Saint Nicaise de Reims

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NICAISE DE REIMS
Évêque de Reims, Martyr, Saint
(V
e siècle)

VIE ET MARTYRE

Après les évêques dont nous venons de parler, le siège épiscopal fut occupé par saint Nicaise, homme d'une grande charité et constance, qui sut gouverner avec vigueur, au milieu de la persécution des Vandales, le troupeau confié à ses soins : pendant la paix, source d'éclat et de gloire pour son église ; au milieu des dangers, guide courageux et protecteur fidèle ; formant le peuple par ses pieuses doctrines et ses vertueux exemples, et relevant la splendeur de l'Église, chaste épouse de Jésus-Christ, par de riches fondations. Jusqu'à lui la chaire épiscopale avait été attachée à l'église dite des Apôtres ; inspiré par une révélation divine, il érigea une nouvelle basilique en l'honneur de la bienheureuse Mère de Dieu, toujours vierge, où il transféra le siège épiscopal, et qu'il consacra bientôt de son sang. Ce saint évêque, averti par un ange, prévit longtemps d'avance les massacres qui devaient désoler la Gaule, et, pour réprimer la fatale confiance d'une aveugle prospérité, il annonçait les vengeances de la colère divine. Son inquiète charité portait avec douleur le poids des péchés de son troupeau ; prêt à mourir pour le salut de tous, il s'offrait, afin de détourner de son peuple la colère de Dieu ; ou, puisque sa ruine était inévitable, cherchant à gagner la clémence de Dieu par l'humilité d'un cœur contrit et résigné, il s'efforçait, sinon d'arrêter le glaive temporel, au moins d'empêcher que le glaive éternel ne pénétrât jusque dans les âmes. Mais comme la semence de la parole de Dieu ne peut germer au milieu des épines des richesses, ceux qui prospèrent et se glorifient dans la vanité du siècle n'ouvrent point leur cœur aux conseils salutaires, et ne les y reçoivent point pour les faire fructifier : distraits par les embarras de mille occupations passagères, au lieu de poursuivre la charitable vie, ils s'engagent sous les étendards funestes du péché et de la mort ; et parce qu’ils ne haïssent pas assez profondément le mal, ils sont incapables de faire dignement le bien. Aussi les peuples ne craignaient pas de mépriser la sainte religion, de violer les commandements de Dieu, de se rendre esclaves des vanités, de se souiller des vices de la concupiscence, d'exciter des scandales et des schismes, et enfin, ô douleur ! d'offenser Dieu par toutes les iniquités. Mais tout-à-coup, au milieu même des jours de prospérité, Dieu suscite la colère des nations les plus barbares : des hordes de Vandales se précipitent furieuses dans les diverses provinces pour ,venger ses offenses ; les murs des villes tombent devant eux ; les familles périssent par le glaive avec leur postérité. Les barbares semblent n'aspirer à aucune gloire, ne chercher aucun profit. Ils ne veulent que verser, épuiser le sang humain ; ils ne sont altérés que du carnage des Chrétiens. Au milieu de cette affreuse tempête, de glorieux évêques brillaient dans les Gaules ; à Rheims, le grand saint Nicaise ; à Orléans, le bienheureux saint Anian ; à Troyes, saint Loup ; à Tongres, saint Servais, et quelques autres prélats fameux par leurs vertus, qui retardèrent longtemps par leurs prières et leurs mérites l'éclat de la colère de Dieu, s'efforçant d'éteindre l'hérésie et les vices parmi le peuple, de le ramener par la pénitence à la religion catholique et au vrai culte du Seigneur, et de détourner de la tête de l'Église chrétienne le glaive d'une si terrible persécution et des vengeances divines.

Cependant les Vandales viennent camper devant Rheims, ravagent tout le pays, et poursuivent avec acharnement la perte des Chrétiens enfermés dans la ville : ils veulent détruire et effacer de la surface de la terre ces ennemis de leurs dieux et des mœurs païennes. À l'exemple de Jésus-Christ, saint Nicaise, prêt à donner sa vie pour ses frères, prend la ferme résolution de ne point abandonner son troupeau : il veut, ou se sauver avec eux, ou souffrir tout ce que voudra leur faire souffrir le Père de famille, dans la crainte qu'en fuyant il ne semblât délaisser le ministère de Jésus-Christ, sans lequel les bommes ne peuvent vivre ni devenir chrétiens. Aussi, selon la pensée de saint Augustin, a-t-il acquis les mérites d'une plus grande charité que celui qui, surpris dans sa fuite, confessa cependant Jésus-Christ, et mourut martyr, mais non pas pour ses frères, et n'ayant songé qu'à lui-même. Le saint évêque craignait bien plus que sa fuite ne détruisît les pierres vivantes de l'édifice divin, que de voir tomber et brûler sous ses yeux les pierres et les bois des édifices terrestres ; redoutant mille fois moins de livrer les membres de son propre corps aux tortures et à la rage des ennemis, que de laisser mourir les membres du corps de Jésus-Christ privés de la nourriture spirituelle ; il était résigné, si ce calice ne pouvait passer loin de lui, à faire la volonté de celui qui ne peut vouloir rien de mal, et ne cherchait point son bien, mais imitait celui qui a dit : « Je ne cherche point ce qui m'est avantageux en particulier, mais ce qui est avantageux à plusieurs pour être sauvés » (1 Co 10, 33). Persuadé donc que sa fuite serait plus funeste peut-être par le mauvais exemple, que ses services ne seraient un jour profitables s'il conservait sa vie, aucune raison ne put le déterminer à fuir. Il ne craignait pas la mort temporelle, qui vient toujours tôt ou tard, lors même qu'on cherche à l'éviter, mais la mort éternelle, qui peut venir si on ne l'évite pas, et ne pas venir si on l'évite. Loin de se complaire en lui-même, et de croire sa personne plus précieuse et plus digne d'être tirée du danger que toute autre, comme plus éminente en grâce, il s’obstina à rester, afin de ne pas priver l'Église de son ministère, nécessaire surtout en de si grands périls : on ne le vit point, comme le gardien mercenaire, abandonner ses brebis, et fuir à l’aspect du loup : mais, semblable au bon pasteur, il offrit généreusement sa vie pour son troupeau : enfin, il lui sembla que, dans cette extrémité, ce qu’il avait de mieux à faire, c’était d’adresser de ferventes prières au Seigneur, pour lui et pour les siens, et il choisit ce parti.

