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dimanche deS
RAMEAUX
— C — |
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Lecture du livre d'Isaïe
(L 4-7)
Dieu mon Seigneur m'a donné le langage d'un homme qui se laisse instruire, pour
que je sache à mon tour réconforter celui qui n'en peut plus. La Parole me
réveille chaque matin, chaque matin elle me réveille pour que j'écoute comme
celui qui se laisse instruire. Le Seigneur Dieu m'a ouvert l'oreille, et moi, je
ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé. J'ai présenté mon dos à ceux
qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m'arrachaient la barbe. Je n'ai pas
protégé mon visage des outrages et des crachats. Le Seigneur Dieu vient à mon
secours : c'est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, c'est pourquoi
j'ai rendu mon visage dur comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu. |

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Psaume 21
Tous ceux qui me voient me bafouent,
ils ricanent et hochent la tête :
“ Il comptait sur le Seigneur : qu'il le délivre !
Qu'il le sauve, puisqu'il est son ami ! ”
Oui, des chiens me cernent,
une bande de vauriens m'entoure ;
ils me percent les mains et les pieds :
je peux compter tous mes os.
Ils partagent entre eux mes habits
et tirent au sort mon vêtement.
Mais toi, Seigneur, ne sois pas loin :
ô ma force, viens vite à mon aide !
Mais tu m'as répondu !
Et je proclame ton nom devant mes frères,
je te loue en pleine assemblée.
Vous qui le craignez, louez le Seigneur. |

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Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens
(II 6-11)
Le Christ Jésus, lui qui était dans la condition de Dieu, n'a pas jugé bon de
revendiquer son droit d'être traité à l'égal de Dieu ; mais au contraire, il se
dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur. Devenu semblable aux
hommes et reconnu comme un homme à son comportement, il s'est abaissé lui-même
en devenant obéissant jusqu'à mourir, et à mourir sur une croix. C'est pourquoi
Dieu l'a élevé au-dessus de tout ; il lui a conféré le Nom qui surpasse tous les
noms, afin qu'au Nom de Jésus, aux cieux, sur terre et dans l'abîme, tout être
vivant tombe à genoux, et que toute langue proclame : « Jésus-Christ est le
Seigneur », pour la gloire de Dieu le Père. |

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La Passion de notre Seigneur Jésus-Christ
selon Saint Luc
(XXII 14 - XXIII 56).
L.
Quand l'heure du repas pascal fut venue, Jésus se mit à table, et les apôtres
avec lui. Il leur dit : +. « J'ai
ardemment désiré manger cette Pâque avec vous avant de souffrir ! Car je vous le
déclare : jamais plus je ne la mangerai jusqu'à ce qu'elle soit pleinement
réalisée dans le royaume de Dieu ».
L. Il prit alors une coupe, il rendit grâce et dit : +. « Prenez
et partagez entre vous. Car je vous le déclare : jamais plus désormais je ne
boirai du fruit de la vigne jusqu'à ce que vienne le règne de Dieu ».
L. Puis il prit du pain ; après avoir rendu grâce, il le rompit et le leur
donna en disant : +. « Ceci
est mon corps, donné pour vous. Faites cela en mémoire de moi ».
L. Et pour la coupe, il fit de même à la fin du repas, en disant : +.
« Cette
coupe est la nouvelle Alliance en mon sang, répandu pour vous.
Cependant
la main de celui qui me livre est là, à côté de moi, sur la table. En effet, le
Fils de l'homme s'en va selon ce qui a été fixé. Mais malheureux l'homme qui le
livre ! »
L. Les apôtres commencèrent à se demander les uns aux autres lequel
d'entre eux allait faire cela.
