Présence eucharistique

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PRÉSENCE EUCHARISTIQUE
Étude de S. Exc. Mgr Garrone

Étant donné l'attrait qu'avait le bienheureuse Alexandrina pour l'Eucharistie, nous avons décidé de publier quelques documents qui concernent le Sacrement de l'Amour, “le plus grand miracle de la Sagesse divine”.

Le document qui suit est déjà ancien — mais cette ancienneté ne lui enlève nullement son actualité — et est sorti de la plume de l'un des plus grands évêques français: l'archevêque de Toulouse, Mgr Gabriel Marie Garrone. Il ne fait aucun doute qu'Alexandrina l'aurait lu avec “avidité”, si elle avait put le faire, voilà une raison supplémentaire pour nous le publiions.

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La récente Constitution conciliaire est venue heureusement consacrer, redresser, promouvoir la vie liturgique de l'Église. Il n'est pas permis de douter que sa mise en œuvre loyale, mesurée, progressive, n'ouvre à la communauté chrétienne les voies d'un grand progrès.

Il faut veiller cependant.

En effet, à la faveur d'un texte nouveau, des idées fausses peuvent chercher à trouver une issue, des imprudences se commettre dont le retentissement peut aller jusqu'à altérer la foi.

C'est ainsi qu'une affirmation vigoureuse est devenue nécessaire sur le point de la présence réelle. Il est temps de s'interroger, qu'on soit prêtre ou qu'on soit laïc, pour prévenir un glissement, affermir sa pensée, peut-être déjà réparer quelque fine fissure née d'insinuations plus ou moins inconsidérées.

Il y a une pensée de l'Église au sujet de la Présence réelle[1].

Cette pensée s'est définie de la façon la plus formelle.

On ne peut s'en écarter sans s'écarter de ta foi.

C'est le Concile de Trente qui a énoncé en cette matière ce que nous devons croire :

« Le Concile affirme ouvertement et sans détour que, dans le vénérable sacrement de la sainte Eucharistie, après la consécration du pain et du vin, Notre-Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, est présent vraiment, réellement et substantiellement sous l'apparence de ces réalités sensibles. »

Pour être philosophique d'apparence, la présentation de la foi n'en a que plus de force par la rigueur et l'accumulation des termes. Chacun d'eux ferme une issue. Il fait face à une erreur, à une manière de contester ou de diminuer le contenu de la foi, à l'un ou l'autre des multiples substituts inventés par la Réforme pour échapper à la certitude simple et nette de la présence du Seigneur. Ces précisions sont indispensables aux théologiens, car rien ne doit être laissé à l'équivoque.

Mais, pour nous chrétiens, l'idée et la réalité sont simples et claires, et c'est ce que l'Église veut à tout prix sauver : Le Christ est là présent. La petite flamme exigée par la liturgie dit parfaitement ce qu'elle veut dire : Là, Quelqu'un vit.

Comment ? La théologie ne se flatte pas de savoir l'exprimer. Elle prévient plutôt les interprétations grossières. Elle demande seulement qu'on en croie le Seigneur sur parole et qu'on ne vide pas d'une présence réelle soit le sacrifice que le Christ a offert de son Corps et de son Sang, soit cette communion par laquelle il se rend intérieur à nous et “demeure en nous”. Là en effet, où la Présence réelle a cessé d'être un objet ferme de foi, ou bien où elle s'est effacée, on a vu s'évanouir la foi au sacrifice de la messe et à la communion: tout cela se tient.

On entend ici Pascal : « Que le hais ces sottises de ne pas croire à l'Eucharistie ! Si l'Évangile est vrai, si Jésus-Christ est Dieu, quelle difficulté y a-t-il là ? » (Pensée 224.) Et c'est bien ainsi que l'Église l'a vécu.

La présence réelle dans le tabernacle

Tout proche de nous, si vivant encore dans les familles issues de sa pensée et de sa prière, c'est un P. de Foucauld. Seul en plein désert avec cette Présence, et donc le moins seul des hommes. Heureux, rayonnant de joie: la lumière de son visage est presque bouleversante. Heureux de cette Présence qu'une grâce exceptionnelle lui rend presque sensible dans une foi ardente. Sa prière, dont l'écho nous est si largement donné à travers ses notes, est jusqu'au plus profond pénétrée de cette certitude, vibrante de ce contact.

Exemple proche, providentiellement proche, et merveilleusement fécond.