Cependant les assiégés succombent aux fatigues de la défense, aux veilles, au besoin ; l’ennemi au contraire redouble de fureur, bat de toutes parts les murs avec succès, tout le peuple est frappé de terreur et de découragement : tous accourent auprès de saint Nicaise, prosterné en prière au pied des autels : désespérés, tremblants de la victoire prochaine des barbares, ils lui demandent des consolations, comme des enfants à leur père ; ils le supplient de décider ce qu’il y a de plus utile à faire, ou de se soumettre à la servitude des barbares, ou de combattre jusqu’à la mort pour le salut de la ville. Le saint pasteur, à qui Dieu a  fait connaître par révélation que Rheims doit périr, console son peuple, et ne cesse cependant d’implorer la clémence du Seigneur, afin que cette tribulation de la mort temporelle, loin d’être leur perte éternelle, profite au contraire à leur salut, et qu’ils persistent dans la confession de la vraie foi ; il les exhorte à combattre pour le salut de leur âme, non avec des armes visibles, mais par de bonnes mœurs, non avec l’appui des forces corporelles, mais par l’exercice de toutes les vertus spirituelles : il leur rappelle que la punition qui les frappe est un juste jugement de Dieu contre les péchés ; il leur répète sans cesse qu’il n’y a d’autre moyen de salut que de s’humilier avec componction sous les coups de la vengeance divine, de les recevoir, non point avec murmure et désespoir, comme des enfants d’iniquité, mais avec patience et douceur, comme des enfants de piété qui attendent les récompenses du royaume céleste.

« Souffrez, leur dit-il, souffrez avec dévotion ces tribulations d’un jour dans l’espoir d’une éternité de bonheur ; offrez-vous de bon cœur à cette mort d’un moment, pour éviter les peines d’une damnation éternelle méritée par vos fautes ; trouvez votre salut dans votre perte, et au lieu de supplice, l’éternelle guérison de vos âmes. Priez pour vos ennemis, afin qu’ils reconnaissent leurs iniquités, et que ceux qui sont aujourd’hui les ministres de l’impiété deviennent un jour les disciples de la piété, et les sectateurs de la vérité ». Enfin, il déclare que pour lui, il est prêt, comme le bon pasteur, à donner sa vie pour son troupeau, et à braver la mort temporelle, pourvu qu’ils obtiennent avec lui le pardon de leurs fautes et le salut éternelle.

Le pieux évêque était secondé par sainte Eutrope, sa sœur, chaste épouse de Jésus-Christ, qui, mettant sa vertu sous la protection de son frère, imitait en tout ses exemples et ne le quittait jamais, afin de préserver la pureté de son âme des souillures spirituelles, et la chasteté de son corps de la corruption des plaisirs charnels. Tous deux animaient le peuple de tous leurs efforts à briguer la palme du martyr, et demandaient en même temps pour lui au Seigneur le prix de la victoire. Enfin le jour marqué de Dieu pour le triomphe des barbares étaient arrivé, aussitôt que saint Nicaise voit leurs hordes furieuses se précipiter dans la ville, fortifié par la vertu de l’Esprit-Saint, et accompagné de sa bienheureuse sœur, il se présente au-devant d’eux à la porte de l’église de la sainte vierge Marie, mère de Dieu, chantant des hymnes et des cantiques spirituels. Pendant que, tout entier à la sainte psalmodie, il chante ce verset de David : « Mon âme a été comme attachée à la terre » (Ps 118 [119], 25), sa tête tombe tranchée par le glaive. Cependant la parole de piété ne manque point en sa bouche ; car sa tête, roulant à terre, poursuit la sentence d’immortalité, et il continue : « Seigneur, vivifiez-moi, selon votre parole ».