Ils en arrivèrent à se quereller : lequel d'entre eux à leur avis, était le plus
grand ? Mais il leur dit : +. « Les
rois des nations païennes leur commandent en maîtres, et ceux qui exercent le
pouvoir sur elles se font appeler bienfaiteurs. Pour vous, rien de tel ! Au
contraire, le plus grand d'entre vous doit prendre la place du plus jeune, et
celui qui commande, la place de celui qui sert. Quel est en effet le plus
grand : celui qui est à table ou celui qui sert ? N'est-ce pas celui qui est à
table ? Et bien moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. Vous, vous
avez tenu bon avec moi dans mes épreuves. Et moi, je dispose pour vous du
Royaume, comme mon Père en a disposé pour moi. Ainsi vous mangerez et boirez à
ma table dans mon Royaume, et vous siégerez sur des trônes pour juger les douze
tribus d'Israël. Simon, Simon, Satan vous a réclamés pour vous passer au crible
comme le froment. Mais j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne sombre pas. Toi
donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères.
L. Pierre lui dit : D. Seigneur, avec toi, je suis prêt à aller
en prison et à la mort. L. Jésus reprit : +.
Je te le
déclare, Pierre ; le coq ne chantera pas aujourd'hui avant que, par trois fois,
tu aies affirmé que tu ne me connais pas ».
L.
Puis il leur dit : +. « Quand
je vous ai envoyés sans argent, ni sac, ni sandales, avez-vous manqué de quelque
chose ? »
L. Ils lui répondirent : D. « Mais non ». L.
Jésus leur dit : +. « Eh
bien, maintenant, celui qui a de l'argent, qu'il en prenne, de même celui qui a
un sac ; et celui qui n'a pas d'épée, qu'il vende son manteau pour en acheter
une. Car je vous le déclare : Il faut que s'accomplisse en moi ce texte de
l'Écriture : “ Il a été compté avec les pécheurs ”. De fait, ce qui me concerne
va se réaliser ».
L. Ils lui dirent : D. « Seigneur, voici deux épées ».
L. Il leur répondit : +. « Cela
suffit ».
L.
Jésus sortit pour se rendre, comme d'habitude, au mont des Oliviers, et ses
disciples le suivirent. Arrivé là, il leur dit : +. « Priez,
pour ne pas entrer en tentation ».
L. Puis il s'écarta à la distance d'un jet de pierre environ. Se mettant
à genoux, il priait : +. « Père,
si tu veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que ce ne soit pas ma
volonté qui se fasse, mais la tienne ».
L.
Alors du ciel lui apparut un ange qui le réconfortait. Dans l'angoisse, Jésus
priait avec plus d'insistance ; et sa sueur devint comme des gouttes de sang qui
tombaient jusqu'à terre. Après cette prière, Jésus se leva et rejoignit ses
disciples qu'il trouva endormis à force de tristesse. Il leur dit : +. « Pourquoi
dormez-vous ? Levez-vous et priez, pour ne pas entrer en tentation ».
L.
Il parlait encore quand parut une foule de gens. Le nommé Judas, l'un des Douze,
marchait à leur tête. Il s'approcha de Jésus pour l'embrasser. Jésus lui dit :
+. « Judas,
c'est par un baiser que tu livres le Fils de l'homme ? »
L. Voyant ce qui allait se passer, ceux qui entouraient Jésus lui dirent :
D. « Seigneur, faut-il frapper avec l'épée ? »
L.
L'un d'eux frappa le serviteur du grand prêtre et lui trancha l'oreille droite.
Jésus répondit : +. « Laissez
donc faire ! »
L. Et, touchant l'oreille de l'homme, il le guérit. Jésus dit alors à
ceux qui étaient venus l'arrêter, chefs des prêtres, officiers de la garde du
Temple et anciens : +. « Suis-je
donc un bandit, pour que vous soyez venus avec des épées et des bâtons ? Chaque
jour, j'étais avec vous dans le Temple, et vous ne m'avez pas arrêté. Mais c'est
maintenant votre heure, c'est la domination des ténèbres ».
L.
