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L’Esprit Saint parle au cœur de chacun de nous
Dimanche
dernier Jésus nous enseignait l’éminence de l’humilité :
Qui s'élève, sera abaissé ; qui s'abaisse sera élevé,
disait-il. Divers exemples de l’Écriture et de la vie
des Saints nous ont un peu montré que l'humilité est une
vertu à mille facettes.
Le livre de la
Sagesse nous invite aujourd'hui à une humilité particulière
: reconnaître que Dieu est bien au-dessus, bien au-delà de
nos découvertes, de nos progrès techniques.
L'homme essaie
de prévoir le temps météorologique, une tempête, une
éruption volcanique ; il envoie des engins infiniment
complexes sur la Lune, sur Mars et va explorer des zones
immensément lointaines, il découvre des centaines, des
milliers de galaxies… Il SAIT !
En même temps,
il se rend bien compte qu’il ne sait rien. Ce qu'il sait ne
lui donne toujours pas la réponse ultime : pourquoi ?
comment ? quel dessein a précédé cela ? Où est Dieu ? Qui
est Dieu ? Le verrons-nous ?
Sans jamais
arriver à trouver une réponse complète à ces questions
fondamentales, nous recevrons certainement quelque lumière
de l'Esprit de Dieu, qui habite en nous, si nous voulons
bien l'écouter.
En effet,
l’Esprit Saint parle au cœur de chacun de nous, cet Esprit
d’Amour et de Vérité. Pour peu que nous ouvrions les
oreilles de notre cœur, prêts à recevoir la lumière
d’En-haut, nous en recevrons certainement de grands
enseignements.
Il faut
invoquer l’Esprit, l’appeler, le supplier : non pas parce
qu’il fait la sourde oreille, mais parce qu’en l’appelant
avec foi et persévérance, nous apprenons à nous ouvrir peu à
peu à lui en faisant taire autour de nous et en nous le
bruit du monde qui nous assourdit : Un corps périssable
appesantit notre âme, et cette enveloppe d’argile alourdit
notre esprit aux mille pensées, nous dit aujourd’hui le
livre de la Sagesse. C’est de cette Sagesse et de l’Esprit
Saint que les hommes ont appris ce qui plaît à Dieu
et ont été sauvés.
On entend à
l’envi nos scientifiques manipuler les millions d’années un
peu comme s’ils y avaient été, et le psaume nous ramène à un
peu plus de modestie et de prudence : Mille ans sont
comme hier, un jour qui s’en va, une heure dans la nuit. Tu
les as balayés, ce n’est qu’un songe… La vraie mesure
de nos jours, c’est de nous soumettre à la Sagesse de
Dieu ; et si le psaume demande à Dieu de “revenir”, c’est
surtout parce que l’homme est sans cesse enclin à s’en
éloigner ; qu’il se reprenne et regarde vers Dieu, et il
sentira Dieu plus proche de lui, comme le fait un bon père
plein de sollicitude pour son enfant.
Saint Paul nous
parle aujourd’hui d’un de ses “enfants” dans la foi. C’est
par ce même Esprit divin que l’apôtre écrit ici des lignes
sublimes au sujet d'un jeune esclave. Onésime était en effet
esclave chez Philémon, à Colosses. Il s'est enfui, on ne
sait pourquoi, et a rejoint Paul qui est prisonnier à Rome :
Paul va le baptiser. Dans la bouche de Paul, ce néophyte n'a
plus que le nom d'esclave : maintenant, il est son enfant,
une partie de lui-même. Et il demande à Philémon de le
recevoir désormais comme un frère bien-aimé, et de
l'accueillir comme il aurait accueilli Paul lui-même.
