Saint Remi de Reims

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REMI DE REIMS
Archevêque de Reims, Apôtre des Francs, Saint
438-533

NOTA: Pour la vie et les miracles de saint Remi, nous avons emprunté à Flodoard quelques chapitres de son "Histoire de l'Église de Rheims", car nous pensons qu'il est le mieux documenté sur la vie de "l'apôtre des Francs". Nous ne ferons aucun commentaire sur les passages qui semblent relever de la légende, car nous savons qu'à "Dieu rien n'est impossible", même ce qui à nos yeux, souvent mi-clos et voilés par notre vanité et incrédulité, nous paraît impossible...

chapitre x

De saint Remi

Après l’évêque Bennage, le bienheureux saint Remi apparut comme un astre éclatant pour conduire les peuples à la foi. Selon l’expression de notre poète Fortunat, la prédilection divine le choisit, non pas seulement avant qu’il fut né, mais même avant qu’il fut conçu : car un saint moine, nommé Montan, reposant d’un léger sommeil, fut par trois fois averti de prédire en vérité à sa bienheureuse mère Cilinie qu’elle engendrerait un fils, et de lui déclarer en même temps le nom et les mérites. Ce Montan était un pieu solitaire, vivant dans la retraite, vaquant assidûment aux jeûnes, veilles et prières, se rendant recommandable devant Dieu par le mérité de toutes les vertus, et sans cesse implorant la clémence de Jésus-Christ pour la paix de sa sainte Église, en proie à mille afflictions dans le pays des Gaules. Une nuit donc que, selon sa coutume, il se fatiguait à prier, cédant à la faiblesse de notre nature, il se laissa aller au somme pour réparer ses forces. Tout-à-coup il lui semble que, par une grâce divine, il est transporté au milieu du chœur des anges et de l’assemblée des saintes âmes, tenant ensemble conseil et conférant de la subversion ou de la restauration de l’Église des Gaules : tous déclarent que le temps est venu d’avoir pitié d’elle ; et en même temps une voix qui retentit avec douceur se fait entendre d’un lieu plus élevé et plus secret : « Le Seigneur a regardé du saint des saints, et du ciel en la terre, pour entendre les gémissements de ceux qui sont enchaînés, et pour briser les fers des fils de ceux qui ont péri, afin que son nom soit annoncé parmi les nations, et que les peuples et les rois se réunissent ensemble pour le servir ». La voix disait que Cilinie concevrait et engendrerait un fils, nommé Remi, auquel le peuple serait confié pour être sauvé.

Après avoir reçu une si grande et douce consolation, le saint personnage, trois averti d’accomplir sa mission, vint annoncer à Cilinie l’oracle de sa céleste vision. Or cette mère bienheureuse avait eu longtemps auparavant dans la fleur de sa jeunesse, de son seul et unique mari, Émile, un fils nommé Principe, depuis évêque de Soissons, et père de saint Loup, son successeur à l’épiscopat de la même ville : la bienheureuse Cilinie s’étonne ; elle ne peut comprendre comment, déjà vieille, elle enfantera un fils et le nourrira de son lait, d’autant que son mari et elle-même, grandement avancés en âge, épuisés et stériles, n’avaient plus ni espoir ni désir d’engendrer  désormais. Mais le bienheureux Montan, qui, afin que les mérites de la patience abondassent en lui, avait perdu la vue pour un temps, pour donner autorité à sa parole, déclare à Cilinie que ses yeux doivent être arrosés de son lait, et qu’aussitôt il recouvrera la vue. Cependant les bienheureux parents se livrent à la joie d’une si grande consolation, et le pontife futur de Jésus-Christ est conçu. Avec le secours de la grâce, il vient au monde heureusement, et reçoit sur les saints fonts de baptême le nom de Remi. L’heureuse promesse faite au saint prophète est aussi fidèlement accomplie : car, pendant l’allaitement, ses yeux sont arrosés du lait de la bienheureuse mère Cilinie, et il recouvre la vue par les mérites de l’enfant. Or ce merveilleux enfant, solennellement annoncé avant sa nativité, naquit au pays de Laon, de nobles et illustres parents, vieux toutefois et depuis longtemps stériles, et par les éclatants miracles de sa naissance, furent magnifiquement préparés les œuvres et miracles de sa vie. Selon l’ordre de Dieu, il fut aussi à bon droit nommé Remi, comme celui qui, avec la rame de la doctrine, devait guider l’Église de Jésus-Christ, et spécialement celle de Rheims, sur la mer orageuse de cette vie, et par ses mérites et ses prières la conduire au port du salut éternel. Cependant quelques anciens écrits le nomment Remedius au lieu de Remigius, ce que nous croirions volontiers, si nous ne considérions que ses mérites et ses actes, saints et véritables remèdes, et si nous ne savions par des témoignages et titres plus corrects, qu’il doit être nommé Remi, selon l’oracle divin. Nous lisons d’ailleurs dans les vers composés par lui, et gravés par son ordre sur un vase consacré aussi par lui-même au service de Dieu :

Hauriat hinc populus vitam de sanguine sacro
Injecto aeternus quem fudit vulnere Christus,
Remigius reddit Domino sua vota sacerdos
[1].

Ce vase a duré jusqu’à ces derniers temps, où il a été fondu et donné aux Normands pour la rançon de prisonniers chrétiens. Saint Remi eut, dit-on, pour nourrice la bienheureuse Balsamie, que la tradition regarde aussi comme la mère de saint Celsin, disciple bien-aimé de saint Remi, célèbre par de nombreux miracles, et aujourd’hui encore en grande vénération auprès des justes. Les reliques de Balsamie reposent dans l’église de son fils.

Envoyé aux écoles par ses parents pour y apprendre les lettres, saint Remi surpassa bientôt en savoir, non seulement ceux de son âge, mais aussi ceux qui étaient plus âgés. Il les surpassa bien plus encore par la gravité de ses mœurs et l’ardeur de sa charité, n’ayant d’autre désir que de fuir le tumulte et le bruit de la foule, et de se retirer dans la solitude pour y servir le Seigneur : ce qu’il obtint selon ses vœux, car il passa sa pieuse jeunesse à Laon, dans la retraite et les exercices d’une sainte et chrétienne conversation.

Chapitre XI

Saint Remi est ordonné évêque de Rheims

Remi entrait à peine dans sa vingt-deuxième année lorsque le vénérable archevêque Bennade vint à mourir ; aussitôt il est choisi pour son successeur, et ravi plutôt qu’élevé à cette sainte dignité. Un immense concours de peuple, de tout sexe, de toute condition et de tout âge, le proclame d’une seule voix vraiment digne de Dieu, et d’être commis à la garde des fidèles. Réduit à cette extrémité de ne pouvoir aucunement échapper par la fuite, ni détourner le peuple de sa résolution, le saint jeune homme se répand en excuses sur la faiblesse de son  âge, et rappelle sans cesse et à haute voix que la règle ecclésiastique défend d’élever une si tendre inexpérience à une pareille dignité. Mais tandis que d’un côté le peuple obstiné renouvelle ses acclamations, et que de l’autre l’homme de Dieu résiste avec fermeté, il plut au Seigneur de manifester, par un éclatant témoignage, quel jugement lui-même en portait. Tout-à-coup un rayon de lumière part du haut des cieux, et vient couronner la tête du saint. En même temps une liqueur divine se répand sur sa chevelure, et l’embaume toute entière de son parfum céleste. A cette vue,, l’assemblée des évêques de la province le proclame sans hésiter, et le consacre évêque de Rheims. Il ne tarda pas à faire paraître sa dévotion et sa merveilleuse aptitude à ce grand ministère. Libéral en aumônes, assidu en vigilance, attentif en oraisons, prodigue de bontés, parfait en charité, merveilleux en doctrine, toujours saint dans sa conversation, l’aimable gaieté de son visage annonçait la pureté et la sincérité de son âme, comme le calme de ses discours peignait la bonté de son cœur. Aussi fidèle à remplir en œuvres les devoirs du salut, qu’à les enseigner par la prédication, son air vénérable et sa démarche imposante commandaient le respect : inspirant la crainte par sa sévérité, l’amour par sa bonté, il savait tempérer la rigueur de la censure par la douceur de la bienveillance. Si l’austérité de son front semblait menacer, on se sentait attiré par la sérénité de son cœur. Pour les Chrétiens fidèles, c’était saint Pierre, et son extérieur imposant ; pour les pécheurs c’était saint Paul, et son âme tendre : ainsi par un double bienfait de la grâce qui reproduisait en lui la piété de l’un et l’autorité de l’autre, on le vit pendant toute sa vie dédaigner le repos, fuir les douceurs, chercher le travail, souffrir patiemment l’humiliation, s’éloigner des honneurs, pauvre de richesses et riche de bonnes œuvres, humble et modeste devant la vertu, sévère et intraitable contre le vice. En sorte que, comme on l’a déjà dit avant nous [2], il réunit en lui toutes les vertus chrétiennes, et les pratiqua toutes à la fois, avec une perfection que bien peu pourraient porter dans l’exercice d’une seule. Toujours occupé de bonnes œuvres, toujours plein de componction et de zèle, il n’avait autre chose à cœur que de s’entretenir de Dieu, par lecture ou sermon ; où avec Dieu par la prière, et sans cesse atténuant et affaiblissant son corps par le jeûne, il s’efforçait de vaincre le démon persécuteur par un martyre continuel. Cependant ce saint prélat, ainsi que nous lisons dans les écrits qui ont parlé de sa vie, s’efforçait avant tout de fuir l’ostentation des vertus : mais une grâce si éclatante et si haute ne pouvait rester secrète. Il attirait les regards et l’admiration de tous, comme la cité bâtie sur le sommet de la montagne ; et le Seigneur ne voulait pas laisser cachée sous le boisseau la lumière qu’il avait placée sur le chandelier, et à laquelle il avait donné de brûler du feu de la charité divine, et d’éclairer son Église du brillant flambeau des vertus chrétiennes.

Chapitre XII

De divers miracles opérés
par saint Remi et de sa doctrine

L’innocence de sa sainteté touchait non seulement les créatures raisonnables, mais apprivoisait jusqu’aux animaux dépourvus de raison. Un jour qu’il donnait un repas de famille à ses plus intimes amis, et prenait plaisir à les voir se réjouir, des passereaux descendirent vers lui, et vinrent sans crainte manger dans sa main les miettes de la table, les uns s’en allant rassasiés et les autres venant pour l’être. Ce n’est pas qu’il cherchât à faire parade de ses mérites ; mais le Seigneur en avait ainsi disposé pour l’utilité des convives, afin que, témoins de ce miracle et de beaucoup d’autres opérés par ce bienheureux serviteur de Jésus-Christ, ils s’engageassent avec plus de ferveur au service du Saigneur.

