Méditation
L'Église célèbre la
naissance du Sauveur au solstice d'hiver et celle de Jean-Baptiste
au solstice d'été. Ces deux fêtes, séparées l'une de l'autre par un
intervalle de six mois, appartiennent au cycle de l'Incarnation ;
elles
sont, par leur objet, dans une mutuelle dépendance ; à cause de ces
relations, on peut leur donner le même titre, c'est en latin :
nativitas, naissance ; natalis dies, Noël.
Pourquoi célébrer la
naissance de Jean-Baptiste, se demande saint Augustin, dans un
sermon qui se lit à l'office nocturne ? La célébration de l'entrée
de Jésus-Christ dans ce monde s'explique fort bien ; mais les
hommes — et Jean-Baptiste en est un — sont d'une condition
différente ; s'ils deviennent des saints, leur fête est plutôt celle
de leur mort : leur labeur est consommé, leurs mérites sont acquis ;
après avoir remporté la victoire sur le monde, ils inaugurent une
vie nouvelle qui durera toute l'éternité. Saint Jean-Baptiste est le
seul à qui soit réservé cet honneur ; et cela dès le cinquième
siècle, car la nativité de la Vierge Marie ne fut instituée que
beaucoup plus tard. Ce privilège est fondé sur ce fait que Jean a
été sanctifié dès le sein de sa mère Élisabeth, quand elle reçut la
visite de Marie sa cousine ; il se trouva délivré du péché originel
; sa naissance fut sainte, on peut donc la célébrer. C'est un homme
à part, il n'est inférieur à personne, non surrexit inter natos
mulierum major Jobanne Baptista. L'ange Gabriel vint annoncer sa
naissance, son nom et sa mission, nous dit saint Maxime, dans une
leçon de l'octave ; sa naissance merveilleuse a été suivie d'une
existence admirable, qu'un glorieux trépas a couronnée ; l'Esprit
Saint l'a prophétisé, un ange l'a annoncé, le Seigneur a célébré ses
louanges, la gloire éternelle d'une sainte mort l'a consacré. Pour
ces motifs, l'Église du Christ se réjouit dans tout l'univers de la
naissance du témoin qui signala aux mortels la présence de celui par
lequel leur arrivent les joies de l'éternité.
Saint Augustin, qui
s'appliquait à découvrir les raisons mystérieuses des événements, a
voulu savoir pourquoi Jésus-Christ est né à l'équinoxe d'hiver et
Jean-Baptiste à celui d'été. Dans le sermon du quatrième jour dans
l'octave, il nous propose ce qu'il a découvert : Jean est un
homme, le Christ est Dieu. Que l'homme se fasse petit, pour que Dieu
apparaisse plus grand, suivant ces paroles dites par Jean au sujet
du Sauveur : il faut qu'il croisse et que moi, je diminue. Pour que
l'homme soit abaissé, Jean naît aujourd'hui, où les jours commencent
à diminuer ; pour que Dieu soit exalté, le Christ naît au moment où
les jours commencent à grandir. tout cela est très mystérieux. La
naissance de Jean-Baptiste, que nous célébrons, est, comme celle du
Sauveur, pleine de mystère. Quel est ce mystère, si ce n'est celui
de notre humiliation, comme la naissance du Christ est pleine du
mystère de notre élévation.
Ces témoignages de
saint Maxime et de saint Augustin prouvent que cette fête est l'une
des plus anciennes du calendrier. Sa célébration est constatée dès
le milieu du quatrième siècle. Elle a déjà sa place parmi les
solennités importantes ; on lui donna bientôt une octave et une
vigile et elle traversa le moyen âge avec ce complément.
Les Pères du Concile de
Bâle, dans leur quarante-troisième session (1441), firent suivre son
octave d'une fête nouvelle, la Visitation, et Eugène IV eut soin de
confirmer plus tard cette mesure. Ce n'est pas le Concile de Bâle,
il est vrai, qui établit cette fête, il n'eut qu'à la fixer au 2
juillet ; son institution remonte au pontificat d'Urbain VI qui
espérait, par ce moyen, appeler la protection de Notre Dame sur
l'Église menacée d'un nouveau schisme ; la bulle qui lui assignait
un jour après l'Annonciation fut promulguée par Boniface IX (1389).