Ils se saisirent de Jésus pour l'emmener et ils le firent entrer dans la maison
du grand prêtre. Pierre suivait de loin. Ils avaient allumé un feu au milieu de
la cour et ils s'étaient tous assis là. Pierre était parmi eux. Une servante le
vit assis près du feu ; elle le dévisagea et dit : A. « Celui-là aussi
était avec lui ». L. Mais il nia : D. « Femme, je ne
te connais pas ». L. Peu après, un autre dit en le voyant :
A. « Toi aussi, tu en fais partie ». L. Pierre
répondit : D. « Non, je n'en suis pas ». L. Environ
une heure plus tard, un autre insistait : A. « C'est sûr ; celui-là
était avec lui, et d'ailleurs il est Galiléen ». L. Pierre
répondit : D. « Je ne vois pas ce que tu veux dire ». L.
Et à l'instant même, comme il parlait encore, un coq chanta. Le Seigneur, se
retournant, posa son regard sur Pierre ; et Pierre se rappela la parole que le
Seigneur lui avait dite : “ Avant que le coq chante aujourd'hui, tu m'auras
renié trois fois. ” Il sortit et pleura amèrement.
Les hommes qui gardaient Jésus se moquaient de lui et le maltraitaient. Ils lui
avaient voilé le visage et ils l'interrogeaient : F. « Fais le
prophète ! Qui est-ce qui t'a frappé ? » L. Et ils lançaient contre
lui beaucoup d'autres insultes.
Lorsqu'il fit jour, les anciens du peuple, chefs des prêtres et scribes, se
réunirent, et ils l'emmenèrent devant leur grand conseil. Ils lui dirent : F.
« Si tu es le Messie, dis-le nous ». L. Il leur répondit :
+. « Si
je vous le dis, vous ne me croirez pas ; et si j'interroge, vous ne me répondrez
pas. Mais désormais le Fils de l'homme sera assis à la droite du Dieu puissant ».
L. Tous lui dirent alors : F. « Tu es donc le Fils de Dieu ? »
L. Il leur répondit : +. « C'est
vous qui dites que je le suis ».
L. Ils dirent alors : F. « Pourquoi nous faut-il encore un
témoignage ? Nous-mêmes nous l'avons entendu de sa bouche ».
L.
Ils se levèrent tous ensemble et l'emmenèrent chez Pilate. Ils se mirent alors à
l'accuser : F. « Nous avons trouvé cet homme en train de semer le
désordre dans notre nation : il empêche de payer l'impôt à l'empereur, et se dit
le Roi Messie ». L. Pilate l'interrogea : A. « Es-tu
le roi des Juifs ? » L. Jésus répondit : +. « C'est
toi qui le dis ».
L. Pilate s'adressa aux chefs des prêtres et à la foule : A. « Je
ne trouve chez cet homme aucun motif de condamnation ». L.
Mais ils insistaient : F. « Il soulève le peuple en enseignant dans
tout le pays des Juifs, à partir de
la Galilée jusqu'ici ».
L.
A ces mots, Pilate demanda si l'homme était Galiléen. Apprenant qu'il relevait
de l'autorité d'Hérode, il le renvoya à ce dernier, qui se trouvait lui aussi à
Jérusalem en ces jours-là.
A la vue de Jésus, Hérode éprouva une grande joie : depuis longtemps il désirait
le voir à cause de ce qu'il entendait dire de lui, et il espérait lui voir faire
un miracle. Il lui posa beaucoup de questions, mais Jésus ne lui répondit rien.
Les chefs des prêtres et les scribes étaient là et l'accusaient avec violence.
Hérode, ainsi que ses gardes, le traita avec mépris et se moqua de lui : il le
revêtit d'un manteau de couleur éclatante et le renvoya à Pilate. Ce jour-là,
Hérode et Pilate devinrent des amis, alors qu'auparavant ils étaient ennemis.
