Sara Schalkhaz
naît en 1899 à Kassa en Hongrie. (actuellement Kosice en Slovaquie).
Ses parents dirigent un vaste hôtel. Dans cette famille de trois
enfants, l’un de ses frères décrit sa chère sœur comme “un garçon
manqué”,
aimant les jeux de garçon. Elle est, –disent les témoins–,
douée d’une volonté forte et tenace, enjouée et même drôle, mais
très loyale et d’une grande sensibilité sociale. Sa piété grandit
avec l’âge ; on la surprend souvent le soir agenouillée, la tête
dans ses mains. Elle commence déjà à écrire des pièces de théâtre
car elle est très douée intellectuellement, si bien que sa mère la
pousse à étudier ; après quoi elle devient enseignante, mais dans le
primaire, le degré le plus haut auquel pouvait prétendre une fille à
l’époque (!)
Justement, par le
biais de ses élèves, elle prend conscience de la pauvreté de
certaines familles, spécialement de femmes souvent écrasées par le
travail, ou d’ouvrières vivant seules et exposées. Elle veut
connaître concrètement cette situation et, quittant l’enseignement,
elle fait un apprentissage de relieuse. Elle continue aussi à
écrire ; elle fait du journalisme et donne des conférences sur les
femmes pauvres et la promotion de la condition féminine. Ainsi
est-elle amenée à faire connaissance des “Sœurs de l’Assistance” (ou
“du Service social”). Elles ont été récemment fondées en 1923 par la
dynamique Margrit Slachta dans l’esprit de l’encyclique sociale de
Léon XIII, ‘Rerum novarum’ (1891). Sara hésite longtemps à y entrer
car, quoique déjà très charitable et sociale, elle aime sa liberté ;
de plus, elle est fiancée. Elle écrira plus tard :
« Ce que j'aimais, je l'ai laissé : mon
indépendance, mes cigarettes, les petits cafés, le vagabondage dans
le grand monde, les mains dans les poches, la musique tsigane... Et
maintenant, Seigneur, tu vois que je suis heureuse. Non pas parce
que je veux l'être, mais parce que tu m'as donné ce grand cadeau :
chercher et accomplir ta volonté me rend pleinement heureuse !».
Après avoir pris sa décision, elle rend sa bague de fiançailles et,
en 1929, à trente ans, elle rejoint les Sœurs à Budapest. Vœux
simples à la Pentecôte de 1930, et premières tâches à Kosice. Mais
par la suite, sous la surcharge d’activités diverses qu’on lui
impose, elle vacille. Du coup, les supérieures la jugent ‘indigne’
de renouveler ses vœux et lui interdisent même de porter l’habit
pour un an, la tenant éloignée de la maison-mère de Budapest. Elle
continue quand même à se considérer dans le cœur, et à agir, comme
une religieuse. Elle écrit dans son journal intime : « Aimer,
même lorsque c’est difficile, même lorsque mon cœur a des plaintes,
quand je me sens rejetée ! Oui, c’est ce que Dieu veut !
J'essayerai ; Je veux commencer - même si je dois échouer - jusqu'à
ce que je sois capable d’aimer. Le Seigneur Dieu me donne la grâce,
et je dois travailler avec cette grâce. » Heureuse patience ! Il lui
faudra tout de même attendre dix ans avant de pouvoir faire ses vœux
perpétuels, à la Pentecôte de 1940. Elle prend pour devise : « Alleluia !
Ecce ego. Mitte me » — « Me voici. Envoie-moi ! » (Isaïe). Elle
s’occupe de soupes populaires, de maisons d’hébergement pour
ouvrières isolées, d’une maison de personnes âgées ; elle visite des
familles, organise des cours pour ouvriers, donne des conférences et
crée une revue catholique pour les femmes. En 1941 les évêques
hongrois la nomment directrice nationale du mouvement catholique
hongrois des ‘Femmes actives’ (ou ouvrières), lequel a eu environ
10.000 membres à travers le pays. Sœur Sara édite aussi le magazine
du Mouvement.
Son
nom de Schalkhaz est changé, à l’état civil, en Salkahazi à partir
du 10 mars 1943 (forme plus typiquement hongroise). Le gouvernement
hongrois, belliqueux, s’est rangé du côté des Allemands.
Mais, dès le début, Sœur Sara a critiqué leur idéologie nazie par
ses écrits et, quand ils s’installent plus fortement au pays et
déportent massivement les Juifs vers les camps d’extermination, elle
en recueille dans sa maison de la rue Bokréta à Budapest, dont elle
est, à ce moment-là, supérieure. Elle en a sauvé en tout une
centaine. D’ailleurs, toute sa Congrégation agit de même, mais c’est
hautement dangereux. Alors, avec la permission de sa supérieure
hiérarchique, en sa présence et celle d’une autre religieuse, Sœur
Sara prononce l’acte d’offrande de sa vie. Elle y demande notamment
que les sœurs de sa congrégation soient épargnées en échange de sa
propre vie. Son vœu ne tardera pas à être exaucé. Cela se réalisera
un mois seulement avant la libération de la ville, alors que les
russes encerclent déjà la cité. Le matin du 27 décembre 1944, elle
donne aux sœurs de sa maison une conférence … sur le martyre ; et le
même jour elle est dénoncée (par une ouvrière recueillie dans la
maison!), puis arrêtée. Des miliciens pro-nazis (des
‘Croix-Fléchées’), l’emmènent jusqu’au Danube
avec sa consœur et amie d’enfance, la catéchiste Vilma Bernovits, et
quatre suspects (des juifs).
Tous sont alignés au bord
du fleuve, contraints à se dévêtir complètement, puis par une même
fusillade, sont projetés dans les eaux glacées du fleuve, au pied du
pont de la Liberté. Juste avant l’exécution, elle s’est tournée vers
ses bourreaux, faisant un signe de croix et levant les yeux au ciel.
Comme le souhaitait sœur Sara, la communauté n’a pas connu d’autres
victimes, ni de la part des nazis, ni du régime communiste qui a
suivi.
Sœur
Salkahazi est reconnue en Israël par Yad Vashem comme "Juste des
Nations", elle a son mémorial à Jérusalem depuis 1969. Quant à sœur
Bernovits, elle est vénérée aussi parmi les ‘Justes’ depuis 2003.
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