Le Noël d'été a, comme
celui d'hiver, son cortège liturgique. Sa vigile est une réduction
de l'Avent : L'Église présente à nos réflexions le récit évangélique
de la mission de l'ange Gabriel auprès de Zacharie, pour lui prédire
la naissance d'un enfant : l'envoyé céleste lui dit qu'il sera grand
devant le Seigneur ; l'Esprit Saint le remplira de sa vertu, dès le
sein de sa mère ; il convertira un grand nombre de fils d'Israël au
Seigneur leur Dieu ; il précédera le Seigneur, dans l'esprit et la
vertu d'Élie ; il conciliera aux fils le cœur des pères ; il amènera
les incrédules à la prudence des justes ; il préparera au Seigneur
un peuple parfait. L'octave de la fête pourrait fort bien être
appelée la circoncision de Jean-Baptiste : en ce jour, son père lui
donna son nom et il entonna ce Benedictus Dominus Deus Israël
que nous chantons tous les jours de l'année, à l'office du matin, en
l'honneur de l'Oriens ex alto. La Visitation est, en quelque
sorte, l'épiphanie de Jean-Baptiste : il confesse par un
tressaillement la manifestation de Jésus, caché dans le sein
maternel. Notre Dame chante au Seigneur le Magnificat anima mea
Dominum. Ce Noël d'été précède le Noël d'hiver, comme saint
Jean-Baptiste est le précurseur de Jésus-Christ ; elle l'annonce ;
nous le verrons paraître quand le soleil sera au terme de ses
diminutions.
Historique
L'objet historique de
la fête et la doctrine qui l'éclaire sont exposés par saint Luc, au
chapitre premier de son Évangile. Les trois passages qui nous
intéressent sont lus aux messes de la vigile, de la Nativité et de
la Visitation ; il est nécessaire d'y ajouter quelques lignes de
l'évangile de saint Jean, qui termine la messe : Fuit homo missus
a Deo, cui nomen erat Johannes ; his venit in testimonium, ut
testimonium perbiberet de lumine, ut omnes crederent per illum ; non
erat ille lux, sed ut testimonium perbiret de lumine. Il est le
témoin, le précurseur, la voix de Dieu...
Une mission de ce
caractère n'a pu échapper aux Prophètes de l'Ancien Testament ; il
faut nous attendre à trouver, sous leur plume, des figures
lumineuses qui aident à la saisir. Le plus expressif est Jérémie. Le
début de sa prophétie s'applique aussi bien à saint Jean-Baptiste
qu'à lui-même ; l'analogie est frappante ; il n'y a qu'à le
reproduire et chacun, à première vue, pourra s'en convaincre : La
parole du Seigneur s'est fait entendre ; il me disait : Je te
connaissais avant de te former dans le sein de ta mère ; je t'ai
sanctifié avant que tu en sortes ; je t'ai choisi pour être mon
prophète devant les nations. Et j'ai bégayé, A, a, a, Seigneur, mon
Dieu ; mais je ne sais pas parler, je ne suis qu'un enfant. Et le
reste. L'Église fait lire Jérémie aux matines de la fête et à la
messe de la vigile. L'épître du jour est empruntée à Isaïe ; c'est
de Jean-Baptiste qu'il écrit : Que les îles écoutent ; peuples
éloignés, faites attention. Le Seigneur m'a appelé, il s'est souvenu
de mon nom dès le sein de ma mère. Il a fait de ma langue un glaive
aigu ; il m'a protégé de l'ombre de sa main ; il m'a pris comme une
flèche de son choix et il m'a caché dans son carquois... Le
Seigneur, qui a fait de moi son serviteur dès le sein maternel, me
dit : Je t'ai donné aux nations comme leur lumière pour que tu sois
mon salut jusqu'aux extrémités de la terre.
Ces lectures
fournissent le texte des antiennes et des répons : l'introït et le
graduel enferment, dans leur mélodie, ce que Jérémie et Isaïe ont pu
dire de la sanctification de Jean-Baptiste avant sa naissance ; le
verset alleluiatique et la communion répètent cette déclaration de
Zacharie devant le berceau et les langes de son enfant : Tu,
puer, Propheta altissimi vocaberis ; prœibis enim ante faciem Domini
parare vias ejus. Tu t'appelleras, enfant, le prophète du Très-Haut
; tu iras devant la face du Seigneur pour lui préparer les voies.
Nous retrouvons ces mêmes paroles aux offices du jour et de la
nuit : les antiennes, qui accompagnent les psaumes de vêpres, de
matines ou de laudes, sont tirées de l'Évangile et des prophètes.