Alors Pilate convoqua les chefs des prêtres, les dirigeants et le peuple. Il
leur dit : A. « Vous m'avez amené cet homme en l'accusant de mettre le
désordre dans le peuple. Or, j'ai moi-même instruit l'affaire devant vous, et,
parmi les faits dont vous l'accusez, je n'ai trouvé chez cet homme aucun motif
de condamnation. D'ailleurs, Hérode non plus, puisqu'il nous l'a renvoyé. En
somme, cet homme n'a rien fait qui mérite la mort. Je vais donc le faire châtier
et le relâcher ». L. Ils se mirent à crier tous ensemble :
F. Mort à cet homme ! Relâche-nous Barabbas. L. Ce dernier
avait été emprisonné pour un meurtre et pour une émeute survenue dans la ville.
Pilate, dans son désir de relâcher Jésus, leur adressa de nouveau la parole.
Mais ils criaient : F. « Crucifie-le ! Crucifie-le ! » L.
Pour la troisième fois, il leur dit : A. « Quel mal a donc fait cet
homme ? Je n'ai trouvé en lui aucun motif de condamnation à mort. Je vais donc
le faire châtier, puis le relâcher ». L. Mais eux insistaient
à grands cris, réclamant qu'il soit crucifié ; et leurs cris s'amplifiaient.
Alors Pilate décida de satisfaire leur demande. Il relâcha le prisonnier
condamné pour émeute et pour meurtre, celui qu'ils réclamaient, et il livra
Jésus à leur bon plaisir.
Pendant qu'ils l'emmenaient, ils prirent un certain Simon de Cyrène, qui
revenait des champs, et ils le chargèrent de la croix pour qu'il la porte
derrière Jésus. Le peuple, en grande foule, le suivait, ainsi que des femmes qui
se frappaient la poitrine et se lamentaient sur Jésus. Il se retourna et leur
dit : +. « Femmes
de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! Pleurez sur vous-mêmes et sur vos
enfants ! Voici venir des jours où l'on dira : “ Heureuses les femmes stériles,
celles qui n'ont pas enfanté, celles qui n'ont pas allaité ! ” Alors on dira aux
montagnes : “ Tombez sur nous ”, et aux collines : “ Cachez-nous ”. Car si l'on
traite ainsi l'arbre vert, que deviendra l'arbre sec ? »
L.
On emmenait encore avec Jésus deux autres, des malfaiteurs, pour les exécuter.
Lorsqu'on fut arrivé au lieu-dit “ le Crâne ” ou Calvaire, on mit Jésus en
croix, avec les deux malfaiteurs, l'un à droite et l'autre à gauche.
Jésus disait : +. « Père,
pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu'ils font ».
L. Ils partagèrent ses vêtements et les tirèrent au sort. Le peuple
restait là à regarder. Les chefs ricanaient en disant : A. « Il en a
sauvé d'autres : qu'il se sauve lui-même, s'il est le Messie de Dieu, l'Élu ! »
L. Les soldats aussi se moquaient de lui. S'approchant pour lui donner de
la boisson vinaigrée, ils lui disaient : A. « Si tu es le roi des
Juifs, sauve-toi toi-même ! » L. Une inscription était placée
au-dessus de sa tête : “ Celui-ci est le roi des Juifs ”.
L'un des malfaiteurs suspendus à la croix l'injuriait : A. « N'es-tu
pas le Messie ? Sauve-toi toi-même, et nous avec ! » L. Mais l'autre
lui fit de vifs reproches : A. « Tu n'as donc aucune crainte de Dieu !
Tu es pourtant un condamné, toi aussi ! Et puis, pour nous, c'est juste : après
ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. Mais lui, il n'a rien
fait de mal ». L. Et il disait : A. « Jésus,
souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton règne ». L.
Jésus lui répondit : +. « Amen,
je te le déclare : aujourd'hui, avec moi, tu seras dans le Paradis ».
L.
Il était déjà presque midi ; l'obscurité se fit dans tout le pays jusqu'à trois
heures, car le soleil s'était caché. Le rideau du Temple se déchira par le
milieu. Alors, Jésus poussa un grand cri : +. « Père,
entre tes mains je remets mon esprit ».
L. Et après avoir dit cela, il expira.
L.
A la vue de ce qui s'était passé, le centurion rendait gloire à Dieu : A.
