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Ils sont pauvres et enrichissent un grand nombre...
Jeudi dernier
nous avons célébré la solennelle Ascension du Seigneur, son
retour au Père, avec l’envoi en mission des Apôtres.
Au moment de
l’Ascension, les Apôtres sont toujours au nombre de onze,
mais le premier souci de Pierre, après ces jours de prière
qui précédaient la Pentecôte, est de rétablir le saint
nombre des Douze, établi par Jésus-Christ pour faire suite
aux douze tribus d’Israël, héritées des douze fils de Jacob.
Pour mémoire,
ces douze fils étaient : Ruben, Siméon, Lévi, Juda, Issacar,
Zabulon, Dan, Nephthali, Gad, Aser, Joseph, Benjamin, dont
les douze tribus d’Israel porteront les noms, quand Israël
reprit possession des terres de la Palestine, après l’Exode
d’Egypte. Toutefois, la tribu de Joseph fut scindée en deux
autres (Manassé et Ephraïm), car celle de Lévi ne reçut pas
de terre propre, les “lévites” devant avoir une autre
“constitution”.
Pierre donc,
citant le psaume 108, propose alors “qu’un autre prenne
sa charge” ; le psaume 108 en effet évoque toute la
trahison dont fut victime Jésus, l’exclusion du traître, la
souffrance du Sauveur, et le remplacement de ce traître.
Jésus y fait aussi allusion dans sa prière quand il dit
(évangile d’aujourd’hui) : “J’ai veillé sur eux, et aucun
ne s’est perdu, sauf celui qui s’en va à sa perte de sorte
que l’Ecriture soit accomplie”.
Quelles
qualités doivent avoir les “candidats” présentés : aucune
performance humaine ! Mais principalement avoir accompagné
Jésus depuis son baptême par Jean-Baptiste jusqu’à
l’Ascension : en un mot, dit Pierre, qu’il soit témoin de la
Résurrection comme les autres . En effet, la Résurrection
est désormais au centre de la Foi témoignée par les Apôtres,
comme le dira saint Paul plus tard : “Si le Christ n’est pas
ressuscité, vaine est notre foi” (1Co 15:17).
Matthias est
désigné ; il sera le “treizième apôtre” ; fêté le 14 mai, il
aurait évangélisé l’Ethiopie, d’après une tradition fort
ancienne, ou bien aussi la Judée. Joseph Barsabbas, lui, est
humblement rentré dans le silence : un des soixante-dix
disciples de Jésus, comme Matthias, il aurait bien pu être
choisi ; c’est vraiment parce que l’on ne pouvait discerner
le meilleur des deux qu’on tira au sort. Il reste que Joseph
est commémoré le 20 juillet, et l’évêque et grand historien
Eusebius de Césarée (IVe siècle), rapporte qu’il aurait bu
un poison mortel sans en éprouver aucun mal.
Toutes ces
considérations historiques ne sont pas très “pastorales”,
mais elles voudraient compléter un peu nos connaissances,
qui souvent restent insuffisantes, au point qu’à force
d’entendre les versets de l’Ecriture, on en vient à
s’interroger sur tel personnage ou tel fait historique.
C’est que nos enfants vont aussi nous poser des questions,
tôt ou tard, et que leur répondrons-nous ? Si nous sommes
ignorants, ils le seront encore davantage, tandis que
raconter et répéter inlassablement les belles histoires de
l’Ecriture et de la vie de l’Eglise, consolident la vie
familiale en alimentant notre amour fraternel de bonnes et
saintes références.
C’est ce que
firent beaucoup de saints parents pour éduquer leurs enfants
; ils n’étaient peut-être pas toujours très cultivés, au
sens scolaire du mot, mais leur mémoire conservait
fidèlement tout ce qu’ils avaient appris des prêtres à
l’église et ils avaient ainsi beaucoup de choses à enseigner
à leurs enfants. Ainsi Blanche de Castille qui disait à son
fils Louis (futur Louis IX) : “Mon fils, je préférerais
mille fois te savoir atteint de la peste que de te savoir
coupable d’un seul péché mortel.”
Cet amour de
Dieu, ce respect des Choses Saintes, cette fidélité à
l’Eglise, illustrent l’enseignement que nous donne l’Apôtre
de l’Amour, saint Jean, dans son évangile ou dans son
épître, que nous lisons aujourd’hui. “Si nous nous aimons
les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour
atteint en nous sa perfection - Celui qui demeure dans
l’Amour, demeure en Dieu, et Dieu est en lui”.
Certes, cet
idéal est totalement différent de celui de la société où
vivent les chrétiens, ce qui n’empêche pas ces derniers de
vivre quand même dans le monde, au milieu de tous les autres
hommes ; ils sont là comme un ferment, discret, qui peu à
peu va faire “lever la pâte” de cette société en la rendant
meilleure, en lui montrant des repères, en montrant comment
l’on peut pardonner du fond du cœur.
Quand Jésus dit
que nous ne sommes “pas du monde”, comme lui-même, il
rappelle aux Apôtres qu’ils ne peuvent adopter les façons du
monde où germent la jalousie, la haine, l’orgueil… Comme il
est stupide, et infiniment triste, que des camarades en
viennent à se haïr pour le simple motif qu’ils soutiennent
des clubs sportifs différents ! Ou que des voisins se
chamaillent pour une histoire de clôture ! Ou qu’on en
vienne aux coups, aux blessures, aux escarmouches, aux
guerres, qui n’arrangent rien au grand jamais !
Dans la “Lettre
à Diognète” longtemps attribuée au philosophe saint Justin
(Ier siècle), on trouve cette belle description des
chrétiens qui, vivant dans le monde, ne sont pas du monde :
“Les
Chrétiens ne se distinguent des autres homes ni par le pays,
ni par le langage, ni par les vêtements. Ils n’habitent pas
de villes qui leur soient propres, ils ne se servent pas de
quelque dialecte extraordinaire, leur genre de vie n’a rien
de singulier (…) Ils se conforment aux usages locaux pour
les vêtements, la nourriture et la manière de vivre, tout en
manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales
de leur république spirituelle. Ils résident chacun dans sa
propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils
s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens, et
supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute
terre étrangère leur est une patrie et toute patrie une
terre étrangère. Ils se marient comme tout le monde, ils ont
des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés.
Ils partagent tous la même table, mais non la même couche.
Ils sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair.
Ils passent leur vie sur la terre, mais sont citoyens du
ciel. Ils obéissent aux lois établies et leur manière de
vivre l’emporte en perfection sur les lois. Ils aiment tous
les hommes et tous les persécutent. On les méconnaît, on les
condamne ; on les tue et par là ils gagnent la vie. Ils sont
pauvres et enrichissent un grand nombre (…) On les insulte
et ils bénissent (…) En un mot, ce que l’âme est dans le
corps, les Chrétiens le sont dans le monde” (A Diognète,
Cerf, 1997, pp.63-65).
Discrètement
enfermés dans le Cénacle, les Apôtres font leur
“récollection” : ils méditent sur l’amour fraternel, avec
Marie, la mère de Jésus. Ils prient et se préparent ainsi à
recevoir, au prochain jour de la Pentecôte, la plénitude de
l’Esprit, l’Esprit d’Amour et d’Unité. Avec eux, disons de
tout notre cœur :
“Veni, Sancte
Spiritus, reple tuorum corda fidelium”
“Viens, Esprit Saint, remplis le cœur de tes fidèles”
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