Les unes prennent les traits principaux du récit et le reconstituent
; par exemple, celles des laudes et des secondes vêpres :
Élisabeth Zachariæ magnum virum genuit, Jobannem prœcursorem Domini,
c'est l'annonce de l'événement ; de là, nous passons à la
circoncision et à la tradition du nom : Innuebant patri ejus,
quem vellet vocari eum ; et scripsit, dicens : Joannes est nomen
ejus ; la troisième revient sur la même pensée ; après quoi, il
semble que nous soyons mis en présence de l'enfant et, en le saluant
nous ne pouvons que lui rendre les témoignages contenus dans
l'Évangile : Inter natos mulierum non surrexit major Jobanne
Baptista. Les antiennes des premières vêpres traduisent les
mêmes impressions et empruntent leurs formules aux mêmes sources :
le peuple chrétien se représente la scène et s'approprie les
sentiments et le langage de ceux qui remplissent un rôle actif ;
avec eux, il dit de Jean : Ipse præbit ante illum in spiritu et
virtute Eliæ - Joannes est nomen ejus ; vinum et siceram non bibet.
- Ex utero senectutis et sterili Joannes natus est præcursor Domini.
Je ne dis rien des antiennes de matines : elles ont ce même
caractère. Pendant que l'âme s'applique à suivre le sens des
psaumes, l'imagination est occupée par ces souvenirs ; cela ne lui
damande guère d'effort ; elle est paisible ; l'esprit, qui reçoit
ses impulsions, découvre dans la psalmodie, à la faveur d'aperçus
auxquels il n'aurait jamais songé de lui-même, des allusions
ingénieuses à la solennité ; la pensée de saint Jean apparaît
partout.
Les observations faites
au sujet des antiennes valent pour les répons ; on s'exposerait, en
les citant, à des répétitions inutiles : ils transportent, dans le
chant, des textes connus déjà ; je n'en reproduirai qu'un, d'une
facture assez originale. Hic est præcursor dilectus, voici le
précurseur bien-aimé, et lucerna lucens ante dominum, et la
lumière qui brille devant le Seigneur. Ipse est enim Joannes, qui
viam Domino preparavit in eremo, c'est Jean qui a préparé au
Seigneur la voie dans le désert, sed et Agnum Dei demonstravit et
illuminavit mentes hominum, il a montré l'agneau de Dieu et
éclairé l'esprit des hommes. Ipse præibit ante illum in spiritu
et virtute Eliæ. En résumé, les antiennes et les répons ne font
que répéter ce que l'Évangile présente de saillant ; ces traits sont
de nature à pénétrer l'âme de la mission du précurseur et de son
importance ; ils accroissent, par leur répétition même, l'admiration
pour son caractère et sa personne ; son souvenir prend vie dans le
cœur.
L'Ange Gabriel avait
annoncé à Zacharie que la naissance de Jean serait, pour un grand
nombre, une occasion de joie, multi in nativitate ejus gaudebunt.
En souvenir de cette prophétie, sa fête est joyeuse ; elle a pour
signe caractéristique une allégresse qui ne se trouve pas ailleurs.
L'Église invite les fidèles à s'y abandonner ; il lui suffit de leur
répéter, par ses antiennes, les paroles de Gabriel. Mais la piété
chrétienne ne s'est pas contentée du chant liturgique pour
manifester sa joie ; elle a emprunté, en les transformant, les
usages par lesquels les païens célébraient le solstice : on sait que
l'instinct qui portait ces derniers à substituer, dans leur
vénération religieuse, les forces créées de la nature à leur auteur,
les faisait rendre un culte au soleil et au feu dont il est le grand
foyer ; leur dévotion s'épanchait en manifestations bruyantes, au
moment des équinoxes ; les fêtes, qui bénéficiaient d'une popularité
extraordinaire, consistaient surtout en des réjouissances publiques
; la principale était d'allumer de grands feux autour desquels
dansait la population. Le paganisme grec et romain avait eu l'art de
mêler ainsi son culte à la vie extérieure des peuples, et c'est ce
qui contribua le plus à le faire entrer dans les mœurs, si
profondément même que ces coutumes ont survécu au paganisme.
Il y avait là, pour les
chrétiens, un véritable danger ; tout le monde prenait part à ces
réjouissances, qui en elles-mêmes n'avaient rien de condamnable.
