|
“Repose-toi, mange, bois, jouis de l'existence !...”
Après avoir lu
les passages de l'Ecclésiaste, du psaume 89 et de
l'Évangile, on pourrait bien être tenté de penser : A quoi
bon tant de fatigues, tant de soucis ? Et finalement :
pourquoi vivre ? Quel sens a ma vie ?
Vue sous cet
angle-là, notre existence paraît être sans importance :
naître, souffrir, disparaître, dans un mouvement
perpétuellement répété au fil des générations, pour arriver
à un XXIe siècle où les hommes continuent de se déchirer
comme s'il n'avait pas encore été possible d'apprendre à
vivre fraternellement, après des millénaires…
Mais lisons
bien les paroles du Seigneur : Voilà ce qui arrive à
celui qui amasse pour lui-même, ce qui sous-entend qu'on
peut amasser avec une intention différente. Notre homme
pourrait distribuer l'excédent de sa récolte à un autre qui
n'avait pas autant récolté : en cette période estivale de
récoltes (du moins dans nos régions européennes), il y
aurait peut-être là une leçon à écouter.
Cependant,
l'appel de Jésus-Christ va bien au-delà d’une simple leçon
d'économie sociale. Comme Jésus nous a enseigné à prier (cf.
l’évangile de dimanche dernier), toutes nos actions doivent
être orientées pour que le Royaume de Dieu arrive,
et alors toute notre vie prend un autre sens, parce que
chaque petite chose de ma vie, si infime soit-elle, faite
avec amour, sert à construire ce Royaume divin auquel Jésus
nous appelle. Rien dans notre vie n’est sans valeur. On
pourrait bien évoquer ici aussi cette phrase de Jésus, que
vos cheveux mêmes sont tous comptés (Lc 12:7).
Même si
mille ans sont comme hier et que notre vie humaine
s’achève finalement très vite, même si nous devons bientôt
laisser ce monde, nous y devons travailler de toutes nos
forces, parce que notre place est un maillon indispensable
dans l'immense chaîne humaine ; chacune de nos âmes a été
voulue par l'amour du Seigneur ; il ne faut pas qu'à cause
de ma défection, la chaîne se rompe.
Ainsi, continue
le psaume 89, nous demandons à Dieu de nous rassasier de
(son) amour au matin, que nous passions nos jours dans la
joie et les chants pour que Dieu consolide l’ouvrage
de nos mains.
Nous ne savons
pas quand Dieu nous appellera, mais notre ouvrage doit être
porté à la plus grande perfection possible, comme si de cet
ouvrage dépendait la beauté du monde futur de la
Résurrection. De sorte que, au moment voulu, nous pourrons
humblement reconnaître : Mission accomplie !
La vie de Notre
Seigneur, humainement parlant, est un échec, lamentable :
après tant de succès, de miracles, d'acclamations, finir sur
une croix avec des bandits, sous les huées des badauds. Mais
en prenant notre humanité, en la mortifiant et en la
ressuscitant, Il l'a portée à la gloire divine ; c'est là sa
victoire.
Sur les traces
du Maître, ma mission est de devenir un Nouvel Homme, selon
le dessein que Dieu a eu en me créant. C’est ainsi que saint
Paul nous invite à être “morts avec le Christ”, c’est-à-dire
à faire mourir ce qui appartient à la terre : débauche,
impureté, passions, désirs mauvais, appétit de jouissance.
Cette traduction ne rend peut-être pas la force des
termes de l’Écriture ; plus précisément, Paul écrit
exactement de faire mourir : la fornication, les actes
immondes, les mauvais désirs, la concupiscence maligne, et
l’avarice, qui est un esclavage d’idoles.
Il ne sera pas
vain ici de rappeler à toute personne qui nous lira, que la
fornication - le comportement matrimonial hors du mariage -
n’est pas ce qui est inscrit dans la loi divine. Dieu a
confié à l’homme la mission de remplir la terre, de se
multiplier, certes, mais dans la loi du mariage unique et
saint. On considère facilement aujourd’hui le corps humain
comme un objet de plaisir, ce qu’il n’est pas. Dieu ne nous
a pas donné ce corps humain pour ne nous en servir que par
plaisir ; on ne peut pas faire des actes d’amour en-dehors
de l’amour créateur, on ne peut pas même appeler amour ce
qu’on ne fait que par plaisir, par “expérience”, et par des
expériences qui deviennent parfois même des habitudes. Ce
n’est pas l’Église actuelle ou récente qui a condamné la
fornication, c’est saint Paul déjà, et toute la sainte
Tradition des saints hommes et des saintes femmes de
l’Ancien Testament jusqu’à nos jours.
Il serait
hypocrite de prétendre qu'il soit facile de faire mourir le
vieil homme ; oui, c’est parfois très difficile et Jésus le
reconnaît le premier en disant que Ce sont les violents
qui s'emparent du Royaume (Mt 11:12), car il faut aller
jusqu’à se faire violence pour arriver à dire "non". On
citait ci-dessus saint Paul, mais bien d’autres passions
entravent notre ascension vers l’Homme Nouveau ! Certains
font une lutte héroïque pour se détacher de certains
esclavages : du tabac ou de l’alcool, de la télévision, des
diplômes, des distinctions (on ne dit pas ici qu’il ne
faille pas avoir de diplômes ni de décorations, mais qu’il
ne faille pas s’en vanter, ce qui est bien différent) ; il
faudra aussi se détacher des collections, des modes
vestimentaires, de toute ambition humaine, en un mot, de nos
mille et mille autres petits défauts personnels cachés… Mais
quelle libération ensuite ! C’est en faisant mourir sur la
croix ce qui est terrestre (éphémère, vain, historique), que
j’arriverai à m'identifier au Nouvel Homme, à Jésus-Christ.
Voilà ma liberté.
Ma vie prend
maintenant un tout autre sens ! Si je suis appelé à une
telle gloire, avec saint Paul je vais courageusement mettre
à profit le reste de ma vie pour faire mourir sans tarder ce
qui appartient encore à la terre, pour me débarrasser des
agissements de l'homme ancien.
Détail
important, au passage : Paul ne nous demande pas de
débarrasser "les autres" de leurs attachements terrestres !
Il ne s’agit pas de nous ériger en juges de nos voisins et
de combattre leurs défauts. Non, mais mon combat concerne
d'abord mon moi personnel, et c'est déjà bien suffisant.
Si Paul nous
dit qu'il n'y a plus ni Grec ni Juif, ni Israélite ni
païen, ni barbare, ni sauvage, ni esclave ni homme libre,
c’est que ces différences appartiennent à la terre, à
l'histoire qui passe, à la vanité dont parle
l’Ecclésiaste. Paul le dit encore d'une autre façon aux
Corinthiens : Les choses visibles n'ont qu'un temps, les
invisibles sont éternelles (2 Co 4:18).
Ce qui doit
rester, c'est d'être avec Christ, mort et ressuscité. Et
nous rejoignons ici la Prière du jour, qui nous fait
demander à Dieu de restaurer (sa) création,
c’est-à-dire de retrouver notre innocence initiale ― et de
la conserver dans la lumière de la Résurrection.
|