Un autre jour que, selon sa coutume, il visitait avec sa sollicitude paternelle toutes les paroisses de son diocèse, afin de reconnaître par lui-même si l’on ne mettait aucune négligence dans le service divin, il arriva dans sa sainte visite au bourg de Chermizy. Là un pauvre aveugle, depuis longtemps possédé du démon, vint lui demander l’aumône. Au moment même où le saint évêque accomplissait envers lui l’œuvre de miséricorde, le diable commença à le tourmenter. Alors saint Remi, avec cette sainte intention qu’il mettait toujours à sa prière, se prosterna en oraison, et soudain, en rendant la vue au vieillard, il le délivra en même temps de l’esprit immonde, accomplissant ainsi à la fois trois bonnes œuvres dans le même homme, donnant l’aumône à un pauvre, rendant la vue à un aveugle et délivrant un possédé.

Dans une autre visite de son diocèse, faite encore dans le même esprit de sollicitude, une de ses cousines nommée Celse, vierge consacrée, le pria de s’arrêter à sa terre de Cernay : le saint évêque se rendit à son invitation. Tandis que, dans un entretien spirituel, il verse à son hôtesse le vin de la vie, l’intendant de Celse vient annoncer à sa maîtresse que le vin manque. Saint Remi la console gaiement et, après quelques propos aimables, il la prie de lui faire voir en détail son habitation. Il parcourt d’abord à dessein quelques autres appartements ; enfin il arrive au cellier, se le fait ouvrir, et demande s’il ne serait pas resté un peu de vin dans quelque tonneau ; le sommelier lui en montre un dans lequel on avait gardé seulement assez de vin pour conserver le tonneau. Saint Remi ordonne alors au sommelier de fermer la porte et de ne bouger de sa place ; puis, passant lui-même à l’autre bout du tonneau, qui n’était pas de petite contenance, il fait dessus le signe de la croix et, se prosternant contre la muraille, il adresse au Seigneur une fervente prière. Cependant, ô miracle ! le vin monte par le bondon et coule à grands flots dans le cellier. A cette vue le sommelier, frappé d’étonnement, s’écrie ; le saint lui impose le silence et lui défend de rien dire. Mais un miracle si éclatant ne peut rester caché, et sa cousine, dès qu’elle en fut instruite, donna à perpétuité à saint Remi et à l’église de Rheims sa terre de Cernay, dont elle passa donation devant magistrat.

On raconte encore de lui un autre miracle à peu près semblable à celui que nous venons de réciter. Un malade d’une famille illustre, qui n’avait point encore été baptisé, fit prier saint Remi de venir le visiter et de lui administrer le saint sacrement du baptême, parce qu’il sentait sa fin approcher. Le bienheureux évêque demanda au curé du lieu l’huile et le saint chrême ; mais il se trouva qu’il n’y avait plus rien dans les vases sacrés : Remi prend les vases vides, les place sur l’autel et se prosterne en oraison ; sa prière faite, il trouve les vases pleins. Oignant donc le malade avec cette huile donnée par miracle, et ce saint chrême venu du ciel, il lui conféra le baptême, selon la coutume de l’Église, et lui rendit la santé de l’âme en même temps que celle du corps.

Enfin l’ennemi du genre humain, qui ne cesse jamais de faire éclater sa haine et sa malice, mit un jour le feu à la ville de Rheims et y excita un horrible incendie. Déjà un tiers de la ville avait été réduit en cendres, et la flamme victorieuse allait dévorer le reste. Aussitôt que saint Remi en est instruit, il a recours à la prière, son ordinaire appui, et, se prosternant dans l’église du bienheureux martyr saint Nicaise, il implore le secours de notre Seigneur Jésus-Christ ; puis, tout-à-coup, se relevant, et jetant les yeux vers le ciel, « Mon Dieu, mon Dieu — s’écrie-t-il avec gémissement —, prêtez l’oreille à ma prière ». Alors d’un pas précipité il descend les degrés de l’église, et en courant ses pieds s’empreignent sur la pierre comme sur une terre molle, et leurs traces saines attestent encore aujourd’hui la vérité du miracle. Il court, s’oppose aux flammes, étend la main contre le feu, fait le signe de la croix en invoquant le nom de Jésus-Christ ; aussitôt l’incendie s’arrête, sa fureur retombe sur elle-même, et la flamme semble fuir devant l’homme de Dieu. Saint Remi la poursuit, et, se plaçant entre le feu et ce qui est resté intact, opposant toujours le signe mystérieux, il pousse devant lui cet immense tourbillon de flammes et, soutenu de la protection de Dieu, le jette hors de la ville par une porte qui se trouve ouverte, ferme la porte avec injonction de ne jamais l’ouvrir, et appelant malédiction et vengeance sur quiconque violerait cette défense. Quelques années après, un habitant nommé Fercinct, qui demeurait près de cette porte, fit une ouverture à la maçonnerie dont elle avait été bouchée, pour jeter par là les immondices de sa maison ; mais son audace fut bientôt cruellement punie, et la main de Dieu frappa d’une manière si terrible que tout périt dans la maison, lui, sa famille et jusqu’aux bêtes.

Une jeune fille d’illustre origine, née à Toulouse, était depuis son enfance possédée d’un malin esprit. Ses parents, qui l’aimaient tendrement, la conduisirent avec grande dévotion au sépulcre de l’apôtre saint Pierre. Or, dans le même pays d’Italie florissait alors le vénérable Benoît, en grande réputation et éclat de vertu. Les parents de la jeune fille, entendant parler de ce saint personnage, avisèrent de la lui mener : mais après bien des jeûnes et des prières, travaillant en vain à la purification de cette pauvre enfant, Benoît ne put parvenir à la guérir du venin du cruel serpent, et tout ce qu’il put arracher de l’antique ennemi de l’homme, en l’adjurant au nom de Dieu, fut cette réponse, que personne d’autre que le bienheureux évêque Remi ne pourrait le chasser du corps où il faisait son séjour. Alors les parents, appuyés de la protection du bienheureux saint Benoît lui-même, et d’Alaric roi des Goths, et munis de lettres de leur part pour saint Remi, viennent trouver le saint évêque avec la jeune possédée, le suppliant de faire voir, dans la délivrance de leur enfant, cette vertu que l’aveu du larron lui-même leur avait annoncée. A la fin, il cède aux prières du peuple qui lui demande en grâce de prier pour cette jeune fille, et de compatir aux larmes des parents. Alors donc, armé des mérites de sa sainteté, il commande à l’esprit inique de sortir par où il était entré, et de laisser en paix la servante de Jésus-Christ, et aussitôt le démon sort par la bouche, comme il était entré, avec grand vomissement et exhalaison fétide. Mais peu de temps après, lorsque le saint évêque se fut retiré, la jeune fille, épuisée à la peine, tomba privée de la chaleur de la vie, et rendit l’esprit. La foule se porte de nouveau vers le médecin, et renouvelle ses prières. Saint Remi au contraire dit qu’il a empiré le mal au lieu d’y apporter remède, et s’accuse d’avoir tué au lieu d’avoir guéri. Cependant, vaincu encore une fois par les instances du peuple, il revient à l’église de saint Jean, où le corps gisait sans vie. Là, il se prosterne avec larmes sur le parvis des saints, et exhorte l’assemblée à en faire autant. Ensuite, se relevant après avoir versé un  torrent de larmes, il ressuscite la jeune morte, comme auparavant il l’avait délivrée du démon. Aussitôt prenant la main de l’évêque, celle-ci se leva en pleine et entière santé, et s’en retourna heureusement dans son pays.

Quant à sa doctrine, sa sainteté et sa sagesse, ses œuvres prouvent assez quel en a été l’éclat : car la véritable sagesse se reconnaît aux œuvres, comme l’arbre à ses fruits ; la conversion de la nation des Francs au christianisme et sa sanctification par les eaux du baptême rendent aussi témoignage ; et encore mille actions ou prédications pleines de prudence ; enfin, divers personnages de son temps, entre lesquels surtout nous citerons Sidoine, évêque d’Auvergne, homme très docte, aussi illustre par sa naissance que par sa piété et ses prédications, et dont nous croyons à propos d’insérer la lettre suivante adressée à notre saint évêque.

« Sidoine, au Seigneur Pape Remi, salut.

Quelqu’un de notre pays ayant en occasion d’aller d’Auvergne en Belgique (quoique je connaisse la personne, j’ignore pour quel motif, et d’ailleurs cela n’importe), et s’étant arrêté à Rheims, a trouvé moyen, je ne sais si c’est par argent ou par service, avec ou sans ta permission, de se procurer, auprès de ton secrétaire ou de ton bibliothécaire, un manuscrit fort volumineux de tes sermons. De retour ici, tout glorieux d’avoir rapporté tant de volumes, quoique d’abord il se les fût procurés dans l’intention de les vendre, en sa qualité de citoyen, dont il est bien digne, il est venu nous en faire un  présent. Tous ceux qui étudient et moi, après les avoir lus avec fruit, nous avons pris à tâche d’en apprendre la plus grande partie par cœur, et de les copier tous. Tout le monde a été d’accord qu’aujourd’hui il n’y a que bien peu de personnes capables d’écrire ainsi. En effet, on trouverait difficilement quelqu’un qui réunit tant d’habileté dans la disposition des motifs, le choix de l’expression et l’arrangement des mots. Ajoutez à cela l’heureux à propos des exemples, l’autorité des témoignages, la propriété des épithètes, l’urbanité des figures, la force des arguments, le poids des pensées, la rapide facilité du style, la rigueur foudroyante des conclusions. La phrase est forte et ferme ; tous ses membres bien liés par des conjonctions élégantes : toujours coulante, polie, et bien arrondie ; jamais de ces alliances malheureuses qui offensent la langue du lecteur, ni de ces mots rocailleux qu’elle est obligée de balbutier en les roulant avec peine sous la voûte du palais : elle glisse et court jusqu’à la fin avec une douce aisance ; c’est comme lorsque le doigt effleure avec l’ongle un cristal ou une cornaline, sans rencontrer ni aspérité, ni fente qui l’arrête. Que te dirai-je enfin ? Je ne connais point d’orateur vivant que ton habileté ne puisse surpasser sans peine, et laisser bien loin derrière toi. Aussi je soupçonne presque, seigneur évêque, je t’en demande pardon, que tu es un peu fier de ta riche et ineffable éloquence. Mais, quel que soit l’éclat de tes talents d’écrivain, comme de tes vertus, nous te prions de ne pas nous dédaigner, car si nous ne savons pas bien écrire, nous savons louer ce qui est bien écrit. Cesse donc aussi désormais de décliner des jugements dont tu n’as à craindre ni critiques mordantes, ni reproches sévères. Autrement, si tu refuses de féconder notre stérilité par tes éloquents entretiens, nous serons aux aguets de tous les marchés de voleurs, et nous subornerons et aposterons d’adroits fripons dont la main subtile ravagera ton porte-feuille. Et alors, te voyant dépouillé, peut-être seras-tu sensible au larcin, si tu ne l’es pas aujourd’hui à nos prières et au plaisir d’être utile ».

