Saint Quirin était un
saint évêque ; il vivait sous l'empire de Dioclétien et de Maximien,
qui excitèrent une
très cruelle persécution contre les chrétiens :
ce fut la dixième. Il était évêque de Siscie, ville de Sclavonie en
la province Illyrique.
Il arriva donc,
comme on faisait ainsi la guerre aux chrétiens, qu'on ruinait les
églises de fond en comble, qu'on brûlait les Écritures saintes en
pleine place, que le président Maximin, qui depuis fut créé César et
succéda même à Maximien en l'empire, vint en la ville de Siscie pour
faire exécuter les édits des empereurs, et particulièrement pour y
trouver et faire saisir saint Quirin; car c'était aux prélats et aux
pasteurs que l'on en voulait sur tous les autres. Ce saint évêque,
entendant parler de son dessein, voulut pratiquer l'avis que
Notre-Seigneur donnait à ses disciples, que si on les persécutait
en une ville, ils s'enfuissent en une autre; mais il ne sut si bien
faire qu'il ne fût découvert, appréhendé, et mené devant ce tyran.
Ce qui rendait encore
pins obstinés tous ces tyrans en leur persécution, était que
plusieurs évêques, principalement en Afrique, tournèrent lâchement
le dos à Dieu pour obéir à l'édit impie, livrèrent perfidement les
livres sacrés, et conspirèrent ensemble contre les bons qu'ils
avoient opprimés par calomnies, déchirant ainsi l'Église par un
schisme cruel. Cela les rendait encore plus fiers, s'imaginant venir
plus facilement à bout des autres. Mais eu cela ils furent bien
trompés en notre saint Quirin, parce que sur la première question
qu'on lui fit touchant sa religion, il confessa hardiment qu'il
était chrétien, reconnaissant et adorant Jésus-Christ pour le vrai
Dieu, créateur du ciel et de la terre, et qui par sa mort avait
racheté le monde du démon : que pour lui, le plus grand bonheur et
la plus grande faveur qui pouvaient lui arriver seraient de répandre
jusqu'à la dernière goutte de son sang pour la défense de son saint
Nom. Là-dessus, par le commandement du tyran, il fut cruellement
battu à coups de bâton et ensuite mené en prison, enchaîne comme le
plus scélérat des hommes.
Mais la nuit suivante,
Dieu, qui ne laisse jamais ses fidèles serviteurs sans consolation,
au milieu même de leurs plus grandes oppressions, ne manqua pas
aussi de consoler le saint prélat en sa prison, le remplissant d'une
grande lumière céleste. Cette lumière ayant été aperçue par le
geôlier, qui s'appelait Marcel, il reconnut aussitôt que cela ne
pouvait être un effet que du vrai Dieu, qu'il crut pour lors être
celui que saint Quirin adorait. Ainsi il lui ouvrit la prison, et
lui donna la liberté de sortir s'il le désirait; puis s'étant jeté à
genoux devant lui, il se convertit à la foi de Jésus-Christ et reçut
le baptême par les mains du saint évêque.
Trois jours
après, Maximin commanda que l'on menât saint Quirin garrotté au
président Amant, en une ville de la Pannonie, où il était, et après
l'avoir fait rudement traiter à coups de bâton, il l'envoya
prisonnier. Il lui arriva encore une faveur particulière que
Notre-Seigneur lui fit : c'est que quelques honnêtes femmes chrétiennes
l'étant allé visiter et le consoler, et lui ayant porté quelque
chose pour boire et manger, sitôt qu'il eut fait la bénédiction sur
les viandes, ses chaînes lui tombèrent des pieds et des mains, afin
que plus commodément et sans peine il pût prendre sa réfection.
Enfin il fut présenté
le lendemain pour la dernière fois à ce président, qui, tâchant de
le gagner par de belles paroles, lui apporta toutes les raisons
possibles pour lui persuader de sacrifier aux idoles. Mais tout cela
fut en vain, et sa rhétorique n'eut pas assez de force pour émouvoir
cette âme généreuse. Amant, voyant que la douceur ne lui avait de
rien servi, changea de propos, et voulut essayer de l'intimider par
les menaces de toutes sortes de supplices, croyant peut-être que la
rigueur ferait ce que la douceur n'avait pu faire. Mais saint Quirin,
méprisant ses discours également remplis de promesses et de menaces,
demeura ferme en sa foi, comme un rocher qui est au milieu de la
mer.
Là-dessus ce tyran, ne
pouvant plus supporter cette sainte constance, écumant de colère
comme un enragé, commanda que promptement il fût jeté au milieu du
fleuve, avec une meule de moulin attachée à une de ses mains, afin
qu'en mourant par ce moyen il fût privé de la sépulture des
chrétiens, et que la mémoire en fût perdue, en le faisant servir de
pâture aux poissons. Ainsi donc du haut d'un pont il fut précipité
en l'eau.
Chose admirable ! que
ce qui devait lui servir pour avancer sa mort, servit au contraire
pour conserver et prolonger sa vie ! Car cette meule de moulin, par
un secret de l'adorable providence divine, nageant sur l'eau,
conservait la vie à celui à qui on la voulait faire perdre; et le
saint évêque, contre l'ordre de la nature, trouva plus d'assurance
en l'eau que sur la terre. Ce spectacle donnait bien de l'étonnement
aux païens qui étaient là présents; mais il donnait aux chrétiens
une grande consolation, qui les confirmait merveilleusement en la
foi, et leur faisait admirer la toute-puissance divine.
Saint Quirin de
son côté, flottant ainsi sur l'eau, louait et glorifiait la majesté
de Dieu, qui le conservait de la sorte à la grande confusion de ses
ennemis, et s'adressant aux chrétiens qui accouraient
de tous côtés sur le rivage de l'eau, et qui eussent très volontiers
sauvé leur saint prélat s'ils eussent osé, il leur fit une dernière
exhortation, par laquelle il les consola et les confirma en la foi
de Jésus-Christ. Mais craignant qu'une si grande longueur de martyre
lie donnât de la terreur à quelques-uns d'eux, qui
étaient
encore faibles,
il fit prière à Dieu de lui donner la couronne de victoire, comme il
arriva bientôt après, son corps s'en allant doucement au fond de
l'eau, pendant que son âme s'envola au ciel, le quatrième jour de
juin, l'an de Notre-Seigneur 308.
Les chrétiens,
consolés d'une part de la constance et du grand courage que saint
Quirin avait eus jusqu'à la mort, et d'autre part fâchés de la perte
d'un si bon prélat, ne savaient comment se résoudre. Ils allaient
sur le rivage cherchant son saint corps, et quelques jours après
l'ayant trouvé à bord, où l'eau l'avait jeté, ils l'ensevelirent en
une chapelle qui était là auprès, hors de la ville. Mais depuis,
comme les barbares ravageaient ce pays-là, les chrétiens furent
contraints de s'enfuir et de se retirer à Rome, où ils portèrent
aussi en même temps le corps de saint Quirin, et le mirent en la
voie Appienne, en l'église nommée aux Catacombes, où reposait aussi
le corps de saint Sébastien, avec les reliques de plusieurs autres
saints
martyrs.
Toutefois il se trouve que quelques temps après ce saint fut
transporté à Milan par l'évêque du lieu, nommé Angilbert. Mais Molan
assure que quatre cents ans après son martyre, sous le règne de
Pépin, les reliques de saint Quirin furent transportées en Bavière
au monastère de Tégorin.
Tous les Martyrologes
font une honorable mention de saint Quirin. |