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Fête Dieu
Le tout premier récit de la
Sainte Cène qui nous a été transmis est justement celui que Paul nous
rapporte dans l’épître aux Corinthiens, écrite dans les années 40, donc
une dizaine d’années après que Jésus ait institué l’Eucharistie.
L’Église ne nous propose donc pas l’Évangile de la Cène, selon Luc, mais
le miracle qui l’a annoncée : la multiplication des cinq pains et des
deux poissons.
Luc a remarqué comment
certains détails du miracle annonçaient l’Eucharistie. Verset 16 : Jésus
lève les yeux au ciel, prononce la bénédiction, rompt le pain, le donne
aux disciples, comme plus tard à la Dernière Cène. Et puis, il se fait
tard (v.12, “le jour baisse”).
Or il y a là des milliers de
personnes (parmi lesquelles ces “quelque 5000 hommes”, v.14 : on sait
qu’on ne dénombrait que les adultes masculins). Comment rassasier tout
ce monde en si peu de temps, avant qu’il fasse nuit ? Préparer un repas
pour une telle foule devrait demander plusieurs journées. Jésus
multiplie les pains et les poissons, v.13 ; mais aussi, pourrait-on
supposer, cette nourriture est d'une consistance extraordinairement
riche et "tous furent rassasiés", v.17.
Au soir de cette journée,
Jésus a donc fait que tous mangeassent à leur faim en un temps record !
Ce repas n’était donc pas un repas classique, mais un repas d’un style
nouveau ; c’était une annonce de l’Eucharistie. Ne disons pas que cette
foule ait déjà reçu l’Eucharistie, mais voyons-y une préparation au
Sacrement, comme si Jésus leur disait : Voyez comme vous êtes en ce
moment : bientôt vous recevrez une Nourriture encore meilleure !
Considérons maintenant les
symboles des chiffres rapportés par Luc : les cinq pains rappellent les
cinq livres sacrés du Pentateuque (la Torah), où les Israélites furent
nourris de la manne dans le désert (là aussi, rassasiés avec une
quantité relativement faible de cette nourriture céleste quotidienne,
qu'ils n'avaient besoin ni d'aller acheter ni de préparer) ; les deux
poissons symbolisent les deux livres des Prophètes et des Psaumes, tenus
en grande vénération. Enfin, des morceaux qui restèrent, on remplit
douze corbeilles, v.17 : désormais, après le miracle du Christ, ce sera
aux douze Apôtres à continuer cette œuvre eucharistique. C’est pourquoi
aussi Jésus leur dit au début : Donnez-leur vous-mêmes à manger, v.13.
Il les préparait à leur mission sacerdotale. Ces corbeilles, faites de
simples tiges de végétaux, fragiles, ce sont ces hommes fragiles que
Dieu appelle à Son service.
Comme nous devons être
reconnaissants à Jésus pour le don de l’Eucharistie, qui nous nourrit si
pleinement en nous remplissant de la présence réelle de Jésus, de son
Corps, de sa Divinité, de ses grâces, de tous ses dons. Et pour le don
du Sacerdoce, de ces Prêtres innombrables qui reçoivent le pouvoir de
reproduire sans cesse, chaque jour, ce miracle sacré de l’Eucharistie.
Ce sacerdoce, Melchisédech
l’avait reçu de Dieu ; il se transmet par l’imposition des mains, et non
par la génération humaine comme dans le sacerdoce lévitique, ainsi que
le répète le psaume : Tu es prêtre à jamais, selon l’ordre de
Melchisédech (ps.109). C’est de ce mystérieux Personnage que parle la
première lecture, tirée de la Genèse. De Melchisédech, contrairement à
tous les autres textes, on ne lui connaît pas d'ascendants ni de
descendants ; il est à la fois roi et prêtre, fait exceptionnel ; il
offre du pain et du vin, et non des animaux comme dans tout l’Ancien
Testament ; il rend grâce à Dieu et bénit Abraham au nom de Dieu ; il
reçoit la dîme d’Abraham, qui reconnaît ainsi ce sacerdoce. Les
chrétiens y voient évidemment la figure du Christ, prêtre et roi,
chaste, qui transmet sa lignée non par la chair, mais par sa volonté,
par l’imposition des mains, par la grâce de Dieu.
Les deux poissons
représentent aussi un symbole fort : comme pour le poisson, l’eau est un
élément primordial dans la vie du chrétien ; et comme la génération du
poisson advient sans contact charnel, ainsi le chrétien reçoit par les
Sacrements cette Vie qui le fait homme nouveau dans le Christ et dans
l’Église.
On rappellera ici le symbole
maintes fois représenté dans l’Église primitive, du poisson,
icqus,
mot grec dont les
lettres exprimaient toute la théologie christique :
Ihsous Cristos Qeou Uios
Swthr,
Jésus Christ, Fils de Dieu,
Sauveur.
Revenons à Paul au terme de
cette petite méditation. Paul n’avait pas directement l’intention de
rapporter le récit de la Cène, mais l’occasion lui en vient à la suite
d’un désordre surgi parmi les chrétiens de Corinthe. Il leur rappelle
qu’il ne s’agit pas de transformer l’Assemblée eucharistique dominicale
en un vulgaire repas communautaire ; on va à la Messe pour y recevoir le
Corps et le Sang de Jésus, pour être pris dans son Amour, pour montrer
notre joie d’appartenir à cette unique famille de l’Église, à l’unique
troupeau du Bon Pasteur, le Peuple de Dieu.
Abbé Charles Marie de
Roussy
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