Chapitre XIII

De la conversion des Francs

La sagesse et le saint zèle de notre bienheureux père et pasteur, sa fidélité et sa prudence dans l’administration des trésors de son Seigneur, sont assez prouvés, comme nous l’avons déjà dit, par la conversion des Francs, retirés du culte des idoles, et ramenés à la connaissance du vrai Dieu. Depuis assez longtemps déjà ces peuples, ayant passé le Rhin, ravageaient les Gaules, et s’étaient rendus maîtres de Cologne et de quelques autres villes. Mais quand leur roi Clovis eut défait et mis à mort Syagrius, gouverneur romain qui commandait alors la province, leur domination s’étendit presque sur toute la Gaule. La renommée de saint Remi, sa réputation de sagesse et de sainteté, le bruit de ses éclatants miracles, étaient parvenus jusqu’à Clovis : aussi ce roi l’avait-il en grande vénération, et quoique païen il l’aimait. Un jour qu’il passait près de Rheims avec son armée, des soldats enlevèrent quelques vases sacrés à l’Église de Rheims ; parmi ces vases il y en avait un d’argent d’une grandeur remarquable, et d’un précieux travail. Saint Remi envoya des députés demander que celui-là au moins lui fût remis ; Clovis alors se rend à l’endroit où devait avoir lieu le partage du butin, et demande à ses soldats de lui céder le vase ; la plupart y consentirent, mais l’un d’eux, frappant la coupe de sa francisque, s’écria que le roi n’avait droit sur aucune partie du butin qu’après qu’elle lui serait échue en partage par le sort. Tant de témérité frappe l’armée d’étonnement. Quant à Clovis, souffrant pour le moment l’injure, il prend tranquillement le vase, avec l’assentiment du plus grand nombre, et le remet à l’envoyé de l’évêque : mais il couve son ressentiment dans son cœur, et en effet un an après, il ordonne, selon la coutume, à son armée de se ranger en bataille dans une vaste pleine, pour passer la revue des armes ; revue solennelle qui, du nom de Mars, s’appelait assemblée du champ de Mars. En passant dans les rangs, le roi s’arrête devant le soldat qui avait frappé le vase de Rheims. Il trouve ses armes mal en ordre, et jette sa francisque à terre ; le soldat se baisse pour la relever, à l’instant Clovis lui frappe la tête de sa framée, comme lui-même avait frappé le vase, et le tue, rappelant avec aigreur et colère sa téméraire présomption. Par cette vengeance, Clovis inspira au reste des Francs une grande crainte, et se concilia ainsi leur obéissance.

Après avoir subjugué la province de Thuringe et étendu sa domination, Clovis épousa Clotilde, fille de Chilpéric, frère de Gondebaud, roi des Bourguignons. Cette princesse était chrétienne, et faisait baptiser les enfants qu’elle avait du roi, quoique celui-ci ne le voulût pas, et sans cesse elle s’efforçait de le convertir à la foi de Jésus-Christ ; mais une femme ne pouvait fléchir le cœur altier du barbare. Cependant une guerre survient aux Francs contre les Allemands, et ceux-ci en font un épouvantable massacre. Alors Aurélien, conseiller de Clovis, l’exhorte à croire en Jésus-Christ, à le confesser roi des rois, Dieu du ciel et de la terre, qui peut, quand il veut, donner ou retirer la victoire. Clovis suit son conseil, implore avec dévotion l’assistance de Jésus-Christ, et fait vœu de se faire chrétien, s’il éprouve sa puissance en remportant la victoire. A peine le vœu est-il prononcé, que les Allemands prennent la fuite, et, voyant leur roi tué, se soumettent à Clovis. Celui-ci leur impose un tribut et rentre vainqueur dans son royaume, comblant de joie sa femme de ce qu’il avait mérité de remporter la victoire en invoquant le nom de Jésus-Christ. La reine alors fait venir saint Remi, et le supplie d’enseigner au roi la route du salut. Le saint prélat l’instruit dans la doctrine de vie, et lui ordonne de venir recevoir le sacrement du baptême. Le roi répond qu’il veut aussi exhorter son peuple, et en effet il engage son armée à abandonner des dieux qui ne peuvent les secourir, et à embrasser le culte de celui qui leur a donné une si éclatante victoire. Prévenue par la grâce de Dieu, l’armée confesse avec acclamation qu’elle renonce à ses dieux mortels, et croit au Christ qui l’a sauvé. On annonce ces nouvelles à saint Remi ; transporté de joie, il se livre avec ardeur à l’instruction du peuple et du roi ; il leur enseigne comment, en renonçant à Satan, à ses œuvres et à ses pompes, ils doivent croire au vrai Dieu : et comme la solennité de Pâques approchait, il leur ordonne le jeûne, selon la coutume des fidèles.

Le jour de la passion de notre Seigneur, c’est-à-dire la veille du jour où ils devaient être baptisés, après avoir chanté nocturnes, l’évêque alla trouver le roi dès le matin dans sa chambre à coucher, afin que, le prenant dégagé de tous les soins du siècle, il pût lui communiquer plus librement les mystères de la parole sainte. Les gens de la chambre du roi le reçoivent avec grand respect, et le roi lui-même accourt et vient au-devant de lui. Ensuite ils passent ensemble dans une oratoire consacré au bienheureux saint Pierre, prince des apôtres, et attenant à l’appartement du roi. Quand l’évêque, le roi et la reine eurent pris place sur les sièges qu’on leur avait préparés, et qu’on eut admis quelques clercs, et aussi quelques amis et domestiques du roi, le vénérable évêque commença ses salutaires instructions. Pendant qu’il prêchait la parole de vie, le Seigneur, pour fortifier et confirmer les saints enseignements de son fidèle serviteur, daigna manifester d’une manière visible que, selon sa promesse, quand ses fidèles sont rassemblés en son nom, il est toujours avec eux ; la chapelle fut tout-à-coup remplie d’une lumière si brillante qu’elle effaçait l’éclat du soleil, et du milieu de cette lumière sortit une voix qui disait : « La paix soit avec vous, c’est moi, ne craignez point, et demeurez en mon amour ». Après ces paroles la lumière disparut, mais il resta dans la chapelle une odeur d’une suavité ineffable ; afin qu’il pût être évident à tous que l’auteur de toute lumière, de toute paix et de toute piété, était descendu en ce lieu, le visage du saint prélat avait aussi été illuminé de cette merveilleuse lumière. Prosternés à ses pieds, le roi et la reine demandaient avec grande crainte d’entendre de lui des paroles de consolation, prêts à accomplir tout ce que leur saint protecteur leur commanderait, et en même temps ils étaient charmés de ce qu’ils avaient entendu, et éclairés à l’intérieur, quoique effrayés de l’éclat extérieur de la lumière qui leur était apparue. Le saint évêque, inspiré de la sagesse divine, les instruisit des ordinaires effets des visions célestes ; comment à leur apparition elles effraient le cœur des mortels, mais bientôt le remplissent d’une douce consolation ; comment aussi les pères qui en avaient été visités avaient toujours à l’abord été frappés de terreur, mais ensuite pénétrés des douceurs d’une sainte joie par les merveilles de la grâce. Remplissant à l’extérieur, comme l’ancien législateur Moïse, par l’éclat de son visage, mais plus encore à l’intérieur, par l’éclat de la lumière divine, le bienheureux prélat, transporté d’un esprit prophétique leur prédit ce qui devait arriver à eux et à leur postérité : il annonce que leurs descendants reculeront les limites du royaume, élèveront l’Église de Jésus-Christ, succéderont à l’empire romain et à sa domination, et triompheront des nations étrangères, pourvu que, ne dégénérant pas de la vertu, ils ne s’écartent jamais des voies de salut, ne s’engagent pas dans la route du péché, et ne se laissent pas tomber dans les pièges de ces vices mortels, qui renversent les empires et transforment la domination d’une nation à l’autre.

Cependant on prépare le chemin depuis le palais du roi jusqu’au baptistère ; on suspend des voiles, des tapis précieux ; on tend les maisons de chaque côté des rues ; on pare l’Église, on couvre le baptistère de baume et de toutes sortes de parfums. Comblé des grâces du Seigneur, le peuple croit déjà respirer les délices du paradis. Le cortège part du palais ; le clergé ouvre la marche avec les saints Évangiles, les croix et les bannières, chantant des hymnes et des cantiques spirituels ; vient ensuite l’évêque, conduisant le roi par la main, enfin la reine suit avec le peuple. Chemin faisant, on dit que le roi demanda à l’évêque si c’était là le royaume de Dieu qu’il lui avait promis : « Non — répondit le prélat —, mais c’est l’entrée de la route qui y conduit ». Quand ils furent parvenus au baptistère, le prêtre qui portait le saint chrême, arrêté par la foule, ne put arriver jusqu’aux saints fonts ; en sorte qu’à la bénédiction des fonts, le chrême manqua par un exprès dessein du Seigneur. Alors le saint pontife lève les yeux vers le ciel, et prie en silence et avec larmes. Aussitôt un e colombe, blanche comme la neige, descend, portant dans son bec une ampoule pleine de chrême envoyé du ciel. Une odeur délicieuse s’en exhale, qui enivre les assistants d’un plaisir bien au-dessus de tout ce qu’ils avaient senti jusque là. Le saint évêque prend l’ampoule, asperge de chrême l’eau baptismale, et incontinent la colombe disparaît. Transporté de joie à la vue d’un si grand miracle de la grâce, le roi renonce à Satan, à ses pompes et à ses œuvres, et demande avec instance le baptême. Au moment où il s’incline sur la fontaine de vie : « Baisse la tête avec humilité, Sicambre —, s’écrie l’éloquent pontife — ; adore ce que tu as brûlé, et brûle ce que tu as adoré. Après avoir confessé le symbole de la foi orthodoxe, le roi est plongé trois fois dans les eaux du baptême, et ensuite, au nom de la sainte et indivisible Trinité, le Père, le Fils, et le Saint-Esprit, le bienheureux prélat le reçoit et le consacre par l’onction divine. Alboflède aussi et Lantgéchilde, sœurs du roi, reçoivent le baptême, et en même temps trois mille hommes de l’armée des Francs, outre grand nombre de femmes et d’enfants. Aussi pouvons-nous croire que cette journée fut un jour de réjouissance dans les cieux pour les saints anges, comme les hommes dévots et fidèles en reçurent une grande joie sur la terre.