« Sûrement, cet homme, c'était un juste ». L. Et tous les
gens qui s'étaient rassemblés pour ce spectacle, voyant ce qui était arrivé,
s'en retournaient en se frappant la poitrine. Tous ses amis se tenaient à
distance, ainsi que les femmes qui le suivaient depuis la Galilée, et qui
regardaient.
Alors, arriva un membre du conseil, nommé Joseph ; c'était un homme bon et
juste. Il n'avait donné son accord ni à leur délibération, ni à leurs actes. Il
était d'Arimathie, ville de Judée, et il attendait le royaume de Dieu. Il alla
trouver Pilate et demanda le corps de Jésus. Puis il le descendit de la croix,
l'enveloppa dans un linceul et le mit dans un sépulcre taillé dans le roc, où
personne encore n'avait été déposé. C'était le vendredi, et déjà brillaient les
lumières du sabbat.
Les femmes qui
accompagnaient Jésus depuis la Galilée suivirent Joseph. Elles regardèrent le
tombeau pour voir comment le corps avait été placé. Puis elles s'en retournèrent
et préparèrent aromates et parfums. Et, durant le sabbat, elles observèrent le
repos prescrit. |

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O Crux, ave, spes unica !
Chaque
année en ce jour des Rameaux, nous entendons la lecture d'un
des récits de la Passion, et celui de cette année est de
saint Luc. Ce dernier n'était pas un des douze Apôtres, mais
il a pu être des soixante-douze disciples choisis par Jésus,
en tout cas il fut le fidèle compagnon des voyages de Paul
et donc aura pu entendre dire beaucoup de choses de témoins
sûrs.
Luc a été
très sensible à la sollicitude de Jésus pour les petits, à
sa miséricorde pour les pécheurs. S'il note cette vaine
discussion des apôtres entre eux, juste au moment de la
Dernière Cène, pour savoir qui d'entre eux était le plus
grand, ce n'est pas pour stigmatiser les apôtres, mais pour
exposer la parole de Jésus : Que le plus grand par-mi vous se
comporte comme le plus jeune, et celui qui gouverne comme
celui qui sert. Quel enseignement nous donne Jésus à la
veille de sa mort ! Lui, le Maître, se fait le Serviteur ;
mais chaque homme, à son enseigne, doit savoir être au
service des autres, même s'il a quelque notoriété, quelque
autorité, quelque grade supérieur.
Dans ce
récit de la Passion, nous noterons plusieurs passages
racontés particulière-ment par Luc, où il relève la
miséricorde de Jésus. Quand Pierre frappe le serviteur du
Grand Prêtre et lui tranche l'oreille (Jn. 18-10), Jésus
intervient doucement et guérit ce serviteur. Le lendemain,
Jésus est en croix et prie en des termes que Luc seul
rapporte : "Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils
font". Ainsi commente ce passage Aelred de Rievaux
:
"En entendant cette admirable parole, pleine de douceur,
d'amour et d'impertur-bable sérénité : Père,
pardonne-leur, que pourrait-on ajouter à la douceur et à
la charité de cette prière ? Et pourtant le Seigneur ajouta
quelque chose. Il ne se contenta pas de prier, il voulut
aussi excuser : Père, dit-il, pardonne-leur, car
ils ne savent pas ce qu'ils font. Ils sont sans doute de
grands pécheurs, mais ils en ont à peine conscience ; c'est
pourquoi, Père, pardonne-leur. Ils crucifient, mais
ils ne savent pas qui ils crucifient, car s'ils l'avaient
su, ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire.
c'est pourquoi,
Père, pardonne-leur."
Oh, qu'il est fréquent d'entendre cette parole dure : Je
pardonne, oui, mais je n'oublie pas. Cette réflexion n'est
pas chrétienne, elle n'est pas de Jésus. Jésus pardonne et
excuse ; ensuite, il n'a pas de rancœur. L'épisode du Bon
Larron, particulier aussi chez Luc, nous montre encore cette
charité immense de Jésus : les autres évangélistes disent
que les deux larrons insultaient Jésus (Mt 27:44 ; Mc
15:32). Luc rapporte que l'un deux - sans doute en se
reprenant de ses railleries - implora de Jésus son pardon et
que Jésus lui fit cette célèbre promesse : Aujourd'hui, tu
seras avec moi en Paradis. Ce voleur de grands chemins est
depuis lors saint Dismas, le premier qui entra avec Jésus
dans la gloire du Paradis.
