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Une des questions les plus
fondamentales que se pose l’homme dans son existence est celle-ci :
Qu’est-ce que la mort ? Et une des difficultés métaphysiques est
précisément celle-ci : Comment se fait-il qu’il faille mourir, alors que
Dieu est l’Auteur de la Vie ? D’où vient donc la mort ?
Oui, “Dieu n’a pas fait
la mort”, répond ici le Livre de la Sagesse. “La mort est entrée
dans le monde par la jalousie du démon”. Donc, en toute logique, le
démon, prince des ténèbres et ennemi de Dieu, existait avant-même la
création.
Dans la Genèse, il est
écrit que “Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour
le cultiver et le garder” (Gn. 1:15) : le garder de quoi ? Très
probablement de quelque présence non souhaitable, d’un ennemi. Or
l’homme n’avait pas encore péché à ce moment-là, donc le Mal existait,
la rébellion contre Dieu avait déjà eu lieu. On attribue cette rébellion
à la révolte d’une partie des anges, ayant à leur tête Lucifer, “porteur
de la lumière” par son intelligence extraordinaire.
On imagine la jalousie de
ce prince des ténèbres, dans sa déchéance irréversible, en voyant la
splendeur de la création, et en particulier cet être humain, Adam, créé
à l’image de Dieu, dans un état de sainteté extraordinaire. Autant les
Anges fidèles sont portés à aimer et à adorer Dieu, autant les anges
déchus sont portés à haïr, à se révolter, à chercher par tous les moyens
à emporter dans leur chute tous les autres êtres créés.
Toute notre existence est
marquée par la présence de la mort, tous nous nous savons comme
condamnés à mort dès lors que nous recevons la vie. En même temps, les
croyants savent que, comme l’a dit sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus,
“ils ne meurent pas, ils entrent dans la Vie”, quittant ce monde
pour l’autre, pour l’Eternité.
Il y a dans l’Apocalypse
(ou Révélation) de Jean, un verset très significatif : “Heureux et
saint celui qui participe à la première résurrection. La seconde mort
n’a point pouvoir sur ceux-là” (Ap 20:6). La “première
résurrection” advient après notre mort physique ; ceux qui seront
alors dignes d’entrer au Royaume, seront pour toujours dans la Vie ;
mais ceux qui auront refusé la Vérité dans leur vie, iront dans la Mort
éternelle : c’est là la “seconde mort”.
Le chrétien doit être
heureux de quitter ce monde rempli d’injustice et de péché, des œuvres
que le Mal a apportées au milieu de la si belle et pure Création de
Dieu. Notre fabuliste La Fontaine a bien touché du doigt ce que serait
notre condition, si la mort n’existait pas : nous continuerions de vivre
dans un monde d’imperfection et dans une perpétuelle désespérance. Cette
première mort est donc un passage bien salutaire pour atteindre l’autre
monde.
Le psaume qui suit cette
première lecture est le psaume 29 (et non 20, noté par erreur dans
certains missels), qui est une prière d’action de grâces : Jean Cassien
(IVe siècle) explique qu’il s’agit de l’action de grâces de Jésus à son
Père, après la résurrection. Ce psaume est justement placé dans la
prière de la Louange des Heures du Samedi Saint, lorsque désormais le
Christ, libre de la mort, célèbre sa résurrection avec tous ceux qui
l’attendaient, depuis Adam jusqu’au Bon Larron, à qui il disait la
veille, sur la Croix : “Aujourd’hui tu seras avec moi en Paradis”
(Lc 23:43).
Notre récit évangélique
parle aussi de la mort, mais ensuite de l’extraordinaire résurrection de
la fille de Jaïre, interrompue par le récit d’un autre miracle, la
guérison de cette femme atteinte de perte de sang, dans lequel beaucoup
de détails valent la peine d’être relevés et commentés.
Jaïre n’est pas un païen,
mais un chef de synagogue. On sait combien les Pharisiens ont été
hostiles à l’enseignement de Jésus, au point que l’attitude de ce Jaïre
est remarquable : contre les Pharisiens, il a le courage de demander une
faveur à Jésus, et humblement se prosterne pour exprimer cette demande.
Il est très exceptionnel
que le récit d’un miracle soit interrompu par celui d’un autre miracle,
comme c’est le cas ici. Marc aurait très bien pu terminer le récit
concernant Jaïre, puis ajouter quelque chose comme : “Pendant son
déplacement, Jésus fit aussi cet autre miracle…” Non, Marc a tenu a
maintenir dans son récit l’irruption de la guérison de cette femme, pour
revenir ensuite à la résurrection de la petite fille de Jaïre : c’est
que sans doute Jésus aura fait exprès de s’arrêter en chemin, laissant
passer un peu de temps, pour pouvoir réellement ramener la petite morte
à la vie, et ainsi annoncer déjà sa propre mort et sa résurrection.