Cependant une grande partie de l’armée des Francs refusa de se convertir à la foi chrétienne, et demeura quelque temps encore dans l’infidélité, occupant les pays au-delà de la rivière de Somme, sous la conduite d’un prince nommé Ragnachaire, jusqu’à ce qu’enfin, par un nouveau coup de la grâce, Clovis ayant remporté de glorieuses victoires, Ragnachaire, impie et adonné à tous les vices infâmes, fut livré tout enchaîné par les Francs, et mis à mort. Alors tout le peuple franc se convertit au Seigneur par les mérites de saint Remi, et reçut le baptême.

Chapitre XIV

Des possessions que le roi Clovis
et les Francs donnèrent à saint Remi

Le roi et les puissants de la nation des Francs donnèrent à saint Remi un grand nombre de possessions en diverses provinces, dont il dota l’église de Rheims, et quelques autres églises de France. Il en donna surtout une bonne partie à l’église de Notre-Dame de Laon, ville autrefois du diocèse de Rheims, où il avait été élevé : il ordonna aussi que l’évêque de cette ville Gennebaud, noble de naissance, et savant dans les lettres, tant sacrées que profanes, qui avait quitté sa femme, nièce, selon la tradition, de saint Remi, afin de vivre en religion ; et il réunit à la paroisse de Laon toutes celles du comté du même nom. Gennebaud prenant trop de confiance en lui-même, à cause de sa vie passée et du haut rang auquel il était parvenu, permit imprudemment à sa femme de le visiter trop souvent, sous prétexte de recevoir ses instructions ; mais, comme le témoignent les saintes Écritures, les eaux creusent les pierres, le courant emporte les terres, et les rochers sont changés de place : aussi advint-il que les fréquentes visites et les doux entretiens de sa femme amollirent son cœur, jusque là ferme et incorruptible aux plaisirs des sens, et le précipitèrent, pour ainsi dire comme une roche, du sommet de la sainteté dans la fange de la luxure. Cédant aux insinuations du démon, il se laissa dévorer aux flammes de la concupiscence ; et reprenant commerce avec son ancienne compagne, il en eut un fils, qu’il nomma Larron, parce qu’il l’avait engendré comme par larcin. La faute était demeurée secrète ; dans la crainte de faire naître les soupçons si l’évêque lui défendait sa maison, la femme continua ses visites comme auparavant. Mais la première faute si heureusement cachée aux hommes, et d’un autre côté, l’ardeur secrète de volupté nourrie dans le cœur de tous deux, firent enfin retomber l’évêque, d’abord contrit de son péché, dans une seconde faute : oubliant ce qui avait fait le sujet de ses larmes, il commit de nouveau le crime qu’il avait déploré. Quand il apprit qu’une fille lui était née de son péché, il donna l’ordre de lui donner le nom de Vulpécule, comme engendrée par la fraude d’une mère artificieuse et rusée. Le Seigneur ayant de nouveau jeté sur Gennebaud un regard semblable à celui qu’il avait autrefois jeté sur saint Pierre, il se repentit ; et pénétré de componction, il supplia saint Remi de venir à Laon. Après l’avoir reçu avec la vénération due à ses vertus, ils se retirent ensemble dans un appartement secret. Là Gennebaud éclate en gémissements ; prosterné aux pieds de son saint protecteur, il s’accuse et veut se dépouiller de son étole. Saint Remi l’interroge, et veut connaître exactement la cause d’une si grande douleur ; les larmes, les sanglots lui coupant la voix, le coupable peut à peine parler : cependant il raconte sa faute sans rien omettre. L’homme de Dieu, le voyant si profondément contrit, essaie de le consoler avec douceur ; il proteste qu’il est moins affligé de ses fautes que de sa défiance de la bonté et de la miséricorde de Dieu, auquel rien n’est impossible, qui ne rejette jamais le pécheur pénitent, et qui même a donné son sang pour les pécheurs. Ainsi le sage et charitable évêque s’efforce de le relever de sa chute, lui montrant par divers exemples qu’il pourra facilement trouver grâce devant Dieu, pourvu qu’il veuille offrir au Seigneur de dignes fruits de repentir. Après l’avoir ainsi ranimé par ses saintes exhortations, il lui inflige une pénitence, fait construire un e petite cellule, éclairée par une petite fenêtre, avec un oratoire, qu’on voit encore près de l’église de saint Julien à Laon, et y renferme l’évêque pénitent. Pendant sept ans il gouverna son diocèse, officiant alternativement un dimanche à Rheims, et l’autre à Laon. La miséricorde de Dieu montra bientôt combien en cette réclusion Gennebaud avait profité, à quelle rigueur de contrition et de continence il s’était condamné, et combien dignes furent les fruits de sa pénitence ; car la septième année, la veille de la cène de Notre-Seigneur Jésus-Christ, il passait la nuit dans la pénitence et la prière, pleurant amèrement sur lui-même, de ce qu’après avoir été élevé autrefois à l’honneur et autorité de réconcilier les pécheurs à Dieu, il n’était pas même digne, à cause de ses fautes, de se mêler dans l’église entre les pénitents ; environ sur le minuit un ange du Seigneur vint à lui avec une grande lumière, dans l’oratoire où il était prosterné en terre, et lui dit : « Les prières que ton père saint Remi a faites pour toi sont exaucées : ta pénitence a été agréable au Seigneur, et ton péché t’est remis. Lève-toi de ce lieu, va remplir ton ministère épiscopal, et réconcilie au Seigneur ceux qui font pénitence de leurs in iniquités ». Gennebaud, frappé d’une trop grande terreur, ne pouvait répondre. Alors l’ange du Seigneur le rassure, et l’exhorte à ne pas craindre, et au contraire à se réjouir de la miséricorde de Dieu envers lui. Enfin, réconforté, il répond qu’il ne peut sortir, parce que son seigneur et père saint Remi a emporté la clef, et scellé la porte de son cachet. Alors l’ange : « Pour que tu ne doutes pas — dit-il — que j’ai été envoyé par le Seigneur, comme le ciel t’est ouvert, qu’ainsi cette porte te soit ouverte ». Et aussitôt, sans briser ni cachet ni cire, la porte s’ouvrit. Gennebaud alors, se prosternant en croix sur le seuil, s’écria : « Quoique le Seigneur Jésus-Christ lui-même ait daigné venir à moi, pécheur indigne, je ne sortirai point d’ici que celui qui m’y a enfermé en son nom vienne m’en tirer ». A cette réponse l’ange se retire. Cependant saint Remi passait cette même nuit en prière dans le caveau situé sous l’église de Notre-Dame de Rheims, et qui depuis a été consacré sous le nom du bienheureux saint Remi lui-même par l’évêque Hérivée. Le saint homme, fatigué de veiller et comme endormi, est ravi en extase, et voit un ange à ses côtés, qui lui raconte ce qui vient de se passer, et lui ordonne d’aller en toute hâte à Laon, de rétablir Gennebaud sur le siège, et de lui persuader de remplir son ministère pastoral. Le bienheureux se lève sans hésiter, et se rend en toute hâte à Laon. Là il trouve Gennebaud prosterné sous le seuil de sa cellule, et la porte ouverte sans que le cachet ni la cire aient souffert. Alors, lui ouvrant ses bras avec larmes de joie, et louant la miséricorde du Seigneur, il le relève, le rend à son siège et au ministère pontifical, et revient à Rheims plein d’allégresse. Quant à Gennebaud, soutenu par la grâce de Dieu, il vécut ensuite tout le reste de sa vie dans la sainteté, publiant hautement ce que le Seigneur avait fait pour lui. Aussi mourut-il dans la paix, compté au nombre des saints du Seigneur, après avoir tout le temps occupé l’épiscopat, qu’il transmit à son fils Larron, évêque comme lui, et comme lui mis aussi au nombre des saints.

* * *

Cependant Clovis avait établi sa demeure à Soissons. Ce prince trouvait un grand plaisir dans la compagnie et les entretiens de saint Remi ; mais comme le saint homme n’avait dans le voisinage de la ville d’autre habitation qu’un petit bien qui avait été autrefois donné à saint Nicaise, le roi offrit à saint Remi de lui donner tout le terrain qu’il pourrait parcourir pendant que lui-même ferait sa méridienne, cédant en cela à la prière de la reine et à la demande des habitants qui se plaignaient d’être surchargés d’exactions et contributions, et qui, pour cette raison, aimaient mieux payer à l’église de Rheims qu’au roi. Le bienheureux saint Remi se mit donc en chemin, et l’on voit encore aujourd’hui les traces de son passage et les limites qu’il marqua. Chemin faisant, il advint qu’il fut repoussé par un meunier qui ne voulut pas que son moulin fût renfermé dans l’enceinte de son domaine. « Mon ami — lui dit avec douceur l’homme de Dieu —, ne trouve pas mauvais que nous possédions ensemble ce moulin ». Celui-ci l’ayant refusé de nouveau, aussitôt la roue du moulin se mit à tourner à rebours : lors le meunier de courir après saint Remi et de s’écrier : « Viens, serviteur de Dieu, et possédons ensemble ce moulin. — Non — répondit le saint —, il ne sera ni à toi ni à moi ». Et en effet la terre se déroba aussitôt, et un tel abîme s’ouvrit à l’endroit que jamais depuis il n’a été possible d’y établir un moulin.

De même encore, passant auprès d’un petit bois, ceux à qui il appartenait l’empêchant de le comprendre dans son domaine : « Eh bien ! — dit-il —, que jamais feuille ne vole ni branche ne tombe de ce bois dans mon clos ». Ce qui a été en effet observé, par la volonté de Dieu, tant que le bois a duré, quoiqu’il fût tout à fait joignant et contigu.

De là, continuant son chemin, il arriva à Chavognon qu’il voulu aussi enclore ; mais les habitants l’en empêchèrent. Tantôt repoussé et tantôt revenant, mais toujours égal et paisible, il marchait toujours traçant les limites telles qu’elles existent encore à présent. A la fin, se voyant repoussé tout à fait, on rapporte qu’il leur dit : « Travaillez toujours, et demeurez pauvres et souffrants » : ce qui s’accomplit encore aujourd’hui par la vertu et puissance de sa parole. Quand le roi Clovis se fut levé après sa méridienne, il donna à saint Remi, par rescrit de son  autorité royale, tout le terrain qu’il avait enclos en marchant ; et, de ces biens, les meilleurs sont Luilli et Cocy, dont l’église de Rheims jouit encore aujourd’hui paisiblement.