Dans une
société où les maîtres avaient droit de vie et de mort sur
leurs esclaves, surtout fugitifs, les lignes de Paul nous
montrent quelle condescendance remplit son cœur d'apôtre
pour les petites gens, à l'image du Maître qui, de condition
divine, s'humilia comme un esclave, se faisant semblable aux
hommes (Ph 2:7). En même temps, Paul donne ici une profonde
leçon de comportement social chrétien, en invitant un patron
à recevoir son “esclave” comme un égal, en frère, car ils
sont tous deux baptisés en Christ. Voilà la grande
révolution sociale que le christianisme imposa bientôt à
tout l’empire romain : une révolution sans violence, qui
aboutira à la suppression de l’esclavagisme par l’amour
fraternel entre supérieurs et inférieurs.
Saint Paul
montre ici encore qu’il est divinement inspiré ; son
intervention en faveur d’un esclave n’est pas un simple
petit conseil occasionnel ; il est une invitation pressante
à appliquer l’exemple et l’enseignement de Jésus-Christ. En
effet, porter sa croix, qu’est-ce donc sinon accepter les
humiliations ? Quand Jésus nous demande de marcher
derrière lui, en portant la croix, il faut l’écouter et
ne pas nous contenter de le regarder tomber à terre ou être
cloué comme le dernier des brigands. Il faut accepter d’être
plus bas que les autres, même si nous avons un rang
supérieur. Cette humilité est une richesse spirituelle :
Philémon est un maître, donc sans doute un propriétaire, un
homme assez riche et qui a (au moins) un esclave à son
service, Onésime, le fugitif. Mais sa vraie richesse
consistera surtout à s’abaisser devant Onésime, nouveau
converti et baptisé, à le reconnaître non plus comme un
esclave, mais comme un frère bien-aimé.
Quand Jésus
portait sa croix, jamais il n'est sorti de sa bouche la
moindre protestation, jamais un reproche à Pierre qui le
trahissait, jamais une plainte envers ceux qui l'ont frappé,
jamais une réponse dure à ceux qui se moquaient de lui.
Apprenons, à sa suite, à bannir de notre vie la révolte, la
haine, la colère.
Pour en arriver
à cette douceur, Jésus a renoncé à toutes ses prérogatives :
sa condition divine, sa puissance, son autorité. Sa
"richesse" pour entrer dans la gloire du Père, c'est son
humilité. On comprendra très facilement ainsi l'apparente
digression du passage évangélique d'aujourd'hui : d'un côté
Jésus demande qu'on renonce à tout pour Le suivre, de
l'autre Il recommande de bien prévoir tout ce qu'il faut
pour construire la maison ou pour partir en guerre. Pour
gagner le Royaume, il faut s' "enrichir" de la Croix en
s'appauvrissant de la terre.
Jean-Baptiste
disait : Il faut qu'il grandisse, et que je diminue (Jn.
3:30).
Oh oui, comme
il est nécessaire de renoncer aux choses, aux personnes, aux
amitiés, à tous les liens humains, même les plus légitimes,
pour aimer et pour suivre vraiment Jésus.
Jésus,
certainement, adresse son invitation à tous, car de
grandes foules faisaient route avec Lui. Mais lisons
bien ce qu’il dit quand il invite à Le préférer à son
père, sa mère, sa femme, ses enfants, etc. Jésus
le répétera plus tard, répondant à Pierre (Lc 18:29). Jésus
est bien clair : celui qui veut le suivre doit le préférer à
tous ses proches, entre autres “à sa femme” ; sans doute que
dans cette foule innombrable bien des jeunes hommes
l’écoutaient et désiraient être de ceux qui l’entouraient
comme les apôtres : on est si bien, tout près de Jésus ! Et
voilà comment Jésus appelle ses apôtres, ses disciples, et
tout homme qui veut se consacrer : il faudra que cet apôtre
préfère Jésus à tout autre, même à tous ses plus proches.
Ceux qui le
voudront bien, trouveront ici un argument de plus sur
l'exigence du célibat sacerdotal. Contrairement à tant et
tant de réflexions mal informées qu’on répand à notre
époque, le célibat sacerdotal existe depuis les temps
apostoliques et l’Église a toujours répété que telle était
l’exigence du Christ qui, lui-même, est resté chaste toute
sa vie, rompant là aussi avec une habitude ancestrale
judaïque. Même les hommes mariés, appelés au diaconat, à la
prêtrise ou même à l’épiscopat, ont toujours rompu les liens
du mariage, en plein accord avec leur épouse, pour accéder à
leur fonction sacrée sacerdotale. Des exemples de ce genre
fourmillent dans l’histoire de l’Eglise1
.