Il faut noter combien est
édifiante la conduite de cette femme si malheureuse : juste toucher le
vêtement de Jésus ! Pas même lui parler, pas même le regarder en face !
Cette pauvre femme savait que, d’après la Loi, sa maladie la rendait
“impure”, et fidèlement à la Loi elle se comportait comme une indigne,
sans adresser la parole à Jésus, ni le regarder, osant seulement toucher
le pan de son vêtement. Comme Jésus récompense l’humilité de cette femme
! Lui-même se tourne de façon qu’elle puisse le voir en face, Lui-même
l’invite à s’exprimer ; on dirait, avant la lettre, le prêtre qui
cherche à mettre à l’aise le pénitent ; en effet, dit Marc, “elle lui
dit toute la vérité”, elle devait avoir beaucoup de remords cachés, et
voulait en quelque sorte, se confesser. Sa sincérité et son humilité
sont récompensées : “Ta foi t’a sauvée”, lui dit Jésus.
Entre temps, la petite
fille est morte ; Jésus rassure son papa : “Ne crains pas” ! Une parole
pleine de paix qu’on trouve tant de fois dans l’Evangile, tout
particulièrement lors des apparitions après la Résurrection. On pourrait
dire que Jaïre est le premier témoin de la Résurrection. Puis Jésus ne
garde avec lui que Pierre, Jacques et Jean, ceux-là mêmes qui seront
témoins de la Transfiguration et de l’Agonie à Gethsémani. Plus tard,
Pierre aura raconté ce que Jésus dit à cette petite fille, et son
disciple Marc l’a transcrit fidèlement ici, dans la langue-même de
Jésus, en araméen : Talitha koum !
Stupéfiante, cette
recommandation de Jésus “que personne ne le sache” : comment
taire un fait aussi exceptionnel ? Jésus aime la discrétion, la vraie
conversion, celle du cœur, et non la publicité. Comme nous sommes loin
ici de toute la presse “People” qui inonde nos kiosques et maintenant
aussi Internet ! Comme il est urgent que les Chrétiens s’efforcent
d’utiliser ces moyens de communications pour le bien, pour la Charité,
et non pour le bavardage et l’indiscrétion.
Enfin, Jésus demande de
donner à manger à la petite fille, de la même façon qu’après sa
résurrection, il mangera devant ses Apôtres stupéfaits, pour leur
démontrer qu’il était bien vivant, et pas un fantôme qui ne peut pas
manger (Lc 24:37-43).
Sans lien direct avec ce
qui précède, nous poursuivons aujourd’hui la lecture de l’épître aux
Corinthiens, où Paul invite ces derniers à être généreux envers leurs
frères plus pauvres de Jérusalem, à l’image de Christ qui s’est humilié
jusqu’à la mort pour nous “enrichir” de la vie.
En clair, Paul fait la
quête aux Chrétiens de Corinthe en faveur de ceux de Jérusalem. A nous
qui sommes sollicités sans cesse par courrier ou par téléphone, qui
voyons à la télévision des manifestations généreuses pour telle ou telle
œuvre, le fait que Paul sollicite la charité des Corinthiens ne nous
étonne pas beaucoup, mais mettons-nous en pensée dans l’ambiance du
premier siècle : on connaît dans l’antiquité la démarche des Athéniens
qui vinrent un jour demander aux Spartiates du blé, car ils avaient
faim, mais le fait était vraiment insolite en ces temps-là ; des
mendiants aux coins des rues, il y en avait de toute évidence, et Jésus
l’avait dit à ses Apôtres : “Des pauvres, vous en aurez toujours
parmi vous” (Jn. 12:8). Mais ici non seulement Paul organise une
collecte pour toute une communauté, mais en plus il s’engage, pour ainsi
dire, à en assumer le transfert jusqu’à destination :
Corinthe-Jérusalem, ce n’était pas un voyage de vingt-quatre heures ; le
bateau pouvait être pris d’assaut par des pirates, ou simplement faire
naufrage… Cette démarche de Paul est extrêmement novatrice et
courageuse. On voit ici aussi l’Esprit Saint à l’œuvre, qui suscite dans
le cœur des Apôtres des initiatives charitables et efficaces, montrant
ainsi au monde romain la vie active et fraternelle de cette Eglise
naissante.
A notre tour, soyons
toujours sur la brèche. Ne nous laissons pas gagner par l’assoupissement
spirituel, par l’indifférence. La prière du jour vient ici à point nommé
: “Ne permets pas que l’erreur nous plonge dans la nuit, mais
accorde-nous d’être toujours rayonnants de ta vérité.” Et encore, après
la Communion : “Reliés à toi par une charité qui ne passera jamais, nous
porterons des fruits qui demeurent”.
Oui, Amen : vivons toujours
dans la Charité.
Abbé Charles Marie de
Roussy
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