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“Un prophète n’est méprisé que dans sa
patrie”
L’évangile que
nous lisons aujourd’hui, montre Jésus dans “son pays”, à Nazareth, là où
l’ange était apparu à Sa Mère, là où il avait grandi, où se trouvait sa
parenté, en somme un endroit où on le connaissait bien. L’évangéliste ne
parle pas de ses occupations quotidiennes, des rencontres avec les
cousins et cousines : envoyé par Dieu pour annoncer la Bonne Nouvelle,
c’est à la synagogue que nous Le retrouvons, en train d’enseigner.
Mais les
“paroissiens” de cette synagogue ne se montrent pas vraiment disponibles
à accueillir cette Parole ; leurs conversations sont un peu
superficielles : pour eux, Jésus est simplement leur camarade d’enfance
et de jeux, et peu leur importe l’enseignement réel du Fils de Dieu.
Arrêtons-nous un
court instant sur cette parenté, les frères et sœurs de Jésus : Jacques,
José, Jude, Simon. Malgré les fréquentes explications du mot “frère”
qui, en hébreux désigne aussi bien un frère qu’un cousin ou qu’un
proche, il ne manque pas d’interprétations qui veulent que Joseph et
Marie aient eu d’autres enfants que Jésus. Beaucoup d’arguments peuvent
contredire ces assertions.
Si Joseph et
Marie avaient eu d’autres enfants, très vraisemblablement l’Évangile y
aurait fait allusion quelque part ; ou aussi on l’aurait su et répété
dès le commencement ; et surtout l’Église n’aurait jamais invoqué Joseph
comme le “chaste époux de Marie”, ni Marie comme la “Reine des Vierges”.
A cela s’ajoute un argument provenant du texte-même d’aujourd’hui : des
quatre noms de “frères” cités, trois sont ceux d’Apôtres (Jacques, dit
“mineur”, est l’auteur d’une épître, de même que Jude ; ce dernier et
Simon auraient évangélisé l’Égypte, avant d’aller en Perse où ils
auraient été martyrisés). L’Évangéliste les nomme donc parce qu’ils sont
connus de la communauté ; tandis qu’il ne nomme aucune des “sœurs”.
Enfin, rappelons que sur la croix, Jésus confie à Marie son “fils”,
l’apôtre Jean, et à ce dernier Marie, sa “mère”, chose qu’Il n’aurait
pas faite si sa sainte Mère avait eu d’autres fils.
Revenons donc à
Nazareth et à l’assemblée de la synagogue, qui est en train de jaser sur
Jésus. Il s’y mêle en réalité une vilaine jalousie, et même du dédain :
Mais d’où a-t-il appris tout cela ? Du pauvre Joseph, un simple
charpentier ? Et Jésus de le faire remarquer à ses disciples : Un
prophète n’est méprisé que dans sa patrie, dans sa famille et sa propre
maison.
Ne condamnons pas
ces parents et voisins de Jésus ; ils cèdent à la tentation très facile
du respect humain, que connaissent de nombreuses familles de prêtres et
de religieuses où, par manque d’humilité pour accepter un enseignement
spirituel, on regarde la personne consacrée comme un peu (ou beaucoup…)
“étrangère”, d’un autre monde, au point que cette dernière, pour
préserver la paix, en est réduite soit au silence, soit à “jouer le jeu”
de la complicité. C’est dommage parce que, dans ces familles, la Vérité
n’est pas au rendez-vous.
A Nazareth, ce
fut au point que même le Fils de Dieu dut partir, sans faire de
miracles, sauf en imposant les mains à quelques-uns, dit l’Évangéliste
Marc. Ceci ne veut pas dire que Jésus, déçu et vexé de ce mauvais
accueil, soit parti fâché ; quelle tristesse, au contraire, pour l’Ami
éternel, de se heurter à des cœurs froids et indifférents.
Six siècles avant
Jésus-Christ, le prophète Ézéchiel n’a pas cessé de se heurter à la
dureté de cœur de tous ses contemporains, à qui il reprochait leur
manque de respect des choses saintes ; ce fut la ruine de Jérusalem,
l’exil à Babylone ― qu’il partagea avec eux… “Ce peuple de rebelles
qui s’est révolté contre moi”, dit l’extrait d’aujourd’hui. Mais
cette prophétie ne reste pas stérile, car après l’épreuve vint aussi la
résurrection, le retour à Jérusalem et le reprise du culte dans le
Temple.
La prière de
David dans le psaume 122 exprime cette douleur du prophète angoissé
devant tant de dureté de cœur ; il est comme abandonné, traité en
esclave “qui regarde la main de son maître” : en effet, le pauvre
esclave n’avait pas le droit de regarder en face son maître pour parler
avec lui ; tout ce qu’il attendait était à peine quelque largesse de sa
main. Jésus a prié ce psaume, depuis sa jeunesse ; s’étant offert
totalement, il fut traité en esclave.
Maltraité aussi
fut l’apôtre Paul, après sa conversion et durant ses nombreux voyages.
Mais ce qu’il veut dire aujourd’hui dans l’extrait aux Corinthiens, est
une épreuve d’un autre genre, intime et spirituelle, liée à sa propre
vie mystique. Que signifie cette “écharde dans la chair” ? Une maladie
plus ou moins chronique ? Une épreuve intérieure, un doute ? Paul est
discret, il veut seulement faire comprendre aux Corinthiens que
l’épreuve nous enseigne à voir notre grande faiblesse et la force
efficace de la grâce de Dieu.
Sainte Catherine
de Sienne, Docteur de l’Église (1347-1380), reçut de Jésus-Christ cette
explication que saint Paul, qui vivait dans la chasteté par imitation
envers Notre Seigneur, “pour anticiper le Royaume des Cieux” (cf. Mt
19:12), fut fortement tenté contre cette vertu angélique. Cette
interprétation, due à une révélation privée, n’est pas “dogmatique” en
soi, mais peut nous aider à comprendre le texte de saint Paul et sa
délicate discrétion.
Nous parlions de
l’esclave tout-à-l’heure ; voici maintenant la prière du jour : Tu
(nous) as tirés de l’esclavage du péché ; fais-(nous) connaître le
bonheur impérissable.
Dans la joie de
la Résurrection.
Abbé Charles
Marie de Roussy |