Cinq pains nourrissent une foule
immense...
Dimanche dernier,
nous avons vu les foules converger vers le Christ, qui en eut pitié
parce que ces gens “étaient comme des brebis sans berger”. Après
les avoir longuement exhortés, le soir arrive et… il faut bien manger !
Nos liturgistes ont préféré nous faire lire aujourd’hui le récit de
l’autre évangéliste, Jean, qui donne les mêmes détails que Marc, mais en
ajoute aussi quelques-uns, et surtout enchaîne avec le discours sur le
Pain de Vie, que nous lirons fragment par fragment pendant plusieurs
dimanches.
L’occasion de ce
discours est donc ici la première multiplication des pains. Cinq pains
d’orge, et deux poissons, vont nourrir cinq mille hommes, donc
probablement quelque quinze mille personnes, puisqu’on ne compte pas les
femmes et les enfants.
Au passage,
notons le “privilège” de ces populations, qui peuvent suspendre toutes
leurs activités quotidiennes pour aller écouter des heures durant
Quelqu’un qui leur parle de la Vérité et de la Vie éternelle. Un état
d’esprit que nous ne connaissons pas aujourd’hui…
Que nous enseigne
ce miracle ? Notons ces détails : cinq pains nourrissent une foule
immense et il en reste douze corbeilles ; les deux poissons aussi sont
multipliés, mais il n’en reste rien.
Les cinq pains
pourraient bien être comparés aux cinq livres de la Loi ― Genèse, Exode,
Lévitique, Nombres, Deutéronome ― la Torah hébraïque, l’Ancienne
Alliance, qui a “nourri” tout le peuple avant Jésus-Christ, mais qui
aujourd’hui ne suffit plus à apporter la vraie nourriture au Peuple de
Dieu. Jésus-Christ doit lui redonner une nouvelle force vitale ― en
attendant l’institution de l’Eucharistie, qui ne tardera plus ― et cette
nouvelle nourriture sera désormais distribuée par les douze Apôtres :
les douze corbeilles restantes montrent que cette nouvelle nourriture ne
s’épuise pas, et l’Église continuera de la multiplier dans
l’Eucharistie.
Les poissons ont
ici une autre signification : ils pourraient exprimer les deux
Testaments, au terme desquels toute la Révélation est achevée et à
laquelle il n’y a rien à ajouter (cf. Ap 22:18). Profitons-en pour
rappeler que les lettres composant le mot “poisson” en grec ― icqus ― ont
servi à la communauté naissante à exprimer sa foi en Christ : Jésus
Christ, Fils de Dieu, Sauveur. C’est ce qui explique que si souvent le
poisson est représenté dans les mosaïques ou les peintures chrétiennes
des premiers siècles, comme symbole christique.
Évidemment, la
première réaction de la foule est d’un ordre très terre-à-terre :
proclamer roi Jésus, parce personne d’autre que Lui n’est capable de
leur faire de tels miracles, et que donc il pourra bien aussi les
libérer des Romains. Mais Jésus s’éclipse pour aller passer la nuit en
prière dans la solitude. Le lendemain, il ira retrouver cette foule,
pour leur parler du vrai Pain : c’est ce discours que nous lirons les
prochains dimanches.
En parallèle avec
ce miracle nous lisons dans la première lecture un autre épisode de
multiplication des pains, qui eut lieu avec le prophète Élisée (env.
neuf siècles avant Jésus-Christ). Les détails sont bien différents :
vingt pains pour cent personnes. Élisée rassure son domestique : Il en
restera !
Le psaume 144
allude aussi à cette nourriture sainte que Dieu nous donne “au temps
voulu”.
On pourrait ici
mettre en relief l’unité de la famille chrétienne autour de
l’Eucharistie, et ainsi rejoindre la lecture aux Éphésiens où Paul
recommande de garder l’unité dans l’Esprit. Mais le discours de Paul ne
si situe pas exactement sur ce terrain. Dans la belle épître aux
Éphésiens ― comme on l’a dit les dimanches précédents, l’Apôtre
s’attache à montrer le Primat du Christ dans toute la création, et notre
vocation à être unis à Lui.
Adhérer à Jésus
n’est pas seulement une démarche extérieure, une signature au bas d’un
certificat, ou une vague promesse fugitive. Vivre de la vie de Jésus,
c’est faire converger toutes nos forces vers la sainteté. Une sainteté
qui engage notre propre intime, bien sûr, mais sans jamais oublier notre
prochain, notre voisin.
Avoir une “vie
chrétienne” avec de belles prières, mais sans être emplis de charité
envers chacun de nos frères, serait une double vie absolument contraire
à la vie chrétienne authentique. C’est pourquoi Paul recommande
expressément que nous ayons l’humilité, la douceur, la patience ; de se
supporter les uns les autres avec amour.
Notons cette
expression : se supporter avec amour, attitude bien différente de la
“tolérance” dont on parle parfois ; tolérer, c’est supporter
négativement, comme le chat qui fait le gros dos ; supporter avec amour
veut dire rester bon avec celui qui vous frappe, sourire quand on est
tenté par la colère, pardonner de bon cœur quand on a subi un tort
quelconque. C’est parfois très difficile, il faut même se faire violence
quelquefois, mais la sainteté est à ce prix, car c’est cet exemple que
nous a laissé le Maître divin, qui a dit lui-même : “Le Royaume des
Cieux souffre violence, et des violents le prennent de force” (Mt
11,12).
Dans la Prière,
l’Église nous fait reconnaître que “sans (le Christ) rien n’est fort,
rien n’est saint”. Dans la Prière sur les offrandes, nous demandons à
Dieu de “sanctifier notre vie de tous les jours”, par
l’Eucharistie.
“Adiutorium
nostrum in nomine Domini” :
Notre force est dans le nom du Seigneur.
Abbé Charles
Marie de Roussy |