Mais sainte Eutrope voyant l’impiété s’adoucir à sa vue, et craignant que sa beauté ne fût réservée aux débats et à la brutalité des païens, se précipité sur le sacrilège meurtrier de l’évêque ; l’insultant à grands cris, provoquant son martyre, elle de frappe d’un soufflet, lui arrache les yeux, animée par une force divine, et les jette à terre. Bientôt égorgée par les barbares transportés de fureur, et donnant son sang à son Dieu, elle partagea avec son frère et d’autres saint victorieux la palme du martyr ; car parmi le peuple, beaucoup, soit clercs, soit laïques, imitèrent cette constance ; et, participant à la souffrance, méritèrent de participer aussi à l’éternelle béatitude de leur père selon Jésus-Christ. On cite entre autres, comme les plus illustres, le diacre Florent et saint Joconde, dont les têtes sont conservées à Rheims derrière l’autel de la sainte vierge Marie, mère de Dieu.

Cependant les barbares demeurent étonnés de la constance de la vierge et de la subite punition du meurtrier. Les massacres étaient finis, le sang des saints ruisselait à grands flots ; tout-à-coup une horreur d’épouvante les saisit ; ils voient des armées célestes qui viennent venger le sacrilège ; la basilique retentit d’un bruit épouvantable. Redoutant la vengeance divine, ils abandonnèrent le butin ; leurs bataillons fuient dispersés et quittent en tremblant la ville, laquelle demeura longtemps solitaire ; car les chrétiens, réfugiés dans les montagnes, n’osaient en descendre dans la crainte des barbares, et les barbares redoutaient d’y retrouver les célestes visions qui les avaient frappés. Dieu seul et ses anges veillaient à la garde des saints martyrs ; tellement que la nuit on voyait de loin les lumières célestes ; quelques-uns même entendirent les saints et doux concerts des Vertus et des Dominations du paradis. Rassurés enfin par cette miraculeuse révélation de la victoire divine, les habitants que la Providence avait conservés pour ensevelir les saints rentrent dans Rheims en faisant des prières. Arrivés au lieu où gisent les corps, ils sentent s’exhaler une odeur de parfums délicieux. Mêlant la joie aux gémissements, ils célèbrent en pleurant les louanges du Seigneur, préparent pour la sépulture les saintes reliques, et les déposent avec respect en des lieux convenables autour de la ville. Quant aux corps de saint Nicaise et de sainte Eutrope sa sœur, ils les ensevelirent solennellement dans le cimetière de l’église de Saint-Agricole, fondée longtemps auparavant, et magnifiquement décorée par Jovin, homme très chrétien et maître de la cavalerie romaine ; en sorte qu’il semblerait que la Providence eût préparé de loin cette demeure sainte, plutôt pour la dignité et célébrité de ces saints martyrs, que pour le dessein et la condition de sa fondation première.

Depuis que les corps de ces saints martyrs ont été déposés dans cette église, d’innombrables miracles l’ont illustré. Par leurs mérites et leurs prières, les malades y ont recouvré la santé et la force, et leur exemple enseigne aux fidèles à marcher dans le chemin du ciel. Saint Jérôme écrivant à une jeune veuve de noble origine, nommée Aggerunchia, et l’exhortant à persévérer dans le saint état du veuvage, fait mention de cette persécution des barbares ; il dit entre autres choses :

« D’innombrables nations barbares s’emparèrent de toute la Gaule. Les Quades, les Vandales, les Sarmates, les Alains, les Gépides, les Hérules, les Saxons, les Bourguignons, les Allemands, les Pannoniens, horrible république, ravagèrent tout le pays renfermé entre les Alpes et les Pyrénées, entre l’océan et le Rhin. Assur était avec eux. Mayence, ville autrefois fameuse, fut prise et saccagée, et des milliers de chrétiens furent égorgés. La capitale des Vangions [1] fut ruinée par un long siège. Les peuples de la puissante ville de Rheims, d’Amiens, d’Arras, ; les Morins, situés aux extrémités de la Belgique, ceux de Tournai, de Spire, de Strasbourg, furent transportés dans la Germanie, les Aquitains, la Novempulanie lyonnaise, la Narbonnaise furent dévastés, excepté quelques villes, que le fer ruinait au-dehors et la famine au-dedans ».

Enfin on dit que saint Remi avait fixé sa demeure dans cette basilique, afin que comme en esprit il approchait sans cesse des mérites des saints martyrs, il en approchât aussi en corps et en personne. On montre encore aujourd’hui, près de l’autel, le petit oratoire où il aimait à prier en secret, et à offrir, loin du bruit populaire, au Dieu qui voit tout les saintes hosties de contemplation. C’est là qu’un jour il vaquait à ces pieux exercices, lorsque, apprenant tout-à-coup l’incendie de la ville, il accourut pour l’arrêter en invoquant le Seigneur, et, secondé de l’appui des saints, laissa les traces de ses pas empreintes pour toujours sur les pierres des degrés de l’église.

Texte de Flodoard (Histoire de l'Église de Rheims).


[1] Worms.

                         AUTRE TEXTE: Le Martyre de Saint Nicaise

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