* * *

Un homme très puissant, nommé Euloge, convaincu de crime de lèse-majesté contre le roi Clovis, eut un jour recours à l’assistance de saint Remi, et par son intercession obtint grâce de la vie et de ses biens. Euloge, en récompense du service qu’il en avait reçu, offrit à son généreux patron, en toute propriété, son village d’Épernay : ce que le bienheureux évêque ne voulut point accepter, rougissant de recevoir une rétribution temporelle comme en salaire de son intervention. Mais voyant Euloge couvert de confusion et décidé à se retirer du monde, parce qu’il n’y pouvait plus rester après avoir, contre l’honneur de sa maison, obtenu grâce de la vie, il lui donna un sage conseil, lui disant que, s’il voulait être parfait, il vendit tous ses biens et en distribuât l’argent aux pauvres, pour Jésus-Christ ; ensuite taxant le prix, et prenant dans le trésor ecclésiastique cinq mille livres d’argent, il les donna à Euloge, et acquit à l’église la propriété de ses biens ; laissant ainsi à tous évêques et prêtres ce bon exemple que, quand ils intercèdent pour ceux qui viennent se jeter dans le sein de l’Église, ou entre les bras des serviteurs de Dieu, et qu’ils leur rendent quelque service, jamais ils ne le doivent faire en vue d’une récompense temporelle, ni accepter en salaire des biens passagers ; mais bien au contraire, selon le commandement du Seigneur, donner pour rien comme ils ont reçu pour rien.

Chapitre XV

Des victoires de Clovis obtenues par l’intercession
de saint Remi, et de la mort de ce roi

Le roi Clovis ayant rassemblé son armée pour marcher contre Gondebaud et Godégisile son frère, saint Remi lui donna sa bénédiction et lui prédit la victoire ; et entre autres instructions il lui ordonna de combattre les ennemis tant que le vin béni, dont il lui faisait présent, suffirait à son usage quotidien. Les Bourguignons, conduits par leurs deux rois, rencontrèrent Clovis et les Francs sur les bords de l’Ouche, près de Dijon. Après un combat opiniâtre les Bourguignons furent mis en fuite, et Gondebaud, obligé de se renfermer dans Avignon, n’obtint qu’à grand-peine la paix par l’entremise de son conseiller Arédius, et à force de trésors. Clovis rentra dans son royaume avec son armée, chargé d’un immense butin ; mis à peine avait-il eu le temps de fonder à Paris une église en l’honneur des bienheureux apôtres saint Pierre et saint Paul, et de tenir concile à Orléans par le conseil de saint Remi, qu’il fut obligé de marcher contre le roi Alaric arien. Avant de partir, il reçut encore la bénédiction de saint Remi, et l’assurance de la victoire. Comme la première fois, l’homme du Seigneur donna au roi un flacon rempli de vin béni, et lui recommanda de continuer la guerre, tant que son flacon fournirait du vin à lui et à ceux des siens à qui il jugerait convenable d’en donner. Durant l’expédition le roi et plusieurs des siens buvaient, et cependant le vin ne s’épuisait point. A la fin il engagea le combat avec les Goths, les mit en fuite, et demeura vainqueur, par l’assistance du bienheureux saint Remi. Dans ce combat deux Goths le frappèrent de leurs épieux dans le flanc ; mais les mérites de son saint patron le protégeaient, et ils ne purent le blesser. Après avoir soumis plusieurs villes à sa domination, il poussa ses conquêtes jusqu’à Toulouse, où il s’empara de tous les trésors d’Alaric. Puis reprenant sa route pour Angoulême, dont les murs tombèrent miraculeusement devant lui, et où il fit massacrer tous les Goths qui s’y étaient enfermés, il rentra glorieusement en France ; et le vin ne tarit en son flacon qu’après son retour dans le royaume.

Enfin, d’après le conseil de saint Remi, le roi Clovis envoya en offrande au bienheureux apôtre saint Pierre une couronne royale toute en or, et enrichie de pierres précieuses. A peu près dans le même temps il reçut de l’empereur Anastase un codicille qui lui conférait le consulat, en vertu duquel il prit la couronne d’or, la tunique de pourpre, et depuis porta le titre de consul. De son côté, Hormisdas, pape de Rome, établit saint Remi son vicaire au royaume de Clovis, et lui expédia les lettres.

Sur ces entrefaites le roi Clovis mourut en paix à Paris, et fut enseveli dans la basilique de saint Pierre, qu’il avait lui-même fait bâtir. A moment même où il trépassait, saint Remi, qui était alors à Rheims, en eut révélation par le Saint-Esprit, et annonça cette nouvelle à ceux qui l’entouraient.

Chapitre XVI

Du concile où saint Remi convertit un hérétique

Les évêques de Gaule se réunissant en concile pour les affaires de la foi, y appelèrent saint Remi, comme doué d’une éloquence divine, et très instruit dans les lettres et matières ecclésiastiques. Or, en cette assemblée se trouvait un évêque arien, grand et hardi disputeur, plein de confiance aux subtilités et arguties de la dialectique, et pour ce, enorgueilli et hautain. Quand saint Remi entra dans le concile, tous ses frères se levèrent pour lui faire honneur ; l’orgueilleux hérétique dédaigna seul de se lever. Mais au moment où le saint évêque passa devant lui, sa langue fut soudain enchaînée, et il perdit la voix. Tous s’attendaient qu’après l’allocution de saint Remi, il prendrait la parole pour lui répondre : mais il ne put proférer un seul mot, et allant se jeter humblement au pied du saint personnage, il lui demanda grâce par signes. Lors saint Remi : « Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, vrai fils du Dieu vivant, si tu as ainsi foi en lui, parle, et crois et confesse de lui ce que l’Église catholique croit et confesse ». A sa voix, l’hérétique, auparavant superbe, devenu humble et catholique, confessa catholiquement la foi orthodoxe sur la sainte et indivisible Trinité et sur l’incarnation de Jésus-Christ, et promit avec serment de demeurer fidèle dans la foi de sa confession. Ainsi, par la vertu de la grâce, le vénérable prélat rendit la santé de l’âme et du corps à celui qui avait perdu son âme par l’infidélité, et qui avait mérité de souffrir en son corps et de perdre la parole à cause de son orgueil ; instruisant ainsi d’une manière éclatante tous les prêtres qui étaient présents et ceux qui apprendraient ce miracle, et leur enseignant, par sa conduite envers cet hérétique mal pensant de Jésus-Christ (qui a daigné descendre jusqu’à nous, et se faire notre frère par l’humanité), comment ils doivent traiter les pécheurs rebelles à Dieu et à l’Église, et comment aussi les pécheurs convertis et revenus à pénitence.

Chapitre XVII

De l’extension du feu,
de la mort et sépulture de saint Remi

Cependant saint Remi s’en allait sur le déclin de l’âge. Le Saint-Esprit lui ayant révélé sur ses vieux jours qu’une grande famine devait suivre l’abondance qui régnait alors, il fit faire, avec le grain des villages du diocèse, des meules et monceaux de blé, pour soulager le peuple quand il souffrirait de la disette. Beaucoup de ces meules avaient été élevées dans le village de Cernay ; or les habitants de ce village étaient rebelles et séditieux. Un jour qu’ils étaient ivres, ils commencèrent à dire entre eux : « Que veut donc faire de tout ce blé ce vieux jubilaire ? — c’est ainsi qu’ils appelaient saint Remi, à cause de son grand âge — voudrait-il pas en faire une ville ? » et ils disaient cela parce que les meules étaient rangées autour du village comme des tourelles le long des murs d’une ville. Enfin poussés du démon, et s’excitant les uns les autres, ils y mirent le feu ; ce qu’ayant appris, le saint évêque, qui se trouvait dans un village voisin nommé Bazancourt, monta aussitôt à cheval, et accourut en toute hâte à Cernay pour réprimer et punir une telle audace. Arrivé là et trouvant le blé qui brûlait, il se mit à se chauffer devant le feu, disant : « Le feu est toujours bon, s’il n’excède et n’est par trop puissant. Cependant, que tous ceux qui l’ont allumé et que la race qui naîtra d’eux soient punis, les hommes frappés d’hernies et les femmes d’enflure à la gorge ». Ce qui a été accompli en effet jusqu’au temps de Charlemagne, qui extermina du village de Cernay toute cette race maudite, parce qu’ils avaient tué le vidame de l’église de Rheims, faisant mettre à mort les auteurs du crime, dispersant les autres qui avaient été coupables d’assentiment dans les diverses provinces, les condamnant à un exil éternel, et repeuplant Cernay avec des habitants pris dans les autres villages du diocèse : Ainsi toute cette race, hommes et femmes, fut punie, selon la sentence portée par le saint évêque ; et c’est avec raison que l’homme de Dieu frappa de sa vengeance non seulement les coupables, mais encore leur postérité, parce qu’il prévoyait que cette postérité serait rebelle et séditieuse.

Après ces diverses merveilles, et beaucoup d’autres encore que le Seigneur daigna opérer par le ministère de son fidèle serviteur, il exauça enfin ses soupirs et ses gémissements, en lesquels il ne cessait de s’écrier : « Quand viendrai-je et paraîtrai-je devant la face de mon Dieu ? Je serai rassasié quand il me manifestera sa gloire ». Le Seigneur donc, par une pieuse consolation, lui révéla que le jour de sa mort approchait. Plein de confiance en cette révélation, il dressa son testament, se hâtant d’aller jouir de l’héritage dont le prophète dit : « Lorsque le Seigneur aura accordé le repos comme un sommeil à ses bien-aimés, ils jouiront de l’héritage du Seigneur » [3]. Ainsi le saint homme, abandonnant l’héritage terrestre, reçut en place l’héritage céleste et éternel.

Après qu’il eut fait son testament et réglé toutes ses affaires, comme le bon vigneron émonde tout cep de bonne vigne qui porte fruit afin de lui en faire porter davantage, ainsi Dieu le priva pour un temps des yeux du corps afin qu’il pût contempler plus attentivement des yeux de l’esprit les choses d’en haut, vers lesquelles il aspirait de toute la force de ses désirs. Pendant le temps de son épreuve il ne cessait de rendre grâce au Seigneur, célébrant jour et nuit ses louanges, chantant des hymnes, et rappelant fidèlement en sa mémoire que ceux qui reçoivent les afflictions avec patience et humilité sont ensuite élevés et admis au repos éternel. Aussi le Seigneur se plut-il à lui donner un signe avant-coureur de la gloire céleste, et pour garant il lui rendit la vue avant de mourir : ce dont il bénit le nom du Seigneur, comme il avait fait auparavant, quand il l’avait perdue. Peu de temps après, sachant que le jour de son trépas était venu, il voulut dire adieu et donner sa paix à ses enfants, en célébrant la messe, et les faisant participer avec lui à la sainte communion. Et ainsi, après soixante-quatorze ans religieusement passés dans l’épiscopat en fidèle et prudent serviteur de Dieu, le 13 janvier, dans la quatre-vingt-seizième année de sa vie, après avoir fourni toute la lice sainte et sans cesse gardé la foi, chargé de bonnes œuvres, et son âme riche des âmes qu’il avait sauvées, il mourut, et son âme remontant dans les cieux, depuis si longtemps objet de ses désirs, il laissa son corps à la terre. Il reçut la robe blanche, c’est-à-dire l’éternelle béatitude de l’âme, en attendant le jour de la résurrection où il jouira de l’immortalité bienheureuse de son corps ressuscité à la gloire, et aura part et société avec les principaux membres de Jésus-Christ au royaume céleste, comme le témoignent la grâce apostolique qui lui a été conférée, la conversion des Francs à la foi de Jésus-Christ opérée par ses mérites, la palme du martyre, la longanimité de sa patience pendant sa longue vie, la gloire de sa confession en Notre-Seigneur, ses prédications de la foi orthodoxe, enfin la manifestation des œuvres miraculeuses qu’il a faites tant en sa vie qu’après sa mort.