Mais non unique. Les témoins d'une telle grâce jalonnent l'histoire de l'Église. Celle-ci a lentement découvert son propre Trésor. Et la joie indicible de posséder, sacramentellement, tout près de sot, le Seigneur que le Sacrifice met entre nos mains, a engendré le don de vies entières, la naissance de familles innombrables où la contemplation trouve à travers l'Eucharistie un chemin large, ouvert et un élan sans fin, développé souvent en œuvres apostoliques.

Mais ce sont là des vocations particulières. Il y a la grande route commune. Il y a la ferveur tranquille et quotidienne des simples, ceux que le Christ aime tant, ceux pour qui sa Parole est tout bonnement vérité. Il y a ces hommes, ces femmes pour qui entrer dans une église c'est y trouver sacramentellement leur Seigneur. Qui dira ce que la Présence eucharistique a ainsi réveillé de foi, entretenu d'amour, maintenu de fidélité ? On ne pense pas sans un serrement de cœur et une inquiétude profonde à l'énorme baisse du potentiel de prière, qui s'opère en notre temps par le fait d'une dévotion fléchissante envers l'Eucharistie. La piété chrétienne désertera, et commence déjà, de déserter l'église brusquement transformée en une sorte de temple mort où l'on cherche avec peine, et quelquefois l'on ne sait plus où trouver le signe providentiel de la Présence du Seigneur et du Sauveur.

Il y a une continuité entre la Volonté divine qui a rendu Dieu sensible aux yeux, à l'oreille, à la main des êtres de chair que nous sommes (1 Jean, 1), et cette Présence sacramentelle dont notre prière a besoin pour ranimer son élan, pour maintenir sa flamme.

Que serait la prière d'un Curé d'Ars sans cette Présence ?

Que sera donc la prière de nos fidèles dans telle église qu'on pourra bientôt impunément fermer en dehors des heures de culte ? Ce n'est pas cela que le Concile a voulu ! Et ce n'est pas l'heure de retirer aux âmes les moyens de prière que Dieu leur a donnés. Qui peut contester le fait de cette chaleur qui vient spontanément hausser le niveau de la prière dans telle célébration si désespérément glacée malgré la Parole de Dieu, lorsque l'Eucharistie vient nous offrir, avec la Présence sacramentelle, le Seigneur même de la Parole ? Quelle aberration que d'en priver nos fidèles !

La recherche théologique

Bien sûr, cette Présence est un grand mystère pour nous.

Moins tout de même que l'Incarnation qui est le vrai mystère.

Bien sûr que la théologie doit continuer de réfléchir sur ce point. Et l'on ne peut que se réjouir de l'effort qui se déploie aujourd'hui même. On ne doit même pas refuser d'essayer des formules qui rendront plus parfaitement compte de la foi; pourquoi pas ? Il suffit que la foi soit sauve en sa source et en sa continuité, et que le magistère ne marque pas sa désapprobation.

Il fait tout de même bon se souvenir d'un saint Thomas d'Aquin. L'Église n'a sans doute jamais connu de théologien de cette envergure. Paisiblement il a été un créateur. Or on sait ce que fut sa dévotion à l'Eucharistie, et ce sont ses cantiques qui portent depuis des siècles la ferveur de l'Église en sa Fête-Dieu. Le tabernacle était le lieu de sa plus profonde réflexion et sa prière trouvait là sa source préférée et la plus féconde. On ne dégénère pas en suivant cette trace.

On s'étonne donc que certains jettent aujourd'hui le trouble, et déconcertent par des insinuations entendues la simplicité de la loi chrétienne sur un tel point. Quelle que soit l'explication ou l'expression théologique — toujours humaine — qu'un génie pourra en donner, la vérité demeure où doit s'arrêter la loi, où peut s'appuyer à coup sûr la prière, sans attendre les développements savants : le Christ de la Passion et de l'Eucharistie demeure réellement présent sacramentellement parmi nous. Le chrétien qui va mourir peut le recevoir comme on le reçoit à la messe. Le chrétien qui a besoin que la présence du Seigneur lui soit d'une certaine façon sensible peut venir en sécurité près du tabernacle. Il ne se trompera pas.

Le prêtre a le devoir de ne pas laisser le chrétien privé de ce trésor.

Notre temps mourra de froid s'il ne prie plus. Il oubliera Dieu.

Rendons-lui le goût et le sens de la Présence réelle dont il a besoin.

Gabriel-Marie GARRONE,
archevêque de Toulouse.


LA DOCUMENTATION CATHOLIQUE, No 1468, 3 avril 1966

[1] Une encyclique du Souverain Pontife vient de rappeler la doctrine : il faut s'en pénétrer (encyclique Mysterium Fidei).

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