Avant ces
épisodes, nous avons entendu le triple reniement de Pierre.
Luc dit que Jésus "fixa son regard sur Pierre", un regard
sans rancœur, mais combien doulou-reux: Jésus a entendu
Pierre le renier, à deux pas de lui, comme il le lui avait
prédit quelques heures avant (22:34). Ce regard a suffi pour
provoquer les larmes de Pierre, ce pêcheur simple, spontané,
fougueux, gaffeur, mais aussi très sensible et humble-ment
repentant. A Gethsémani, Jésus a aussi regardé en face
Judas, quand il lui a dit: "C'est par un baiser que tu
livres le Fils de l'homme !", mais Judas n'a pas été
touché par ce regard divin ; il ne s'est pas repenti, il n'a
pas pleuré. Ajoutant le désespoir à son péché, il s'est
suicidé. Il ne faut jamais désespérer du pardon de Dieu, qui
l'accorde à tous ceux qui le Lui demandent sincèrement.
On notera
maintenant un autre passage propre à saint Luc, là où Jésus
dit à Pierre : "J'ai prié pour toi, pour que ta foi ne
défaille pas. Quand tu seras revenu, affermis tes frères"
(22:32). C'est là que Pierre, enflammé, promet fidélité
totale à Jésus, qui lui annonce en revanche son triple
reniement. Pierre en effet, aura cette faiblesse, non pas
vraiment par peur, mais par calcul, pour pouvoir rester le
plus près possible de Jésus et voir ce qui se passait ; il
feint de ne pas connaître Jésus, mais sa foi demeure ; son
attitude est double, mais il en a honte et pleure aussitôt
après. Ensuite, "revenu" de sa trahison, il sera là pour
assembler, pour convaincre, pour témoigner, il sera la
pierre d'angle de l'Église naissante, la référence de la
chrétienté, l'autorité humaine qui s'exercera au nom de
l'autorité divine du Christ. Cette petite phrase de Jésus a
une grande importance, car juste avant de mourir, il montre
encore une fois à Pierre sa mission : affermir ses frères,
ainsi que nous l'ont rappelé tant de fois nos papes,
évoquant leur rôle à la tête de l'Église.
C'est
saint Luc qui nous rapporte ce détail. Il l'a reçu de saint
Paul, qu'il a accom-pagné longtemps. Et Paul aura toujours
enseigné que l'autorité de l'Église est assumée par Pierre,
choisi par Jésus. On présente parfois Paul comme concurrent
de l'autorité de Pierre. Or, si Paul a pris la parole contre
Pierre un jour, c'est justement pour que Pierre corrige son
jugement et l'impose à l'Église (voir Ga. 2:11-14), car
c'est à Pierre que tous se référaient. Sinon, Paul se serait
simplement détaché de l'Église et aurait poursuivi son
chemin propre. Pierre et Paul ont agi de concert, ont tous
deux enseigné la même foi, et ont subi le martyre tous deux
à Rome.
Il est
aussi dans ce récit de la Passion un passage un peu obscur,
où Jésus recom-mande aux apôtres d'avoir bourse et besace, et
de se procurer un glaive. Précé-demment (10:4), Jésus leur
avait précisément recommandé de ne prendre "ni bourse, ni
besace, ni chaussures", et voilà qu'il semble leur dire
exactement le contraire, et même d'acheter une épée ! On
imagine leur état d'esprit assez confus, surtout après que
Jésus leur a dit que le traître mange avec eux en ce moment,
et à Pierre qu'il allait le renier par trois fois cette nuit
même. Il se trouve qu'ils ont justement là, non pas un, mais
"deux glaives". On pourrait se demander à quoi ils pouvaient
servir : les apôtres prévoyaient-ils quelque bagarre ?