Pendant qu’on portait son corps à la sépulture qui lui avait été préparée dans l’église des martyrs Timothée et Apollinaire, il arriva que tout ç coup, au milieu du chemin, la bière devint si pesante que malgré tous les efforts on ne put parvenir à la soulever. Le peuple, frappé d’étonnement, supplie le Seigneur de daigner faire connaître en quel lieu il veut qu’on dépose le corps de son saint : cependant ils nomment l’église des martyrs, et essaient de soulever la bière : elle résiste. On propose l’église de saint Nicaise, et la bière demeure : l’église de saint Sixte et saint Sinice, et la bière est toujours immobile. Enfin, ne sachant que résoudre, ils avisent qu’il reste une petite église consacrée à saint Christophe, martyr, où ne reposent aucunes reliques saintes, du moins manifestées telles, quoique le cimetière de Rheims eût été autrefois situé autour du parvis de cette église ; et ils supplient le Seigneur de déclarer s’il veut que les saints et précieux restes y soient déposés. Aussitôt la bière est levée avec facilité, et devint si légère qu’il semble qu’on ne porte rien. Ainsi, par cette disposition de la volonté divine, le corps du saint évêque fut enseveli dans cette église, à l’endroit où est aujourd’hui l’autel sainte Geneviève. Depuis de nombreux miracles ont été opérés à l’endroit où l bière s’arrêta et devint pesante. On y voit encore aujourd’hui une croix, plantée en mémoire du miracle, et portant l’inscription suivante :

« Quand le grand évêque saint Remi passa de ce monde à la patrie céleste, tout un peuple fidèle transporta dignement son corps jusqu’ici, voulant lui donner sépulture dans l’église de saint Timothée, martyr, mais il s’arrêta en ce lieu, et n’en put être enlevé que lorsque le Seigneur eut révélé lui-même l’endroit où on devait le déposer. Maintenant, par la grâce de Jésus-Christ, il fait ici de grands miracles envers ceux qui sont dévots et fidèles au Seigneur, rendant la vue aux aveugles, redressant les boiteux et guérissant les malades. Prions donc le Seigneur avec instance et dévotion, afin que, par sa pieuse intercession, nous méritions d’obtenir le pardon de nos péchés et les joies du paradis. O bienheureux saint Remi, précieux confesseur de Jésus-Christ, ayez aussi pitié d’Adelhold, votre serviteur ».

Chapitre XVIII

Testament de saint Remi [4]

Au nom du Père, du Fils et su Saint-Esprit, gloire à Dieu, ainsi soit-il.

« Moi, Remi, évêque de la cité de Rheims, revêtu du sacerdoce, j’ai fait mon testament conformément au droit prétorien, et j’ai voulu qu’il eût la force de codicille dans le cas où il paraîtrait y manquer quelque formalité. Quand donc moi, Remi, évêque, aurai passé de ce monde en l’autre, sois mon héritière, sainte et vénérable église de Rheims, et toi, fils de mon frère, Loup, évêque, que j’ai toujours aimé de prédilection, et toi aussi, mon neveu Agricola, prêtre, qui m’as plu dès ton enfance par ton obéissance et par tes soins, partagez entre vous trois tous les biens que j’aurai acquis avant ma mort, outre que j’aurai donné, légué, ou ordonné de donner à chacun de vous. A toi, ma sainte héritière, vénérable église de Rheims, je laisse tous les colons que j’ai au territoire de Portian, tant ceux que j’ai hérités de mon père ou de ma mère que ceux que j’ai échangés avec mon frère, de bienheureuse mémoire, Principe, évêque, ou qui me sont venus de donation, savoir : parmi les hommes, Dagarède, Profuturus, Prudence, Temnaich, Maurillon, Baudoleiphe, Provinciole ; parmi les femmes, Naviatène, Laute et Suffronie ; de plus Amorin, serf ; et que tous ceux que je laisse sans en disposer par le présent testament deviennent aussi ta propriété. Ainsi il en sera des terres et villages que je possède aux territoires de Portian, Tuin, Balatonium, Plerinacum, Vacculiacum [5], et généralement de tout ce que je possède en ce pays, à quelque titre que ce soit, champs, prés, pâturages, forêts : pareillement, ma très sainte héritière, tout ce qui t’a été donné par mes parents et amis, en quelque lieu ou pays que ce soit, et dont j’aurai disposé en faveur des hôpitaux, couvents, oratoires de martyrs, maisons de diacres, hospices et généralement de tous les établissements soumis à ta juridiction, sera maintenu comme j’en aurai disposé ; et mes successeurs à l’évêché de Rheims respectant en moi l’ordre de succession, comme je l’ai respecté dans mes prédécesseurs, garderont et observeront mes dispositions, sans altération ni changement aucun. Le village de Cernay, que ma cousine Celse t’a donné par mes mains, ainsi que Huldriacum [6], présent du comte Huldric, serviront à l’entretien et à la couverture du lieu que mes saints frères et co-évêques du diocèse auront choisi pour ma sépulture ; soit aussi ce lieu la propriété particulière des évêques, et soit affecté à l’entretien des clercs qui y serviront le Seigneur, le bourg de [7]…….. au territoire de Portian, de mon patrimoine, ainsi que les fermes du domaine de l’évêché au pays de Rheims. Le domaine de Blandibaccius [8], que j’ai acheté de mes cohéritiers Benoît et Hilaire, et payé des deniers du trésor de l’église, et celui d’Albiniacus [9], qui fait partie du domaine de l’évêché, fourniront en commun à l’entretien des clercs de l’église de Rheims. Berna [10], du domaine de l’évêché, qui était autrefois la propriété particulière de mes prédécesseurs, deux domaines qui m’ont été donnés en témoignage d’affection par le roi Clovis que j’ai tenu sur les saints fonts de baptême, et qui s’appellent en sa langue Bischoffsheim, Cosle [11] et Gleni [12], ainsi que les bois, près et pâturages que j’ai fait acheter par divers gens dans les Vosges ou aux environs, en deçà au au-delà du Rhin, fourniront chaque année aux clercs de Rheims, et à toutes les maisons régulières établies par moi et mes prédécesseurs, ou qui seront établis dans la suite par mes successeurs, la provision de poix nécessaire pour la préparation et entretien des tonneaux à vin. Crusciniacum [13], La Fère, et tous les villages que le roi très chrétien Clovis donna à la très sainte vierge de Jésus-Christ Geneviève, pour fournir aux frais des voyages qu’elle avait coutume de faire pour visiter l’église de Rheims, et qu’ensuite elle a légués aux clercs qui y servent le Seigneur, resteront affectés au même emploi, et je confirme sa donation ; avec cette condition que Crusciniacum fournira aux obsèques de mon premier successeur, et à réparation de la couverture de l’église principale, et que La Fère demeurera à l’évêque mon premier successeur, et sera à perpétuité affecté à l’entretien de l’église où reposera mon corps. Le village d’Épernay, que j’ai acheté d’Euloge cinq mille livres d’argent, est ta propriété, ma très sainte héritière, et mes autres héritiers n’y ont aucun droit, car c’est avec ton argent que j’ai payé, et c’est aussi en ton nom que j’ai obtenu grâce pour Euloge, accusé de lèse-majesté et réduit à l’impossibilité de se disculper, et que j’ai empêché qu’il ne fût mis à mort et ses biens vendus. En conséquence je te lègue Épernay à perpétuité, en dédommagement des sommes tirées de ton trésor, et pour le traitement de ton évêque.