Mais les circonstances, en les liant à une superstition, les
mettaient au service du paganisme naturaliste ; c'était un
entraînement auquel on résistait fort mal. Tertullien, le premier,
dénonça les chrétiens impudents, qui ne craignaient pas de célébrer
ainsi les calendes de janvier, les brumalies et les saturnales. La
conversion de l'Empire laissa leur popularité aux réjouissances
solsticiales dans l'Afrique romaine, à Rome et dans les Gaules. Les
évêques voyaient ce fait avec mécontentement ; saint augustin
protestait avec énergie. Habeamus solemnem istum diem,
disait-il, non sicut infideles, prpter hunc solem, sed propter
eum qui fecit hunc solem, solennisons ce jour, non comme des
infidèles, à cause du soleil, mais à cause de celui qui a fait le
soleil. Saint Césaire proscrivit, pour les mêmes motifs, ces
survivances païennes ; l'évêque franc, auteur des sermons qui nous
sont parvenus sous le nom de saint Éloi, défend aux chrétiens de
célébrer les solstices par des danses, des caroles et des
chants diaboliques. Mais la fidélité aux superstitions pyrolatriques
était tenace ; les évêques ne purent en avoir raison. C'est en vain
que Charlemagne leur recommanda, par un capitulaire, de proscrire de
nouveau ces feux sacrilèges et ces usages païens ; il fallut en
prendre son parti et chercher à transformer, par une intention
pieuse, l'abus qu'on ne pouvait supprimer. Cette évolution se
produisit l'abus qu'on ne pouvait supprimer. Cette évolution se
produisit dans le cours du neuvième siècle : on s'apercevait enfin
qu'un retour offensif du paganisme n'était plus à craindre ; il
était donc inutile de se prémunir contre un ennemi définitivement
vaincu.
La réaction contre les
pagania solsticiales avait sans nul doute accru la note
joyeuse de la fête de saint Jean-Baptiste. Cette joie spirituelle,
par son charme, contribuait à détourner les chrétiens de ces
réjouissances profanes ; elle servit à ménager l'évolution, qui
débarrassa ces dernières de toute pensée superstitieuses, en les
associant à la fête de saint Jean-Baptiste. Le solstice d'été tomba
dans l'oubli ; les feux furent allumés pour manifester la joie que
la naissance du Précurseur causait au monde ; le feu devint
ecclésiastique : le clergé alla processionnellement le bénir ; la
Jouannée, ainsi que nos pères la nommaient, resta l'une des
fêtes les plus populaires et les bourgeois des villes ne
l'appréciaient pas moins que les campagnards.
Les Parisiens, entre
autres, étaient amateurs des feux de saint Jean ; ils en allumaient
un par quartier. Celui de la Bastille passait pour l'un des mieux
réussis, la garnison de la forteresse assistait en armes à son
embrasement. Il ne valait pas cependant celui de la place de Grève ;
on laissait au roi l'honneur de l'allumer : Louis XI le fit en 1471,
François Ier en 1528, Henri II et Catherine de Médicis en 1549,
Charles IX en 1573, Henri IV en 1596, Louis XIII en 1615 et 1620,
Anne d'Autriche en 1616 et 1618, Louis XIV en 1648 ; à partir de
cette date, l'honneur d'allumer le feu revint au conseil de ville.
Les hommes de la
Révolution furent incapables de comprendre ces réjouissances et
elles disparurent, à Paris du moins, en 1789 ; il en fut de même
dans la plupart des villes importantes ; à Douai, où la population
tenait à ces feux au point d'en allumer un dans chaque rue, tous les
soirs du 23 au 29 juin, la police les interdit en 1793 ; ils furent
rallumés en 1795 et les années suivantes jusqu'en 1806, sans tenir
compte d'une nouvelle défense promulguée en 1797.
Ces réjouissances
populaires et religieuses faisaient entrer le sentiment chrétien
dans la vie des villages et des villes ; la religion n'était pas
reléguée entre les murailles des sanctuaires ; les hommes la
connaissaient, ils l'aimaient comme un élément essentiel de leur
existence. Les coutumes auxquelles on avait l'esprit de la mêler
transmettaient, avec elles, sa pensée d'une génération à l'autre ;
cela pouvait aller fort loin, car ces habitudes populaires sont
tenaces. Ce fait n'a pas été toujours compris au dix-neuvième
siècle. Ces traditions ont eu fréquemment pour adversaires aveugles
des catholiques, qualifiés hommes d'œuvre, et des prêtres, qui ont
affecté d'y voir des pratiques superstitieuses. C'est ainsi que les
feux de saint Jean se sont éteints peu à peu dans un grand nombre de
campagnes ; il est juste de dire que saint Jean-Baptiste n'y a pas
gagné un rayon de joie spirituelle ; sa fête passe presque inaperçue
; elle attire certainement beaucoup moins de monde à la messe et à
la Sainte Table que le premier vendredi du mois.
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