L'an 1249, à l'entrée d'une nuit d'hiver, une petite fille de 14 ans,
accompagnée de ses parents, quittait Viterbe pour
s'en aller en exil à Soriano.
L'enfant marchait pieds-nus et était si menue d'apparence qu'on ne
lui aurait
guère donné que la moitié de son âge. Cette enfant était celle qu'on appelle
actuellement sainte Rose de Viterbe.
Son crime était d'avoir prêché Jésus-Christ et les droits de son Vicaire dans
les rues et sur les places de sa ville natale, contre l'empereur allemand
Frédéric II qui, par les armes et sa mauvaise foi, s'était emparé d'une partie
du patrimoine de saint Pierre, et qui, par ses tristes exemples et par les
troupes de Sarrasins qu'il avait à sa solde, paganisait l'Église, persécutait le
Pape, désolait l'Italie.
Si Dieu se sert des petits et des humbles pour confondre les superbes, c'est
bien ici le cas de le faire remarquer. Humainement parlant, Rose était si
chétive que jamais les Clarisses de Viterbe ne voulurent la recevoir en leur
monastère; mais le Saint-Esprit travailla si bien dans son âme, qu'Il en fit une
merveille de grâce et de sainteté, à tel point que sa courte vie ressemble
plutôt à une férie héroïque et charmante qu'à une existence purement humaine.
Dès sa tendre enfance, à l'âge qui ne connaît que les jouets, elle avait le
sien ; c’est une discipline, avec laquelle elle torturait son pauvre petit
corps, car le Christ lui était apparu, sanglant, et par amour, elle voulait
devenir semblable à Lui ; toute la ville la voyait pieds nus, tête nue, vêtue
grossièrement, courir aux églises ou elle passait de longues heures abîmée dans
la prière.
A l'exception de ces pieux pèlerinages, elle vivait en recluse, s'offrant
incessamment comme victime pour la paix de l'Église déchirée par les terribles
luttes des Guelfes et des Gibelins, partisans du Pape ou de l'empereur. Seuls
les oiseaux étaient admis dans sa solitude, mais ils s'en donnaient à cœur joie,
ils venaient à elle gazouillant doucement leurs prières et leurs louanges à
Dieu ; ils se perchaient sur ses épaules, venaient picoter leur nourriture dans
le creux de ses mains elle écoutait ses amis ailés, priait avec eux, laissait
monter son âme de plus en plus haut vers le ciel sur l'aile de leurs chants,
mêlait son innocence à la leur, et c'est ainsi que Rose grandissait en âge, en
candeur, en sagesse et en force.
C'est alors aussi que l'empereur semi-païen Frédéric II éblouissait les hommes
par sa puissance, par ses débauches et son impiété ; il prétendait régner sur
les terres et les hommes, de la Baltique à la Méditerranée ; et comme le Pape
lui était une grande gêne dans l'un et l'autre de ses projets, il employait
toutes ses forces à le ruiner.
Dans l'opinion de la chrétienté, il passait pour être en commerce avec le
diable, et cette réputation lui plaisait ; il semblait surtout trouver des
charmes à faire le mal, parce qu'il y voyait une insulte à Dieu. Et ce fut Rose,
la frêle, que Dieu choisit pour briser cette puissance qui semblait
universelle ; ce fut ce petit grain de sable qui arrêta la vague monstrueuse qui
menaçait de tout envahir, ce fut cette tige fragile qui devait être le soutien
du Siège éternel de Pierre.
Préparée par la prière, la solitude et le sacrifice, aidée des bénédictions des
pauvres, à qui elle sacrifiait ordinairement sa nourriture, l'humble fillette
affronta le géant. Viterbe venait d'être enlevée à la juridiction d'Innocent IV,
ses habitants se déclarent pour l'usurpateur, mais Rose se lève, elle prie, elle
prêche, elle fait des miracles, elle convainc, et rend bientôt au Pape le cœur
de ses compatriotes égarés. Mais si le peuple est gagné, les soldats et les
magistrats de l'empereur restent dans la ville; alors comme autrefois les
prophètes d'Israël prêchaient le sacrifice au peuple élu pour qu'Il fût délivré
de ses ennemis, Rose commande la pénitence, c'est une arme qui lui semble plus
forte que la révolte.
On l'exile, mais cette exilée est une victorieuse ; dans la nuit du 4 décembre
1250, alors qu'elle priait dans l'Église de Soriano, Notre-Seigneur lui révèle
que la vie du tyran de son Église est à son terme ; elle en fait part aux
habitants de Soriano : “Écoutez-moi, fidèles du Christ, et réjouissez-vous,
car dans peu de jours vous aurez d'heureuses nouvelles”. Huit jours après,
dans la nuit du 12 au 13 décembre, Frédéric II mourait, étranglé, croit-on par
son fils Manfroi. La tempête était passée, la petite fleur courbée un instant se
relevait, elle n'avait perdu aucun de ses pétales, l'orage ne l'avait rendue que
plus fraîche et plus belle. Deux ans après son retour dans sa ville natale, elle
expirait ; elle n'avait passé sur la terre que 17 ans et demi.
Sainte Rose de Viterbe était tertiaire de Saint-François ; elle était devenue la
fille du bienheureux Patriarche des Pauvres sur les ordres mêmes de la T. S.
Vierge, et c'est revêtue de sa pauvre robe de bure qu'elle remplissait son
ministère apostolique, et qu'elle édifiait ses compatriotes quand elle
traversait leurs rues. Après sa mort, son corps reposa dans l'église de Sainte
Marie du coteau ; au bout de six ans, il fut retrouvé intact : la douce sainte
paraissait endormie. On le transporta alors, comme elle l'avait prédit, au
monastère des Clarisses qui avaient refusé de l'admettre de son vivant :
“S'il ne vous plaît pas de me recevoir vivante, avait-elle dit, vous serez
peut-être bien aises de me recevoir après ma mort”. Cette fois encore, elle
avait la victoire.
Tiré des Fleurs Franciscaines, Vol.3.p 18-2
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