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L’événement de la Pentecôte est l’anti-Babel par
excellence
Pendant
cinquante jours, le cierge pascal est resté allumé près de l’autel, signe de la
résurrection : il fut allumé durant la veillée pascale, au feu nouveau hors de
l’église, et introduit dans le sanctuaire, toutes lumières éteintes, rappelant
la nuée lumineuse qui guidait les Juifs dans le désert, et symbolisant désormais
notre Guide ressuscité, Christ vainqueur.
Autrefois, on éteignait ce cierge au jour de l’Ascension, juste après la lecture
de l’évangile, pour montrer le départ de Jésus. Mais une sainte tradition a été
reprise depuis peu, remontant aux temps de la première chrétienté : les
cinquante jours du “temps pascal”, jusqu’à la Pentecôte, étaient fêtés “comme
un seul jour” (sicut dies unus), “le” Jour du Seigneur. Voilà
pourquoi le cierge pascal est éteint en ce jour de Pentecôte, lorsque le temps
pascal est achevé.
L’épisode
de la Pentecôte est assez connu de chacun de nous. Beaucoup de représentations
iconographiques illustrent le récit de saint Luc : langues de feu qui se posent
au-dessus de Marie et des Apôtres dans le Cénacle. Ce qu’on n’a pas pu
reproduire, et pour cause, c’est qu’“ils se mirent à parler en d’autres
langues”.
Nous
savons que, pour punir l’orgueil des hommes qui prétendaient édifier une tour
énorme devant relier la terre au ciel (la tour de Babel), Dieu fit que tous ces
hommes parlassent en tant d’idiomes divers, qu’ils ne se comprenaient plus et
qu’ils se séparèrent, abandonnant leur projet grandiose (Gn 11:1-9).
Au matin
de la Pentecôte, il se passe quelque chose de tout-à-fait opposé : l’amour du
Christ immolé pour tous les hommes, l’amour de Dieu et du prochain qui anime les
Apôtres, et l’amour de la Vérité qui ouvre les oreilles du cœur à toute cette
foule, font que ces hommes, d’origines pourtant si différentes, viennent s’unir
d’un seul cœur autour de l’enseignement de Pierre. Leur réaction est toute
simple (cf. lecture du 4e dimanche de Pâques) : “Que devons-nous
faire ? ― Convertissez-vous”, leur répondit Pierre, “et vous recevrez le
don du Saint Esprit”. La conversion du cœur et le vrai Amour de Dieu a réuni
ce que l’orgueil avait dispersé : l’événement de la Pentecôte est l’anti-Babel
par excellence, où l’unité se reconstruit par-delà les races et les nations.
Chacun a
donc bien compris clairement ce qu’il a entendu. Il ne s’est pas agi d’une sorte
de brouhaha informe, où chacun aurait émis les sons les plus bizarres, les
mélodies les plus invraisemblables, une espèce de cacophonie inaudible ― comme
ce qui a pu se passer à Babel. “Parler en langues” au nom de l’Esprit
Saint est décidément bien autre chose que cela.
En
passant ― mais cette digression trouve tout de même sa place aujourd’hui, fête
de la Pentecôte ― on aimerait bien suggérer que, dès le catéchisme, et
régulièrement aux célébrations, tous apprissent quelques prières, quelques
chants dans une langue et dans un style qui serait commun à l’Élise universelle,
de sorte qu’au Japon ou en Argentine, en Italie ou en Afrique, on pourrait avoir
les mêmes accents, les mêmes expressions. Ainsi le Père Roger Buliard (†) qui
évangélisait les Esquimaux, pensait adapter des chants à la langue de ses
ouailles ; il se heurta à la ferme opposition des Esquimaux qui voulaient, d’un
seul cœur, “chanter comme à Rome”. Ainsi aussi un Prélat italien de
passage à Dakar (dans les années 70), remarqua avec stupéfaction que les Noirs y
chantaient le chant grégorien bien mieux que chez lui.
Donc, en
cette fête de la Pentecôte, douze Apôtres (Matthias venait d’être élu pour
remplacer Judas) ― remplis de l’Esprit Saint se firent comprendre et amenèrent
au baptême trois mille hommes (une moyenne de 250 conversions par Apôtre !).
Mais on pourrait bien ici poser une petite question critique : Pourquoi les
Apôtres ont-ils attendu l’Esprit de la Pentecôte pour parler ouvertement, alors
que Jésus leur a “insufflé” l’Esprit le soir même de la Résurrection (l’évangile
d’aujourd’hui reprend en effet celui du deuxième dimanche de Pâques). Il s’agit
non pas d’Esprits différents, mais d’effets différents du même Esprit.
