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Les béatitudes
En ce 4e
dimanche “per annum”, commence le long et magnifique Discours sur la
Montagne. Malheureusement, nous n’en lirons cette année que le tout
début, parce que nous entrerons mercredi prochain dans le temps du
Carême, et que les dimanches “ordinaires” reprendront seulement en
juin. Tâchons donc de nous imprégner d’autant mieux de ces
solennelles Béatitudes.
Jésus monte sur la
montagne, comme autrefois Moïse reçut la Loi de Dieu sur la montagne
de l’Horeb. Moïse y reçut une Loi provisoire, dans l’attente du
Messie ; aujourd’hui, le Verbe incarné nous donne de Lui-même Son
enseignement. Aux préceptes de l’ancienne Loi, Jésus apporte la vie
que donne l’amour de cette Loi. Il ne s’agit plus d’appliquer les
articles de la Loi comme on respecte les articles du code de la
route, il faut les vivre dans le plus profond de notre cœur.
Être pauvre ne signifie
pas simplement ne rien avoir. Être pauvre selon Christ signifie : ne
pas être attaché, ni aux choses, ni aux personnes, ni à soi-même, ni
à la vie ; c’est savoir s’en remettre totalement à la volonté de
Dieu. C’est le premier vœu que font les religieux. Mais ceux qui
possèdent peuvent très bien être en même temps très pauvres, s’ils
savent utiliser leurs biens au service des autres. L’ami de Jésus,
Lazare, était fort riche, dit-on, et mettait sa fortune au service
de Jésus et de ses amis.
Quand on s’est ainsi
dépouillé, on éprouve souvent un grand sentiment de douceur envers
tous et envers tout. Mais en même temps, Dieu donne une grande force
intérieure : si je me suis libéré de la terre, celle-ci ne pourra
plus m’abattre, parce que ma vie est ailleurs. Jésus dit
textuellement : Heureux les doux, parce que ce sont eux qui
possèderont la terre ; ils en seront les maîtres.
Le dépouillement est
parfois un arrachement difficile ; mais il ne l’est plus quand on a
compris quel gain spirituel on obtient en compensation. Le monde est
tellement triste, avec ses guerres, ses orgueils, ses jalousies, ses
ambitions, ses jeux. Il y a vraiment de quoi pleurer sur une société
quand les uns et les autres ne pensent pas (ou pas assez) à Dieu. A
ceux qui pleurent ainsi, Dieu promet la consolation, “mais pour plus
tard”, comme a dit la Vierge Marie à Bernadette à Lourdes.
La quatrième béatitude
évoque la faim et la soif de la justice. “Jus” en latin, est le
droit. Le seul Juste est essentiellement le Christ : Le juste
fleurira comme le palmier (Ps 91,13). Avoir faim et soif de justice,
c’est désirer ardemment l’Eucharistie où l’on reçoit le Corps et le
Sang du Seigneur. Oui, ceux-là seront rassasiés, dit Jésus.
Le vrai Juste sait être
miséricordieux. Dieu nous juge parfaitement parce qu'Il nous connaît
parfaitement. Sa justice est miséricordieuse. Pour exprimer un
jugement qui soit le plus “juste” possible, il faut tenir compte de
l’imperfection de chaque être ; savoir nuancer son propre jugement,
c’est se montrer magnanime et miséricordieux, et c’est pourquoi
Jésus s’adresse ici aux miséricordieux, leur promettant miséricorde
pour eux aussi.
La béatitude des “cœurs
purs” doit être comprise positivement. S’en tenir aux conseils de
“ne pas” faire ou dire ou lire, n’est pas très instructif ni
formateur. Il faut pouvoir parler de tout sans malice, sans
fausseté, sans “double jeu”, avec simplicité et prudence, pour que
tout soit dit en Vérité et en Charité. Chaque être a droit à la
Vérité et à la Charité ; il ne faut pas les leur masquer. Pour être
dans la Vérité et dans la Charité, il faut vivre en Christ avec
ferveur, de sorte que, comme Christ, “nous verrons Dieu”.
Plus on avance dans la
suite des Béatitudes, plus on se rapproche de l’union intime avec
Jésus Christ et même à s’identifier avec Lui. Précédemment on L’a
reçu dans l’Eucharistie, maintenant Jésus promet aux artisans de
paix d’être appelés fils de Dieu, ni plus ni moins. Et cette
ressemblance va s’accomplir encore plus ontologiquement lorsque, à
la suite du Christ, les chrétiens seront persécutés pour la Justice.
Il faut Ècrire Justice avec une majuscule, parce qu’elle représente
le Fils de Dieu.
Après ces huit
béatitudes, en arrive une neuvième où Jésus change de ton. Jusqu’ici
Il a dit : Heureux tels et tels. Maintenant : Heureux êtes-vous,
vous qui m’écoutez, vous qui lisez l’Évangile maintenant. Les
Béatitudes ne concernent pas une espèce de gens inconnus, une race
idéale, intouchable : elles nous concernent tous, et après avoir
énoncé cette merveilleuse Charte, Jésus nous met en garde de ne pas
nous endormir sur notre pauvreté, notre douceur, notre justice,
notre paix : il faudra être forts dans le combat, au milieu des
contradictions, des persécutions, des insultes… Abondante (copiosa !)
sera votre récompense dans les cieux. Réjouissez-vous donc alors.
Nous fêtions le 21
janvier sainte Agnès. Douze ans, l’âge de nos collégiennes de
Sixième, à peine sorties de l’école primaire ! Ayant refusé de
sacrifier aux idoles, elle devait être décapitée. Et comme le
bourreau n’osait pas la toucher, c’est elle qui le pressait. Même le
juge était frappé de la joie qu’elle avait de quitter la terre pour
rejoindre le Christ.
On pourrait dire que
c’est d’une telle “folie” que parle saint Paul dans l’extrait aux
Corinthiens : Dieu a choisi ce qu’il y a de fou dans le monde pour
couvrir de confusion les sages. Il rappelle que c’est Jésus Christ
qui est notre Sagesse, notre Justice (encore une fois), notre
sanctification, notre rédemption.
Sophonie prophétisait
sept siècles avant le Christ. Relisons maintenant l’extrait
d’aujourd’hui, ainsi que le psaume 145 : on y trouvera en germe les
Béatitudes : justice, humilité, pauvreté, sincérité ; le peuple
pourra “se reposer sans que personne puisse l’effrayer”. “Le
Seigneur aime les justes”.
Le “Discours sur la
Montagne” se poursuit pendant les dimanches suivants, jusqu’au
neuvième “ordinaire”. Il sera bon et très profitable, justement au
moment d’aborder le Carême, que nous lisions la suite de ce Discours
pour nous en imprégner dans sa totalité. A partir de dimanche
prochain, nous commencerons à suivre Jésus dans sa Passion, dans la
persécution, et si nous sommes fidèles, “grande sera notre
récompense” avec Lui dans les cieux.
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