Ont-ils servi pour préparer l'Agneau Pas-cal? Pierre s'en
est sans doute servi pour trancher l'oreille de Malchus.
Mais
quand Jésus conseille aux apôtres de se procurer un glaive,
il doit certainement parler d'un glaive qui n'est pas en
métal, qui n'est pas matériel, de ce glaive dont parle saint
Paul aux Hébreux : "Vivante est la parole de Dieu, efficace
et plus incisive qu'aucun glaive à deux tranchants, car elle
pénètre jusqu'au point de division de l'âme et de l'esprit,
des articulations et des moelles, elle peut juger les
sentiments et les pensées du cœur" (He. 4:12). Si Jésus
demande à Pierre de rengainer son glaive, s'il répond
brièvement "c'est assez" aux apôtres qui lui présentent les
deux glaives, c'est qu'il a sûrement en tête autre chose,
qu'ils ne comprennent pas encore. Ils ne se souviennent pas
non plus que Jésus leur a dit précédemment qu'il était "venu
apporter non pas la paix, mais le glaive" (Mt 10:33), ce
même glaive de la Vérité, où se reconnaîtront les fidèles du
Christ de ceux qui n'auront pas voulu le recevoir (Jn.
1:11).
Dans leur
première mission, les apôtres n'ont manqué de rien,
confiants en la parole de Jésus. Maintenant, au moment de la
Passion, ils doivent eux aussi se préparer à la souffrance,
à la privation, aux épreuves de toutes sortes, par
lesquelles ils devront passer pour annoncer la Parole de
Dieu. Ils auront l'assistance de l'Esprit Saint, certes,
mais ils devront aussi avoir la vertu de Prudence, sans
laquelle aucune vertu ne peut rester équilibrée. On
n'imagine pas un missionnaire partir au fond de la jungle
sans une petite besace, sans une paire de bottes ! Et Jésus
confirme : Si on l'a mis au rang des scélérats, à plus forte
raison eux aussi doivent se préparer à traverser beaucoup de
difficultés, à recevoir beaucoup d'injustices, en se
défendant avec le glaive de la Parole de Dieu, bien
conscients que "l'Esprit du Père parlera en (eux)" (Mt.
10:20).
Que de
pensées nous suggère le cher évangéliste Luc aujourd'hui !
On pourrait s'étendre davantage encore ; par exemple pour
noter que, grâce à Jésus, Hérode et Pilate devinrent amis,
d'ennemis farouches qu'ils étaient. Celui qui a toujours dit
"Paix à vous", "N'ayez pas peur", se fait aussi le médiateur
des deux ennemis qui l'ont tour à tour insulté et condamné.
La
méditation de la Passion de notre Seigneur procurera
toujours beaucoup de bons fruits en nous et nous aidera sur
notre chemin quotidien. Notre conversion plus profonde
apportera au moins à Jésus, si seul à Gethsémani, la
consolation que ses sueurs de sang n'ont pas été vaines pour
nous. Ce détail aussi nous a été transmis par l'évangéliste
Luc, médecin de son métier, dont l'œil expérimenté sait
remarquer ces "détails" biologiques.
Qu'au
moins la Passion de Jésus nous aide à supporter la vie
difficile de notre époque, ainsi aussi que le conseille Paul
aux Hébreux : "Songez à celui qui a enduré de la part des
pécheurs une telle contradiction, afin de ne pas défaillir
par lassitude de vos âmes. Vous n'avez pas encore résisté
jusqu'au sang dans la lutte contre le péché" (He
12:3-4).
O Crux,
ave, spes unica !
Hoc passionis tempore, piis adauge gratiam, reisque dele
crimina.
O Croix,
salut, notre unique espérance !
En cette
heure de la passion, augmente la grâce dans le cœur des
justes, efface leurs crimes aux pécheurs.
Abbé Charles
Marie de Roussy
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