Au soir
de la Résurrection, Jésus “souffle” sur ses Apôtres pour leur donner un pouvoir
spécial, celui de remettre les péchés. En latin, “spiritus” signifie souffle. Au
soir de la Cène, ils sont devenus évêques, prêtres ; au soir de Pâques, ils
reçoivent ce pouvoir pastoral de remettre les péchés ; c’est un sacrement
nouveau. Dans l’ancienne loi, “seul Dieu peut remettre les péchés” (Mt
5:21), mais maintenant Dieu confie ce pouvoir aux Apôtres, qui le communiqueront
à tous les évêques, à tous les prêtres.
Oh ! ce
pouvoir de remettre les péchés ! Comme il est heureux, le prêtre qui dit à un
pécheur : “Je vous pardonne tous vos péchés”. Et comme on se sent
vraiment allégé quand on se relève ensuite, après avoir entendu ces mots
sauveurs ! Merci, mon Dieu, pour ton Amour.
{On se
rappellera ici un petit détail liturgique d’autrefois, un peu amusant peut-être,
mystérieux sans doute, mais que les lignes précédentes peuvent mettre en
lumière. Lors de leur ordination sacerdotale, les prêtres étaient revêtus de
leur chasuble, mais pas entièrement : on la leur laissait un peu pliée, ramassée
sur les épaules, avant de la déployer complètement à la fin du rite. A ce
moment-là l’évêque consécrateur leur donnait le pouvoir de remettre les péchés.
C’était une allusion aux deux moments distincts de la Cène et de la
Résurrection.}
Le jour
de la Pentecôte, en revanche, l’Esprit qui vient en langues de feu ébranler le
Cénacle et les Apôtres en prière avec Marie, est cet Esprit de force que tout
baptisé doit recevoir un jour dans le sacrement de Confirmation. Et l’on
objectera : mais alors, les Apôtres ont été prêtres avant de recevoir la
Confirmation ! Pour eux, il devait en être ainsi, puisque c’est Jésus qui devait
leur conférer le Sacerdoce, avant de mourir. Mais pour la foule qui se convertit
là, l’Esprit leur a été donné aussitôt après le Baptême, ce que fit toujours
l’Église par la suite, jusqu’à nos jours. Baptême, Eucharistie et Confirmation
sont les trois sacrements de l’initiation chrétienne. C’est pourquoi,
normalement, ils sont nécessaires avant tout autre sacrement. Les Actes ne
disent pas quand cette foule a reçu ensuite l’Eucharistie, mais on sait que très
vite s’est instaurée parmi les baptisés l’habitude de célébrer la Résurrection
chaque dimanche, donc également l’Eucharistie.
Nous
rejoignons maintenant saint Paul dans son fameux chapitre sur l’Esprit : Les
dons de la grâce sont variés, mais c’est toujours le même Esprit. Tous nous
avons été baptisés dans l’unique Esprit pour former un seul corps. Nous voyons
ici quelle solution propose Paul pour édifier une société comme Christ la veut :
que chacun soit animé d’un seul et unique Esprit ; prêtre ou laïc, avocat ou
cordonnier, ouvrier ou patron, informaticien ou pêcheur à la ligne, chacun a sa
place irremplaçable dans la société et dans l’Église, mais chacun doit recevoir
l’Esprit de l’unique Corps du Christ.
On dit
très souvent que la Pentecôte est la naissance de l’Église. Précisons que cette
naissance ― à l’instar de toute naissance ― se prépare et s’achève dans les
douleurs de l’enfantement : la formation de l’Église commence dès la conception
de Jésus dans le sein de Marie ; et après les douleurs de la Passion, apparaît
la Tête de ce Corps mystique, et après Elle tous les autres membres vivants :
ces membres vont désormais agir à partir de la Pentecôte.
Vraiment,
invoquons sur nous l’Esprit de Dieu, l’Esprit d’Amour, l’Esprit d’unité,
l’Esprit de paix ; l’Esprit de force, l’Esprit de l’évangélisation, pour qu’au
terme de ce temps pascal comme au jour de notre Confirmation, nous soyons
conduits par cet unique Esprit. La Sainte Messe d’aujourd’hui s’achève avec le
double alleluia ; répétons-le avec toute la joie de notre cœur :
Allez
dans la paix du Christ, alleluia, alleluia.
Nous
rendons grâces à Dieu, alleluia, alleluia.
Abbé Charles Marie de Roussy
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