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Pourquoi Jésus choisit Pierre plutôt qu’un autre
La ville de Césarée de Philippe
se trouve au nord de la Palestine, dans l’actuelle région du Golan. Tout près,
le Mont Hermon donne naissance à une des sources du Jourdain. C’est un endroit
très montagneux, à plus de deux mille mètres d’altitude, le seul endroit de ce
pays où l’on peut pratiquer le ski ! C’est dire la fraîcheur du climat, dont
parle le psaume 133, évoquant “la rosée de l’Hermon”. A l’époque de
Jésus-Christ, cette Césarée était une ville toute neuve, récemment construite
par Philippe, un des trois fils d’Hérode dit “le Grand”.
C’est donc là que nous entendons
s. Pierre affirmer avec tant de conviction que Jésus est “le Messie, le Fils du
Dieu vivant” ; en échange de cette profession de foi Jésus confère à Pierre un
pouvoir de lier et de délier sur terre et au Royaume des cieux. Les mots du
Seigneur ressemblent beaucoup à ceux qu’Il utilise au lendemain de la
Résurrection, lorsqu’Il donne aux Onze Apôtres le pouvoir de remettre ou de
retenir les péchés (Jn 20:23), mais ces pouvoirs se situent peut-être à deux
niveaux différents.
De son côté, Pierre a le droit de
lier et de délier, de condamner ou de pardonner - ce que recevront aussi les
autres Apôtres -, mais sans doute aussi le pouvoir d’affirmer des vérités ou de
réfuter des erreurs, de prendre des décisions importantes qui engageront
l’Eglise tout entière. De l’autre, les Apôtres ne manqueront pas de collaborer
avec Pierre en recherchant avec lui la Vérité et les décisions à prendre.
L’autorité de Pierre ne va pas sans la collégialité des Apôtres, et cette
dernière ne diminue en rien le pouvoir magistériel du Prince des Apôtres. Ainsi,
après l’Ascension, c’est Pierre qui propose d’élire un remplaçant à Judas qui a
trahi, mais c’est l’ensemble de la communauté qui exprime à Dieu sa prière pour
désigner Matthias.
Ici, à Césarée de Philippe, Jésus
a — disons — posé la pierre de l’autorité pontificale. Mais Jésus n’a pas encore
achevé sa mission : il forme les Apôtres, il constitue la Hiérarchie, mais
l’Eglise qu’Il fonde n’éclora qu’après sa mort et sa résurrection, pour naître
définitivement à la Pentecôte. Pour le moment, il donne un ordre péremptoire aux
disciples : ne dire à personne qu’Il est le Messie, bien évidemment parce que
l’heure n’en est pas encore venue. Jésus a encore beaucoup de choses à dire, à
faire, à expliquer concernant le Royaume des cieux ; en particulier, Il devra
initier ses apôtres aux Sacrements et leur conférer l’ordination sacrée le Jeudi
Saint, les préparer à sa passion, à la séparation définitive après l’Ascension…
On pourrait se demander pourquoi
Jésus choisit Pierre plutôt qu’un autre ; pourquoi Pierre qui, malgré ses
moments enthousiastes, connut aussi plusieurs autres moments difficiles, au
point que Jésus le “remit en place” par un vigoureux “Arrière, Satan” (quelques
versets seulement après ceux d’aujourd’hui, 16:23, voir dimanche prochain), sans
parler de son reniement. Jésus sait qu’à travers ces moments d’épreuve, Pierre
deviendra chaque fois un peu plus fort, un peu plus convaincu, un peu plus
conscient de sa mission. Le choix de Dieu n’est pas un signe automatique de
sainteté de la personne : c’est simplement un mystère. Dieu sait à quel pécheur
il confie telle ou telle mission ; ce n’est pas celle-ci qui sanctifiera
automatiquement le pécheur, c’est à lui de toujours chercher à se perfectionner
en vue de correspondre à sa mission. Le “choix” de la personne de Pierre n’a pas
d’explications humaines : encore une fois, un mystérieux concours s’est opéré
entre la grâce de Dieu et l’intelligence de Pierre, de sorte que ce dernier a
été choisi par Jésus pour gouverner l’Eglise.
Jésus a certainement donné
beaucoup plus tôt à Simon ce surnom de Pierre (Rocher, Képha en araméen), comme
le donne à penser l’évangile johannique (Jn 1:42), mais là comme ici Jésus nomme
ainsi le Premier Apôtre dans un moment solennel, caractéristique de la mission
de Simon-Pierre ; peut-être - mais ce n’est pas sûr du tout - est-ce en regard
de cet épisode que les papes commencèrent à changer leur nom au moment de leur
pontificat, à partir de Jean XII au Xe siècle.
Toujours est-il que Pierre non
seulement reconnaît en Jésus le Messie promis, mais aussi Sa réalité divine : le
Fils du Dieu vivant ! Aucun autre des Douze n’a eu cette parole : Pierre y a
songé, Pierre l’a prononcée, le premier, selon toute vraisemblance.
S. Paul salue aussi, pour sa
part, ce mystère du choix de Dieu, dans une élévation à la fois solennelle et
liturgique, une sorte d’hymne à la gloire de la Sagesse de Dieu, qui conclut
tout l’exposé où l’Apôtre montre comment le Peuple élu de Dieu a cédé sa place
aux Gentils récemment convertis.
La lecture d’Isaïe nous montre
également comment Dieu écarta un mauvais administrateur pour lui substituer
Eliakim, un fidèle croyant ; la scène a lieu vers 700 avant Christ, sous le roi
Ezéchias ; le gouverneur Shebna s’était mal comporté aux yeux de Dieu, et ce
maire du palais va se retrouver simple secrétaire (Is 36:3,22), tandis qu’Eliakim
va être investi d’une dignité et de pouvoirs tout-à-fait prophétiques : S’il
ouvre, personne ne fermera ; s’il ferme, personne n’ouvrira, prélude à
l’investiture de Pierre qui recevra “les clefs du Royaume”.
Le psaume 137 pourrait être la
prière de cet Eliakim ou de Pierre, en réponse au choix divin : Si haut que soit
le Seigneur, il voit le plus humble ; le Seigneur fait tout pour moi. On
pourrait voir dans ce verset une explication de l’infaillibilité du pape : le
Seigneur fait tout pour lui, Il lui inspire au moment voulu telle décision, et
ce que le pape prononcera ici-bas sera aussi prononcé dans le Royaume.
Pour le peuple de Dieu, l’immense
foule des chrétiens, il s’agit pour eux “d’aimer ce que (Dieu) commande, par Son
Vicaire” : l’expression est dans la prière du jour. Dans un monde si changeant,
où nous perdons si facilement l’orientation, nous savons que nous devons établir
nos cœurs “là où se trouvent les vraies joies”, en écoutant la voix de Dieu, de
l’Eglise, la voix de la Vérité.
Abbé Charles Marie
de Roussy
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