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Notre Père céleste veille sans cesse sur nous
Après avoir exposé aux Romains (et
à nous) combien notre nature est faible à cause du péché, combien nous avons
besoin de renaître dans la Vie du Christ, combien précieuse et indispensable est
l’aide de l’Esprit dans ce combat spirituel, l’apôtre Paul maintenant nous
laisse entrevoir ce que sera l’achèvement de ce chemin vers Dieu.
Mais quel langage ! D’après les mots pauliniens, il semblerait que Dieu fît une
sorte de choix, prédestinant certains hommes, en choisissant d’autres, accordant
plus à ceux qu’il appelle, pour en faire des justes et pour leur donner sa
gloire… Dieu n’appelle-t-Il pas TOUS les hommes ? le Prêtre ne répète-t-il pas
chaque jour à la consécration : Pour vous et pour une multitude… ?
Oserons-nous pour autant douter de la miséricorde de Dieu ?
Si l’on reprend tout ce qui a été dit précédemment sur cette difficile épître
aux Romains, on se rappellera que, si Dieu appelle bien tous les hommes au
salut, tous cependant ne répondent pas à cette invitation. On se souvient de la
parabole des invités, qui s’excusent au dernier moment : Je me suis marié ; j’ai
acheté un champ, cinq paires de bœufs… (Lc 14:18-20). Mais saint Paul utilise un
mot fort : Dieu “connaissait par avance” (præscivit) et “prédestina” (prædestinavit)
certaines âmes à devenir semblables à l’image de son Fils. Dieu savait d’avance,
Dieu avait décidé d’avance : où est la liberté de notre réponse ?
Prédestination et Liberté de l’homme : quel mystère ! Autant ces deux mots
semblent s’annihiler, autant ils doivent pourtant se compléter dans une Vérité
dogmatique fondamentale de notre Christianisme. Oui, l’homme est prédestiné à la
gloire divine, et il est libre dans sa réponse à l’amour divin. Comment ? une
petite comparaison toute simple nous le laissera entendre.
Quand un père veille sur les premiers pas de son enfant, il le tient bien dans
ses bras, mais quand l’enfant a acquis un mouvement apparemment correct des
jambes, le père relâche peu à peu l’étreinte pour laisser l’enfant avancer de
lui-même. Très probablement, l’enfant va faire une chute, et le père y veille
pour qu’il ne se fasse pas mal en tombant, mais l’enfant doit expérimenter par
lui-même cette situation. Puis il fera davantage de pas, retombera sans doute,
et apprendra aussi à se relever tout seul, sous l’œil vigilant de son père. Peu
à peu, la marche sera acquise et le père n’aura plus à s’inquiéter autant.
Notre Père céleste veille sans cesse sur nous ; mais par moments Il nous
abandonne un peu à nous-mêmes : Il sait que nous allons “tomber”, par faiblesse,
par ignorance, par maladresse ; mais Il veille et nous donne sans cesse la grâce
de nous relever. Dieu veut que nous marchions vers la Gloire finale, Il nous met
sur ce chemin royal, mais quand nous avons bien compris où est la Vérité, c’est
à nous d’avancer sans autre intervention, même au prix de quelques chutes. Dieu
sait d’avance nos chutes, nos égarements, nos hésitations, sans pour autant
cesser de nous donner la grâce d’avancer toujours vers le But suprême.
Oui, nous restons libres ; oui, nous restons prédestinés à la Gloire. Il ne
tient qu’à nous d’être de ceux-là. A nous de séparer les bons et les mauvais
poissons de notre pêche (voir l’Evangile) ; de chercher et d’acquérir en
priorité le champ ou la perle du Royaume en vendant tout le reste. En un mot,
Dieu reste tout-puissant, il nous prévient de sa grâce, sa liberté est
souveraine ; et en même temps nous sommes réellement libres d’y correspondre.
On aura sans doute du mal de penser à “tout” vendre, pour acheter le Royaume.
Parfois la vertu de Prudence nous conseillera d’attendre, ou même d’éviter, car
il faut bien quelques ressources pour faire vivre une famille… Le “saint homme
de Tours”, M. Léon Dupont, était fort riche, mais d’une générosité plus grande
encore. Jésus nous a dit ailleurs qu’Il nous rendra au centuple ce que nous lui
aurons offert (Mt 19:29). Car si l’homme accepte de se vider de son petit moi,
Dieu le comblera de son esprit de sagesse et d’intelligence.
Le jeune Salomon fit ce pacte. A l’invitation de Dieu, il répond très
humblement, sans aucune ambition humaine, qu’il a surtout besoin de savoir
gouverner son peuple et de discerner le bien du mal. Quelle simplicité vraiment
royale, pour un jeune prince de son âge. Certes, il aurait pu s’appeler Louis IX
de France (mort à 56 ans), ou Casimir de Lithuanie (mort à 25 ans) ou Amédée de
Savoie (mort à 37 ans) ou Venceslas de Bohême (mort à 22 ans)… Tous ces princes
ont brillé par leur manque d’ambition terrestre, cherchant uniquement à
augmenter le rayonnement de l’Eglise et la gloire de Dieu dans leurs
territoires.
La Sainte Ecriture nous parle aussi, hélas, de l’égarement du grand roi Salomon
qui, à cause de ses multiples liaisons avec des femmes païennes, finit lui aussi
par honorer des dieux païens, ce qui attira une grave déchéance dans son royaume
(voir 1Rg 11). On lira toutefois avec admiration et profit la merveilleuse
prière de Salomon rapportée par le livre de la Sagesse (Sg. 9), lorsqu’il
demanda à Dieu cette sagesse dont il sentait le besoin impérieux au moment de
prendre la tête de son royaume.
La liturgie nous fait méditer, en revanche, quelques versets du psaume 118 qui
en strophes acrostiches reprenant successivement les vingt-deux lettres de
l’alphabet hébraïque, chante la Loi du Seigneur. Ceux qui prient la Liturgie
des Heures (le Bréviaire) connaissent bien ce très long psaume, dont ils
lisent une strophe chaque jour ; on a l’impression que ce psaume évoque toute la
prière de Jésus depuis sa naissance jusqu’à sa mort, dans une expression de
fidélité totale à sa divine Mission, parsemée d’embûches et de souffrances.
Le dernier mot, repris de la Prière du jour, sera pour illustrer ce chemin vers
Dieu, à qui nous demandons “en faisant un bon usage des biens qui passent, (de
pouvoir) déjà nous attacher à ceux qui demeurent”.
Abbé Charles Marie de Roussy
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