Je te confirme aussi à perpétuité la propriété de Douzy, ainsi que l’a voulu Chlodoald, ce jeune prince d’un si noble caractère. Enfin, ma sainte héritière, tous les villages qui m’ont été donnés en propre par le roi Clovis, de glorieuse mémoire, quand il était encore païen et ignorait le vrai Dieu, avant que je l’eusse tenu sur les fonts de baptême, je les ai donnés depuis longtemps aux lieux les plus pauvres, afin que ce prince, encore infidèle, ne pût croire que j’étais avide des richesses de la terre, et que je cherchais moins le salut de son âme que les biens extérieurs dont il pouvait me combler. C’est pourquoi ce prince, admirant ma conduite, me permit d’intercéder auprès de lui pour tous ceux qui étaient dans la nécessité, et, soit avant, soit après sa conversion, a toujours été bienveillant et libéral envers moi. Connaissant que de tous les évêques des Gaules j’étais celui qui travaillait le plus à la conversion et à l’instruction des Francs, le Seigneur m’a comblé de tant de grâces devant ce roi, et la main de Dieu s’est plue à opérer, par le Saint-Esprit et par mon ministère, à moi pauvre pécheur, tant de miracles pour le salut de sa nation, que ce ^rince non seulement rendit à toutes les églises du royaume des Francs ce qu’elles avaient perdu, mais encore en enrichissant un grand nombre de ses propres dons et de sa libéralité ; et je ne voulus pas réunir au domaine de l’église de Rheims un pied de terre de son royaume, que je n’eusse auparavant obtenu pleine restitution pour toutes les églises. J’ai fait de même aussi après son baptême ; et je n’ai cédé que pour Cocy et Luilly, parce que le saint et jeune Chlodoard, mon cher et intime ami, et les malheureux de ces villages accablés de charges de toute espèce, me supplièrent de demander qu’il leur fût permis de payer désormais à mon église ce qu’ils devaient au roi ; et ce prince très pieux accueillit ma demande avec bonté, et me l’accorda de grand cœur. Suivant donc la volonté du pieux donateur, mas très sainte héritière, j’ai confirmé par mon autorité épiscopale cette cession, et en consacre le produit à tes besoins. De même j’affecte à l’entretien de tes luminaires et de ceux du lieu où je serai enterré tous les biens que le roi très chrétien m’a donnés en Septimanie et en Aquitaine, tous ceux qui m’ont été donnés en Provence par un certain Benoît, dont la fille me fut envoyée par Alaric, et fut, par la grâce du Saint-Esprit et par l’imposition de mes mains, à moi pauvre pécheur, non seulement délivrée des liens du démon, mais encore rappelée des enfers ; enfin tous les domaines situés en Austrasie et en Thuringe. Je laisse à l’évêque qui me succédera une chasuble blanche pour la fête de Pâques, deux tuniques peintes, trois tapis qui servent les jours de fête à fermer les portes de la salle de festin, du cellier et de la cuisine : à toi, ma sainte héritière, et à l’église de Laon un vase d’argent de trente livres et un autre de dix livres que vous partagerez pour faire des patènes et des calices pour le service divin, ainsi que je l’entends. Je te réserve aussi le vase d’or de dix livres que j’ai reçu de ce roi tant de fois nommé, Clovis, de glorieuse mémoire, que j’ai tenu sur les saints fonts, ainsi que je l’ai déjà dit ; je veux qu’il serve à te faire un ciboire et un calice ciselés, sur lesquels sera gravée l’inscription que j’ai dictée moi-même et fait graver sur un calice d’argent à Laon, ce que je ferai moi-même si Dieu me prête vie ; et si je viens à mourir, je m’en remets au fils de mon frère, Loup, évêque, qui, fidèle à mes volontés, fera faire ces deux vases sacrés ainsi que je l’ordonne. Je donne à mes confrères dans le sacerdoce, et diacres de Rheims, vingt-cinq sous d’or à partager également entre tous ; plus un plant de vigne situé au-dessus de ma vigne dans le faubourg, qu’ils posséderont en commun, ainsi que le vigneron Mélanius, que je donne à la place d’Albovich, serf de l’église, afin que ledit Albovich jouisse d’une pleine liberté ; aux sous-diacres, douze sous d’or ; aux lecteurs, gardes des saintes hosties et jeunes servants, huit sous d’or ; aux douze pauvres de l’hôpital qui demandent l’aumône à la porte de l’église, deux sous d’or, outre les revenus du domaine de Courcelles, que je leur ai assignés depuis longtemps ; aux trois autres pauvres qui doivent laver chaque jour les pieds à nos frères, et auxquels j’ai affecté pour ce ministère le bâtiment dit l’Hospice, un sou d’or ; aux quarante veuves qui demandent l’aumône sous le portique de l’église, et auxquelles il était accordé une rétribution prise sur les dîmes de Chermizy, Tessy et Villeneuve, je donne de surplus à perpétuité sur le domaine de Huldriacum, ci-dessus dénommé, trois sous et quarante deniers ; à l’église de Saint-Victor, auprès de la porte de Soissons, deux sous ; à l’église de Saint-Martin, de la porte Collatitia, deux sous ; à l’église de Saint-Hilaire, à la porte de Mars, deux sous ; à l’église de Saint-Crépin et Saint-Crépinien, à la porte de Trèves, deux sous ; à l’église de Saint-Pierre, en la Cité, que l’on nomme la Cour du Seigneur, deux sous ; à l’église que j’ai fait bâtir en l’honneur de tous les martyrs sur le caveau de Rheims, lorsque, avec le secours de Dieu, j’arrachai aux flammes du démon la ville déjà presque toute réduite en cendres, deux sous ; à l’église que j’ai fait bâtir dans la Cité, en mémoire du même miracle, à l’honneur de saint Martin et de tous les saints confesseurs, deux sous ; au diaconat de la Cité, dit des Apôtres, deux sous ; à la cure de Saint-Maurice, rue de César, deux sous ; à l’église fondée par Jovin, sous l’invocation de saint Agricola, et en laquelle reposent le très chrétien Jovin et le saint martyr Nicaise avec plusieurs de ses compagnons de martyre, et aussi cinq confesseurs, les premiers successeurs de saint Nicaise ; avec sainte Eutrope, vierge et martyre, trois sous d’or ; de plus, territoire de Soissons, avec l’église de Saint-Michel ; à l’église des saints martyrs Timothée et Apollinaire, en laquelle, avec la grâce de Dieu, et s’il plaît à mes frères et mes enfants les évêques de la province, je désire être enterré, quatre sous d’or ; à l’église de Saint-Jean, où, par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ressuscita, à ma prière, la fille de Benoît, deux sous ; à l’église de Saint-Sixte, où ce pieux évêque repose avec trois de ses successeurs, trois sous ; en outre, de mes domaines particuliers, Plebeia sur Marne ; à l’église de Saint-Martin, située sur le territoire de l’église de Reims, deux sous ; à l’église de Saint-Christophe, deux sous ; à l’église de Saint-Germain, que j’ai moi-même fait bâtir au territoire de Rheims, deux sous ; à l’église des saints Cosme et Damien située sur le territoire de notre mère l’église de Rheims, deux sous ; à l’hospice de la Sainte Vierge, dit Xenodochion, où douze pauvres reçoivent l’aumône, un sou ; enfin j’entends que cet hôpital soit attaché à perpétuité au lieu où mes frères et mes enfants jugeront à propos de déposer mes restes ; et pour qu’on y prie nuit et jour pour la rémission de mes péchés, j’ajoute de surplus sur mes biens, à ce que mes prédécesseurs ont fixé pour l’entretien de ces pauvres, les domaines de Seladrone et de Saint-Étienne, et tout ce qui m’est échu par succession au domaine d’Hérimond. Tout ce que j’ai acheté en ce lieu, je l’ai depuis longtemps donné à l’église de Saint-Quentin martyr, et je ratifie la donation. Je donne la liberté aux serfs suivants du village de Vacculiacum, ci-dessus dénommé : savoir, à Fruminius, Degaleiphe, Dagarède, Duction, Baudowic, Udulphe et Vinofeiphe : que Temnarède, qui est né d’une mère ingénue, jouisse de l’état de pleine liberté.

Quant à toi, le fils de mon frère Loup, évêque, tu auras en partage Nifaste et sa mère Nucia ; la vigne que cultive le vigneron Æneas : tu donneras la liberté à Æneas et à son plus jeune fils Monulphe. Melotique le porcher, et sa femme Paschasis, Vernivian et ses fils, excepté Widragaise, auxquels j’ai donné la liberté, dépendront de toi et te serviront. Je te donne mon serf de Cernay ; partie des terres qui ont appartenu à mon frère Principe, évêque, avec leurs bois, prés et pâturages ; mon serf Viterède, qui a appartenu à Mellowic. Je te lègue et transmets Teneursole, Capulin, et sa femme Théodorosène. Je donne la liberté à Théodonime, Edoneiphe, qui s’est unie à un des serfs, t’appartiendra, ainsi que les enfants qui naîtront d’elle. Je donne la liberté à la femme d’Arégilde et à ses enfants. Je te laisse ma part de la prairie que je possède conjointement avec notre famille, à Laon, au pied des collines, ainsi que les petits prés Joviens qui m’ont appartenu, et aussi Labrinacum [14], où j’ai déposé les restes de notre mère. A mon neveu Agricola, prêtre, qui as été élevé dés ta plus tendre enfance dans ma maison, je lègue le serf Merumvast, sa femme Meratène, et leur fils Marcovic. Je donne la liberté à son frère Medovic, mais je te laisse sa femme Amantie. Je donne la liberté à leur fille Dasounde. Je te lègue le serf Alaric, mais. je te charge de défendre et de protéger la liberté de sa femme, que j'ai rachetée et affranchie. Bebrimode et sa femme Morta t'appartiendront, mais leur fils Monachaire jouira du bienfait de la liberté. Je te donne Mellaric et sa femme Placidie, mais j'affranchis leur fils Medarid ; la vigne que Mellaric a plantée à Laon ; mes serfs Britobaude et Giberic ; la vigne que Bebrimode cultive, à condition que les fêtes et dimanches il soit célébré une messe en mon nom, et qu'un repas annuel soit donné aux prêtres et aux diacres de l'église de Rheims.

Je laisse à mon neveu Prôtextat, Modérat, Totticion, Marcovic, et le serf Innocent qui m'est venu de Profuturus, mon serf de naissance ; quatre cuillères de famille, un vinaigrier, un manteau qui m'a été donné par le tribun Friarède, un bâton épiscopal d'argent à figures ; à son jeune fils Parovius, un vinaigrier, trois cuillères, et une chasuble dont j’ai changé les franges ; à Rémigie, trois cuillères qui portent mon nom, l'essuie-mains dont je me sers les jours de fête, et l'hichinaculum [15] dont j'ai parlé à Gondebaud.

Je donne à ma fille bien-aimée Hilarie, diaconesse, la servante Noca, le plant de vigne qui touche à sa vigne et qui est cultivé par Catusion, et ma part de Talpoucy, en reconnaissance des soins qu'elle ne cesse de me rendre.

Je donne à mon neveu Aëtius la partie de Cernay qui m'est échue en partage, avec tous mes droits et prérogatives, ainsi que l'esclave Ambroise. Je donne la liberté au colon Vital, et lègue sa famille à mon neveu Agathimère, à qui je laisse en outre la vigne que j'ai plantée à Wendisch, et élevée à force de soins, à condition que les fêtes et dimanches il fera dire une messe à mon intention, et donnera chaque année un repas aux prêtres et diacres de Laon.

Je donne à l'église de Laon deux des domaines qui m'ont été donnés par le roi Clovis, de sainte mémoire ; Anisy, et dix-huit sous d'or à partager également entre les prêtres et diacres ; de plus ma part entière du domaine de Secium et celui de Lauscita [16], qui m'a été donné pour pourvoir aux besoins des pauvres de Jésus-Christ, par ma très chère fille et sœur sainte Geneviève, que je regarde comme une des plus saintes vierges du Seigneur.

Je recommande à la fidélité du fils de mon frère Loup, évêque, les serfs ci-dessus dénommés de différents villages, que ma volonté est d'affranchir. Catusion et sa femme Auliatène ; Nonnion, qui cultive ma vigne ; Sonnoveife, que j'ai rachetée de captivité, et qui est née de bonne famille ; son fils Leutiberède, Mellaride, Mellatène, Vasante, Cocus, Cæsarie, Dagarasène, Baudorosène, petite-fille de Léon ; Marcoleife, fils de Totnon : que tous ces cerfs soient libres, et c'est à toi, Loup, de protéger leur liberté de toute ton autorité épiscopale.

Je donne à mon héritière, l'église de Rheims, Flavian et sa femme Sparagilde ; mais je donne la liberté à leur petite fille Flavarasène. Je laisse aux prêtres et aux diacres de Rheims Fédamie, femme de Mélanus, et leur petite fille. Je donne la liberté au colon Crispiciole, et je le lègue à mon neveu Aëtius ; de plus, à mes deux neveux Aëtius et Agathimère, mes colons de Passy. A ma petite nièce Prætextate, je donne Modorosène ; à Profuturus, l'esclave Leudochaire ; à Profutura, Leudonère. Je lègue aux sous-diacres de Laon, lecteurs, gardes des hosties et jeunes servants, quatre sous d'or ; aux pauvres de l'hôpital, un sou pour leur entretien ; à l'église de Soissons, pour qu'elle fasse commémoration de moi, Salvonaire sur Meuse et dix sous d'or, car j'ai laissé Sablonnières sur Marne à mes héritiers ; à l'église de Châlons, Gellones sur Marne, que je tiens de la bienfaisance de mon fils bien-aimé Clovis, et dix sous d'or ; à l’église de saint Memme, Fascinaria [17], don du même pieux roi, et cinq sous ; à l'église de Vouzi, le champ situé auprès du moulin établi en ce lien ; à l'église de Caturiges [18], quatre sous, et autant à celle de Portian, en commémoration de mon nom. A l'église d'Arras, dont j'ai consacré évêque mon frère Vaast, et à laquelle j'ai déjà donné pour l'entretien de ses clercs les deux villages d'Orcos et de Sabucetum [19], je lui donne en outre, pour qu'elle fasse mémoire de moi, vingt sous d'or.

