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“D’un
pain de froment il te rassasie”
Le jeudi après la fête de la
Sainte Trinité, on célèbre normalement la Fête-Dieu, la Fête de Dieu par
excellence, l’Eucharistie. Le Jeudi Saint, nous avons célébré “historiquement”
l’institution de ces deux Sacrements eucharistiques : l’Eucharistie et le
Sacerdoce., dans leur contexte de la Passion du Christ. L’actuelle Fête-Dieu a
été déplacée en plusieurs pays au dimanche suivant, car le jeudi est désormais
un jour où l’on travaille.
Malheureusement, cette Fête
n’est peut-être pas davantage célébrée le dimanche, puisque tant de chrétiens ne
se déplacent plus à l’église le dimanche, jour du Seigneur. Le dimanche est
devenu le jour du sport, le jour du voyage, le jour de la pêche, le jour de
l’entraînement, parfois même un jour de travail comme les autres, mais le
Seigneur ? On pourrait dire comme Madeleine le jour de Pâques : “Ils ont
enlevé le Seigneur, et nous ne savons pas où ils l’ont mis” (Jn 20:2).
Pourquoi donc l’Eglise
a-t-elle institué cette grande Fête de l’Eucharistie, la Fête-Dieu ?
Signalons — parce que c’est vrai — que Dieu Lui-même a voulu cette Fête ; Il l’a
demandé à l’Eglise par l’intermédiaire d’une âme mystique dépositaire de ce
message : sainte Julienne de Cornillon, une flamande qui vivait au XIIIe siècle.
Un des personnages à qui elle confia ce message, devint plus tard le pape Urbain
IV ; c’est ce dernier qui fut témoin du miracle d’Orvieto, petite ville à cent
kilomètres de Rome : durant la Messe, un prêtre vit apparaître sur le corporal
des taches de sang, signe de la présence réelle du Sang du Christ après la
consécration. En voyant ce corporal taché du Sang du Christ, le pape Urbain IV
décida enfin l’institution de la Fête-Dieu, un demi-siècle environ après la
révélation reçue par Julienne de Cornillon.
Dieu lui-même donna à
Julienne le sens de cette fête nouvelle :
“Le Jeudi saint, à la vérité, est désigné à cet
effet (du très saint sacrement de l’autel), mais les diverses autres cérémonies
de ce jour en empêchent la solennité ; il faut en établir une autre qui sera
chômée et observée dans toute la chrétienté. Et cela pour trois raisons :
1. pour que la foi aux
mystères de la religion qui diminue et diminuera encore si l’on n’y porte remède
soit raffermie et confirmée en son entier ;
2. pour que les hommes
qui aiment et cherchent la vérité en soient pleinement instruits, et puisent
dans cette source de vie des forces pour avancer dans le chemin de la vertu ;
3. pour que les
irrévérences et impiétés journalières qui se commettent contre la majesté de ce
sacrement soient réparées et expiées par une adoration profonde et sincère.”
Cette institution devait
donc, de la part de l’Eglise, être une réponse d’amour et de reconnaissance pour
tout ce que le Christ avait donné aux hommes par son Sacrifice ; ainsi, après la
Pentecôte, où l’Esprit d’Amour s’est répandu sur les Apôtres ; après la Trinité,
où nous célébrons l’Unité d’Amour des Trois Personnes divines ; quoi de plus
normal que de célébrer l’Amour de Dieu dans l’Eucharistie, le jeudi suivant, en
souvenir du Jeudi saint. Ainsi naquit la Fête-Dieu, qui fut chômée très
longtemps en France, et l’est encore en d’autres régions.
Cette longue introduction
historique n’était pas superflue, car elle nous permet de situer la Fête-Dieu
dans le contexte historique. Venons-en aux textes de cette année A.
L’évangile reprend une partie
du “discours eucharistique” de Jésus, où Il explique aux Juifs que Son
Corps et Son Sang auront une importance capitale dans la vie spirituelle de ceux
qui L’écouteront fidèlement, une importance bien plus grande encore que la Manne
du désert, envoyée par Dieu au peuple juif pour sa nourriture quotidienne durant
son voyage à travers le désert. Jésus ajoute même une phrase apparemment
terrible : “Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra
éternellement”, car il reçoit en lui le germe puissant de la rénovation
spirituelle véritable, qui ne s’épanouira complètement qu’à la résurrection
finale.
Ceux qui alors moururent, ne
connurent donc pas la vie éternelle ensuite ? Le psaume 94 nous rappelle
qu’effectivement, après plusieurs épreuves, beaucoup parmi le peuple juif
abusèrent de la patience de Dieu envers eux, se montrant sans reconnaissance
pour tous les “signes” de Dieu parmi eux, s’obstinant à refuser de L’aimer et de
croire en Lui, obligeant Dieu en quelque sorte à les priver de la vie
éternelle : “Jamais ils n’entreront dans mon repos” (Ps 94,11).
Moïse rappelle à son peuple
ce miracle de la Manne céleste, dans la première lecture (Dt 8,2-16) ; le psaume
147 également : “Pas un peuple qu’il ait ainsi traité” (Ps 147,20), mais
il semble bien que ce psaume prophétise l’Eucharistie lorsqu’il dit : “D’un
pain de froment il te rassasie”, “Il envoie sa parole (= le Christ,
Verbe divin) sur la terre, rapide, son verbe la parcourt”, allusion
directe à la diffusion de l’Eucharistie par toute la terre.
Saint Paul, aux Corinthiens,
explique que, si nous recevons tous le Corps et le Sang du Christ, nous sommes
réunis dans un seul Corps, le Corps du Christ, l’Eglise.
Voici pour finir un petit
texte de saint Gaudence de Brescia, donc écrit au 4e siècle, expliquant
l’Eucharistie :
“(Le Seigneur) a voulu que
ses bienfaits demeurassent parmi nous ; il a voulu que les âmes rachetées par
son sang précieux fussent toujours sanctifiées à l’image de sa propre passion.
C’est pourquoi il donne l’ordre à ses disciples fidèles, qu’il établit les
premiers prêtres de son Eglise, de célébrer sans fin ces mystères de vie
éternelle. Et il est nécessaire que tous les prêtres, de toutes les Eglises du
monde, les célèbrent jusqu’à ce que le Christ revienne du ciel. C’est ainsi que
les prêtres eux-mêmes et tout le peuple des fidèles devraient avoir chaque jour
devant les yeux la représentation de la passion du Christ ; en la tenant dans
nos mains, en la recevant dans notre bouche et notre cœur, nous gardions un
souvenir ineffaçable de notre rédemption” (Homélie pascale).
Tu leur as donné le pain du
ciel Qui a en lui une saveur exquise. (Sg 16:20, d’après Vulgate).
Abbé Charles Marie de Roussy
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