Fils nous a été donné : il nous est né un Sauveur en ce jour ?

Saint François d'Assise était comme hors de lui-même, lorsqu'il parlait de ce mystère. Saint Bernard éprouvait les mêmes sentiments. « Lorsque Dieu, disait-il, est sur le trône de sa grandeur et de sa majesté, il commande la crainte et le respect; mais lorsqu'il se montre sous » la forme d'un enfant, il inspire l'amour. » A l'occasion de l'annonce de cette fête dans le martyrologe, il invite toutes les créatures à se joindre à lui pour aimer et adorer Jésus naissant. Il s'adresse au ciel, à la terre, et surtout à l'homme. Il trouve une douceur ineffable dans ces paroles : Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant, est né en Bethléem de Juda. Il n'a point d'expressions pour en rendre toute l'énergie ; ce serait selon lui les affaiblir que d'y faire le moindre changement. Il dit ailleurs, qu'à ces paroles son âme se fond en quelque sorte, que son esprit s'échauffe, et que ses brûlants désirs le portent à publier la joie dont il est transporté.

Si cet amour régnait dans nos cœurs, avec quelle ferveur ne contemplerions-nous pas l'excès de bonté qui a fait descendre le Fils de Dieu sur la terre ? Comme nous adorerions ces mains sacrées, qui, quoique enveloppées de langes, donnent le mouvement aux corps célestes, et soutiennent l'univers ; ces pieds qui doivent essuyer tant de fatigues pour nous, et qui seront percés de clous pour notre salut ; ce sang qui, étant un jour répandu sur la croix, deviendra le prix de notre rédemption ; ce visage qui fait la joie des anges , et qui doit être frappé , meurtri, couvert de crachats ; cette chair , en un mot, d'une pureté plus qu'angélique, mais dans un état de souffrance par les besoins et les rigueurs de la saison ! Les yeux de Jésus, baignées de larmes, pourraient-ils ne pas nous attendrir ? Ce divin Sauveur pleure, dit saint Bernard, mais non comme les autres enfants, ni pour la même raison. Les enfants ordinaires crient de besoin et de faiblesse ; Jésus crie de compassion et d'amour pour nous. » Puissent ces larmes précieuses toucher le Père céleste, et attirer sur nous sa miséricorde ! Puissent-elles amollir la dureté de nos cœurs, les purifier, les sanctifier ! « Ces larmes, dit encore saint Bernard, me pénètrent de douleur et me couvrent de confusion, quand je considère mon in sensibilité au milieu de mes misères spirituelles ! » Que sera-ce, si nous pénétrons dans l'âme sainte de Jésus, et si nous considérons ce qui s'y passe ? Avec quel zèle il loue et honore son Père ! Avec quelle ardeur il s'offre et prie pour nous ! Méditons ces grands objets, qui ne pourront manquer de nous embraser du feu de l'amour divin. Mais tous nos efforts seront inutiles, tant que nous ne travaillerons pas efficacement à lever les obstacles qui s'opposent au règne de cet amour. La guérison des maladies de nos âmes est la principale fin de la naissance de Jésus-Christ ; il nous a mérité par ses souffrances la grâce de vaincre nos passions, et il nous a montré par son exemple quel remède il faut appliquer à nos maux.

Les actions du Sauveur ne sont pas moins instructives pour nous, que ses maximes et ses discours. Sa vie est l'Évangile réduit en pratique. Entendons bien sa doctrine, marchons fidèlement sur ses traces, et nous deviendrons parfaits. Il nous instruit dans sa naissance même ; il commence à pratiquer ce qu'il enseignera un jour. Les Juifs, esclaves de leurs sens et de leurs passions, s'aveuglaient eux-mêmes pour ne pas entendre les prophètes ; ils se formèrent du Messie une idée conforme à leur imagination ; ils se le représentaient comme un conquérant riche et puissant, qui ferait de Jérusalem la plus grande des villes, et de leur nation le plus florissant empire du monde. Mais ce n'était point un tel Messie qui était nécessaire aux hommes. Les richesses, la grandeur, la puissance nous auraient fait chérir encore davantage notre exil, et l'oubli' de la céleste patrie serait devenu encore plus universel. Un pareil Messie aurait nourri notre corruption au lieu de la guérir ; il aurait enflammé nos désirs et nos passions ; il nous aurait fourni les moyens de les entretenir et de les satisfaire ; il nous aurait trompés, et n'aurait point eu pour disciples ceux qui, connaissant leurs maladies spirituelles, en désiraient la guérison.

Aussi les caractères du Messie, tracés par les prophètes, n'ont-ils rien de commun avec ceux que les Juifs ont imaginés. Nous ne citerons que le chapitre cinquante-troisième d'Isaïe, pour établir cette vérité ; il suffirait seul pour ouvrir les yeux des Juifs charnels. « Il s'élèvera devant le Seigneur, dit le prophète inspiré de Dieu, comme un arbrisseau et comme un rejeton qui sort d'une » terre sèche : il est sans beauté et sans éclat ; nous l'avons vu, et il n'avait rien qui attirât l'œil, et nous l'avons méconnu. Il nous a paru un objet de mépris, le dernier des hommes, un homme de douleurs, qui sait ce que c'est que souffrir : son visage était comme caché : il paraissait méprisable et nous n'en avons fait aucune estime. Il a pris véritablement nos langueurs sur lui, et il s'est chargé lui-même de nos douleurs — de douleurs aiguës, au point qu'il dût y succomber et mourir.  Mais quelle sera sa récompense ? Il verra sa race durer longtemps. C'est-à-dire, Dieu lui donnera des enfants innombrables selon l'esprit ; ils dureront jusqu'à la fin du monde, ils dureront éternellement. »

Alban Butler : Vies des pères, des martyrs, et des autres principaux saints… traduction de Jean François Godescard.

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