Ayant eu à me louer beaucoup des soins obséquieux de l'archidiacre Ours, je lui lègue la chasuble fine que je portais à la maison ; une autre plus forte, deux saies fines, le tapis dont je me sers sur mon lit, et la meilleure tunique que je laisserai en mourant. Mes héritiers, Loup, évêque, et Agricola , prêtre, se partageront également mes porcs. Friarède, que j'ai racheté de la mort en payant pour lui quatorze sous d'or, en gardera deux dont je lui fais remise, et donnera les douze autres pour rétablir la voûte de l'église des saints martyrs Timothée et Apollinaire. Ainsi je donne, ainsi je lègue, ainsi j'ai fait mon testament : que tous ceux qui n'y sont point nommés n'aient aucun droit à mon héritage.

Et pour que le présent testament soit dés maintenant et à l'avenir à l'abri de toute ruse ou mauvaise fraude, je déclare que, s'il s'y rencontre quelque rature ou mot effacé, cela a été fait, moi présent, quand je l'ai relu et corrigé. Ne pourront deux autres testaments que j'ai faits, l'un il y a treize ans, l'autre il y a sept ans, contrevenir, déroger à celui-ci, ni prévaloir en rien contre, parce que tout ce qui était contenu dans ces deux premiers a été, en présence de mes frères, inséré dans ce dernier, tout ce qui y manquait a été suppléé ; et enfin j'y dispose de tout ce que le Seigneur a daigné m'accorder depuis. Soit donc le présent testament à jamais gardé inviolable et intact par nos successeurs les évêques de Rheims. Plaise aux rois des Francs, nos très chers fils, lesquels nous avons consacrés au Seigneur par le baptême, avec la coopération de notre sauveur Jésus-Christ et la grâce du Saint-Esprit, maintenir et défendre le présent envers et contre tous, dans toutes ses dispositions, afin qu'il obtienne pleine et entière exécution. Si quelqu'un de l'ordre ecclésiastique, depuis le prêtre jusqu'au simple tonsuré, ose contrevenir et déroger à mon testament, et si, rappelé à son devoir par mon successeur, il refuse d'obéir, que l'on convoque trois évêques des lieux les plus voisins du diocèse de Rheims, et qu'il soit dégradé de son rang.

Si (ce que je suis loin de craindre, et ce qui, je l'espère et souhaite de tout mon cœur, n'arrivera jamais) quelque évêque mon successeur, se laissant entraîner à une exécrable cupidité, osait, contrairement à ce qui a été réglé et ordonné par moi, avec la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en l'honneur de Dieu et pour le soulagement de ses pauvres, distraire, changer ou détourner quelque chose, ou sous quelque prétexte que ce soit, donner à des laïcs, à titre de bienfait, ou enfin favoriser ou légitimer de son consentement un don fait aux dépens de l'église, que l'on convoque tous les évêques, prêtres et diacres du diocèse de Rheims, et le plus grand nombre possible de bons chrétiens parmi mes très chers fils les Francs ; qu'en présence de tous le coupable soit puni de sa faute par la privation de son évêché, et que de sa vie il ne puisse être réintégré.

Quiconque parmi les laïcs se permettra, au mépris de nos dispositions et pour son profit particulier, de détourner ou usurper, sous quelque prétexte que ce soit, les biens et possessions par nous attribués aux pauvres de l'église, qu'il soit anathème et séparé de l'Église catholique, et soient frappés tous ensemble de la même condamnation perpétuelle, l'aliénateur, le demandeur, le donateur, l'accepteur et l'usurpateur, jusqu'à ce qu'enfin, le Seigneur prenant pitié d'eux, ils puissent, après une digne et entière satisfaction, obtenir indulgence et absolution. Mais si le coupable préfère, au lieu d'une donation et restitution quelconque, persévérer en son mal et ne veut entendre à restituer, que toute espérance de restitution présente et avenir lui soit à jamais enlevée par l'autorité de notre successeur, l'évêque de Rheims. Par exception néanmoins, en faveur de la royale famille que, pour l'honneur de l'Église et la défense des pauvres, de concert avec mes frères et coévêques de Germanie, des Gaules et de Neustrie, j'ai élevée et constituée au rang suprême de la majesté royale, baptisée et tenue sur les saints fonts, marquée des sept dons du Saint-Esprit, et par l'onction du saint chrême sacré son chef roi, il nous plaît faire cette réserve : Que si jamais quelqu'un de cette royale famille, tant de fois consacrée au Seigneur, par mes bénédictions, rendant le mal pour le bien, venait à envahir, détruire, piller, opprimer, ou vexer les églises de Dieu, que les évêques de l'église de Rheims se rassemblent, et que le prince coupable soit admonesté une première fois; s'il persiste, que l'église de Rheims se rassemble de nouveau, en appelant à elle sa sœur, l'église de Trèves, et qu’un second avertissement soit donné au rebelle ; s'il n'en tient compte, que trois ou quatre archevêques des Gaules seulement se rassemblent, et l'admonestent une troisième fois ; enfin, s'il s’obstine à ne pas satisfaire, que, par longanimité et patience d'affection paternelle, on diffère jusqu'au septième avertissement. Mais alors si, insensible à toutes les bénédictions et indulgences de l'Eglise, il ne dépose enfin cet esprit d'obstination incorrigible ; si, refusant toujours de se soumettre à Dieu, il s'opiniâtre à ne point participer aux bénédictions de l'Église, que l’arrêt d’excommunication et séparation du corps de Jésus-Christ soit lancé contre lui ; que tous portent contre lui cette sentence terrible que le même Esprit-Saint qui anime et inspire l'épiscopat dicta autrefois au roi prophète : « Parce qu'il a poursuivi l'homme qui était pauvre et dans l'indigence, et dont le cœur était percé de douleur, ayant aimé la malédiction, elle tombera sur lui, et qu'ayant rejeté la bénédiction, elle sera éloignée de lui » Ps. 108, 16-17). Que dans chaque église on prononce contre lui toutes les malédictions que l'Église prononce contre la personne du traître Judas et des évêques indignes ; car le Seigneur a dit : « Tout ce que vous avez fait à l'égard de l’un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi-même que vous l'avez fait, et autant de fois que vous avez manqué de rendre ces assistances à l'un de ces plus petits, vous avez manqué à me les rendre à moi-même » (Mt., 25, 40-45) ; et il n'y a pas à douter que ce qui est dit du chef doit aussi être entendu des membres ; enfin qu'un mot seulement soit changé par interposition à ce passage du Psalmiste : « Que ses jours soient abrégés, et qu'un autre reçoive son royaume » (Ps., 108, 8). Si nos successeurs les archevêques de Rheims pouvaient jamais négliger d'agir ainsi qu'il a été ordonné par nous, que les malédictions portées contre les princes retombent sur eux, « que leurs ,jours soient abrégés, et qu'un autre reçoive leur épiscopat ».

Mais si Notre-Seigneur Jésus-Christ daigne écouter la voix de ma prière et les vœux que chaque jour je ne cesse de former pour cette royale famille de France devant le trône de la ma,jesté divine, que, fidèle aux enseignements qu’elle a reçus de moi, elle persévère, ainsi qu'elle a commencé, dans la sage administration du royaume ; dans la protection et défense de la sain te Église de Dieu ; qu'aux bénédictions que l'Esprit-Saint a répandues par mes mains pécheresses sur la tête de son chef s'ajoutent des bénédictions plus grandes encore versées par le même Esprit-Saint sur une tête plus illustre ; et que de son sang sortent des rois et des empereurs qui dans le présent et dans l'avenir, soutenus par la grâce du. Seigneur et fortifiés par elle en jugement et en justice, puissent gouverner le royaume selon les volontés de Dieu, et, pour l'accroissement de son Église, chaque jour étendre les limites de l'empire, et enfin mériter d'être admis dans la maison de David, C'est-à-dire dans la Jérusalem céleste, pour y régner éternellement avec le Seigneur. Ainsi soit-il ! - Fait à Rheims, même jour et sous même consul que dessus, présents les soussignés.

Moi, Remi,.évêque, ai relu, signé, souscrit et achevé, Dieu aidant, le présent testament. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit †. Vaast, évêque : ceux qu'a maudits mon père Remi, je les maudis ; ceux qu’il a bénis, je les bénis ; ai assisté et ai signé †. Gennebaud, évêque : ceux qu'a maudits mon père Remi, etc. … Médard, évêque, etc. … Loup, évêque, etc. … Benoît, évêque, etc. … Euloge, évêque, etc. … Agricola, prêtre, etc. … Théodon, prêtre, etc. … Celsin, prêtre, etc. … v. .c. Pappole, ai assisté et ai signé v. c. ; Eulode, etc. … v. c. ; Eusèbe, v. c. ; Rusticole, v. c. ; Eutrope, v. c. ; Dave, ai assisté et ai signé ».

« Mon testament clos et scellé, il m’est venu à l’esprit de léguer à la basilique des saints martyrs, Timothée et Apollinaire un missoire d’argent de six livres pour en faire la châsse où seront déposées mes os ».

FLODOARD: "Histoire de l'Église de Rheims": Chapitres X à XVIII.


[1] « Que le peuple puise ici la vie dans le sang qu’a versé de sa blessure Christ éternel. Remi, prêtre, adresse au Seigneur ce vœu ».

[2] HINCMAR : Vie de saint Remi.

[3] Ps 126, v. 3.

[4] Il est à peu près certain que ce testament n’est pas authentique et appartient à une époque postérieure à saint Remi.

[5] Lieux dont on ignore aujourd’hui le nom et la position.

[6] Inconnu.

[7] Le nom manque dans le texte.

[8] Inconnu.

[9] Inconnu.

[10] Inconnu.

[11] Inconnu.

[12] Inconnu.

[13] Inconnu.

[14] Lieu inconnu.

[15] Le sens de ce mot est inconnu.

[16] Lieux inconnus.

[17] Lieu inconnu.

[18] Lieu qui ne subsiste plus et qui était situé entre Rheims et Toul.

[19] Ces deux lieux sont inconnus.

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