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La
moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux
Nous voyons
aujourd’hui Jésus choisir soixante-douze disciples, en plus
des Apôtres. Les Pères de l’Église ont donné diverses
interprétations à ce nombre, mais surtout ils ont expliqué
que la mission de ces disciples était d’aider les Apôtres
dans l’œuvre de l’évangélisation de toute la Judée, tandis
que les Apôtres restaient auprès de Jésus pour en recevoir
d’autres consignes importantes, avant que ne sonnât l’heure
de la Passion. Certains ont ainsi compris que si les Apôtres
étaient les premiers évêques de l’Église, les disciples
pouvaient être considérés comme leur presbyterium,
c’est-à-dire l’ensemble des prêtres qui œuvrent sous les
directives de l’Évêque local.
Saint Augustin
nous fait admirer la sagesse de Jésus, qui envoie ces
disciples deux à deux. Seul, l’homme peut facilement tomber
soit dans le découragement, soit dans la vanité en se
rapportant tout le mérite de son travail. A deux, les
ouvriers du Christ se soutiennent mutuellement,
s’encouragent constamment à la vertu, et enfin confirment
réciproquement leurs paroles par leur double témoignage.
Viennent donc
ensuite les consignes du Seigneur :
Ces disciples
doivent aller là où Jésus devait aller à son tour. Cette
mission est “prophétique” au sens propre du mot, selon ce
que proclamait Jean-Baptiste juste avant l’arrivée du
Christ : “Préparez la voie du Seigneur” (Mt 3:3 citant Is
40:3).
Si Jésus les
envoie comme des agneaux au milieu des loups, ce
n’est pas qu’Il cherche à les décourager d’avance, mais
c’est pour leur rappeler que si la prédication est chose
difficile, toutefois ils ne doivent pas oublier que c’est
Jésus Lui-même qui œuvre à travers eux, et qu’avec eux Il
sera toujours vainqueur.
En plus, ils ne
doivent prendre ni argent, ni sac, ni sandales, la
même recommandation qu’aux Apôtres précédemment (Mt
10:9-10), le disciple n’étant pas “au-dessus de son maître”
(Jn 13:16). Il faut noter aussi que, dans un troupeau, c’est
le berger qui porte la besace, non les brebis qui le
suivent, et les disciples sont eux-mêmes des brebis parmi
d’autres, dans le grand Troupeau de l’Église. Il ne faudrait
pas y voir là une sorte d’imprudence, comme si les
missionnaires devaient partir en voyage sans provision
aucune. Au temps de Jésus, les disciples ne partent pas en
pays inconnu, ni pour très longtemps : simplement, ils
doivent apprendre à vivre parfois uniquement de ce qu’on
leur donnera (…ou de ce qu’on ne leur donnera pas). Sainte
Pauvreté, qui est toujours joyeuse en toute circonstance.
Mais sainte invitation à tous les Chrétiens, à aider leurs
pasteurs par leur générosité.
Si les
disciples ne doivent saluer personne en chemin, c’est
que Jésus veut exciter leur zèle en les invitant à ne pas
s’attarder en conversations inutiles. D’abord, évangéliser,
et en premier lieu souhaiter Paix à cette maison.
Jésus a ce souci d’apporter d’abord la Paix, non seulement
extérieure qui élimine les hostilités, mais encore et
surtout la paix du cœur, la grâce de l’amitié avec Dieu,
comme l’ont annoncée les anges lors de la Nativité : “Paix
aux hommes de bonne volonté” (Lc 2:14).
Et si les
disciples ne sont pas reçus, ils feront ce geste très
expressif de secouer la poussière de leurs sandales,
rejetant ainsi même le peu qu’ils auront pu avoir en commun
avec ces gens. Ici, le Seigneur fait un curieux
rapprochement : même Sodome sera traitée moins sévèrement
qu’une ville qui refusera d’accueillir les disciples. En
premier lieu ici Jésus nous montre quelle grave
responsabilité nous aurons si, en voyant tant de miracles,
en entendant tant de saintes exhortations, nous ne voulons
pas encore nous convertir sincèrement ; si grave que fût le
péché contre nature des habitants de Sodome (Gn 18-19), ils
n’ont pas vu tous ces miracles, et sont donc moins
coupables. Indirectement, en second lieu, Jésus montre
combien grande est la miséricorde divine, qui est prête à
pardonner les péchés les plus graves, pourvu que l’homme
implore son pardon.
Ce passage
complète l’évangile de dimanche dernier, où les Samaritains
refusèrent de recevoir Jésus. Jacques et Jean auraient voulu
faire descendre le feu du ciel sur cette bourgade - comme
lors de la destruction de Sodome, mais Jésus les en dissuada
: s’ils s’obstinent dans le refus, plus tard - plus tard
seulement -, ils seront plus gravement traités que les
habitants de Sodome, mais Jésus nous enseigne d’abord à
être, comme lui, patients avec tous les hommes et leur
laisser le temps de recevoir Sa grâce.
Le psaume 65
rappelle deux de ces éclatants miracles de l’Ancien
Testament : le passage de la Mer Rouge (Ex 14), et celui du
Jourdain (Jos 3), à pied sec. Il y en eut bien d’autres,
mais il y en eut plus encore accomplis par le Seigneur
Lui-même ; Jean dit que le monde entier ne pourrait contenir
les livres qui les raconteraient (Jn 21:25).
Apparemment,
les disciples furent fidèles aux consignes du Maître,
puisqu’ils reviennent bientôt, tout joyeux d’avoir
même soumis les esprits mauvais. On notera qu’ils ne
s’attribuent pas le mérite de ces guérisons, car ils disent
bien l’avoir fait “en ton nom”, mais il se glisse en eux une
petite satisfaction personnelle, que Jésus corrige bien vite
: qu’ils se réjouissent d’avoir gagné des âmes à Dieu, et de
mériter leur récompense au Ciel.
La vraie joie
du chrétien, est de ressembler toujours plus au Seigneur,
qui nous a appris comment être humble, obéissant, doux,
patient… Quand Jésus-Christ nous “donne sa paix”, sa
consolation, Il ne nous installe pas dans une pieuse
béatitude, un pieux farniente, qui nous dispense de la lutte
quotidienne contre le mal ; la paix du Christ s’acquiert et
se conserve par un combat incessant contre le vieil homme
pour laisser toujours plus la place à l'Homme nouveau.
Bientôt Saint
Paul racontera (2Co 12) ses visions et les dons
extraordinaires qu'il a reçus ; il pouvait humainement s'en
vanter. Non ! Humblement, il reconnaît que toute sa joie,
toute sa fierté, c'est d'avoir partagé les souffrances du
Christ, d'avoir subi des persécutions, des insultes, des
injustices pour le Christ. Dans le Corps mystique dont Jésus
est le Chef, chaque membre est appelé à participer, chacun à
sa mesure, aux souffrances du Christ Sauveur, avant de
participer ensuite à Sa Résurrection.
C’est la
“fierté” de Paul. Fierté, oui, plutôt que “l’orgueil” de
notre traduction car, en passant, il faut bien rappeler ici
que l'orgueil est un vice, peut-être même l'obstacle le plus
grand sur notre chemin vers la sainteté. Dans le texte
d'aujourd'hui, cet "orgueil" est à comprendre dans un sens
très atténué : si Paul peut se "vanter" ou "être fier" de
quelque chose, c'est d'avoir souffert à l'image du Seigneur.
C'est beaucoup plus important ― et exigeant, que d’appliquer
les rites extérieurs judaïques.
Les
soixante-douze disciples, comme les Apôtres et comme plus
tard saint Paul et tous les prêtres et missionnaires, ont pu
faire passer le Message de l’Évangile, d'abord parce qu'ils
ont suivi les consignes de Jésus. Il faut une grâce spéciale
de Dieu pour partir en telle mission. Par milliers, prêtres
et missionnaires sont ainsi partis, rencontrant très souvent
beaucoup de difficultés humaines, beaucoup de souffrances,
mais ils avaient toujours la paix intérieure de savoir qu'au
bout de ces croix, il y a la vraie joie : gagner des âmes à
Dieu.
La Prière du
jour nous offre la synthèse de tout cela : par les
abaissements du Christ (“humiliation” dans le texte), le
monde a été relevé ; et notre joie, est d’avoir été tirés de
l’esclavage du péché.
Après l’Année
Sacerdotale que nous avons vécue, il sera tout-à-fait
indiqué aujourd’hui de prier Dieu de susciter beaucoup de
vocations pour marcher à la suite des soixante-douze
disciples et des Apôtres, pour apporter à notre monde si
païen, si matérialiste, la joie de se relever dans le Christ
ressuscité.
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