Ceci ne
signifie pas que l'Église aura dissout le lien sacré du
mariage pour appeler des hommes au service de l'autel. Les
hommes mariés peuvent être ordonnés diacres, prêtres ou
Évêques ‡ la condition expresse que leur Épouse y consente
librement et que cesse tout rapport matrimonial, mais aussi
à condition que ces Époux n'aient plus d'enfants à charge.
Les liens du mariage ne demeurent que pour la mission de ce
sacrement ;
lorsque
cette mission est arrivée à son terme, l'Église peut très
bien appeler l'un ou l'autre des Époux (ou les deux) à une
nouvelle mission.
Et il ne faut
pas non plus arguer que l’Église orientale admet les prêtres
mariés, ainsi que la luthérienne ou l’anglicane. Ces Églises
se sont précisément démarquées de l’Église romaine, entre
autres, par le rejet de la discipline du célibat. Il ne faut
pas oublier non plus que, dans l’Église orientale, seuls les
moines célibataires peuvent accéder à l’épiscopat.
Enfin, pour
être complet, il faudra aussi reconnaître que, parmi le
clergé oriental non célibataire, maints prêtres et diacres
ont été fidèles au Christ jusqu’à leur mort, parfois en
mourant martyrs. Là aussi, on reconnaîtra que ces prêtres
auront été fidèles au Christ, auront porté leur croix à sa
suite, en Le préférant à leur femme et à leurs enfants.2
Cette fidélité
totale par le renoncement parfois douloureux à des amitiés
chères, procure une profonde liberté intérieure : on se sent
totalement uni à Dieu, à Jésus-Christ, à l’Église. L’amour
pour telle ou telle personne s’étend égal à lui-même à
toutes les personnes ; d’époux charnel, le prêtre devient ó comme
saint Joseph et comme Jésus ó le
chaste époux de toutes les vierges ; de père naturel de
quelques enfants, il devient le père de tous les enfants. Il
s’agit là de liens spirituels et mystiques au sein de
l’immense famille des enfants de Dieu, dont les liens
naturels ne sont qu’une pâle image.
Prions
maintenant, pour demander à Dieu cette liberté intérieure
qui nous libérera des liens trop terrestres. Voici donc la
Prière du jour, qui vient à point nommé ; lisons-la
lentement, laissant le texte s’imprégner profondément en
nous :
Dieu qui as
envoyé ton Fils pour nous sauver et pour faire de nous tes
enfants d’adoption, regarde avec bonté ceux que tu
aimes comme un père ; puisque nous croyons au Christ
(c’est-à-dire que nous portons notre croix à sa suite),
accorde-nous la vraie liberté et la vie éternelle.
Abbé Charles
Marie de Roussy
1 Il n’est que de feuilleter
le Martyrologe Romain où l’on trouve tous ces exemples :
au IVe
siècle :
S.
Ammon (Amoun), moine égyptien ; marié contre son gré, il
garda la virginité avec son épouse (fêté le 4 octobre).
S. Pélage, choisi comme évêque, à Laodicée, parce qu’il
vivait dans la continence parfaite avec son épouse (fêté le
25 mars).
L’évêque d’Autun, s. Simplice, vécut dans la continence avec
son épouse avant et après son épiscopat (fêté le 24 juin).
au Ve
siècle :
Le pape s. Innocent Ier
réaffirme l’exigence du célibat ecclésiastique (fêté le 12
mars).
L’illustre évêque d’Auxerre, s.
Germain, vécut avec son
épouse comme frère et sœur (fêté le 31 juillet).
L’évêque de Narni, s. Cassius, époux de Fausta avec laquelle
il vécut comme un frère ; il célébrait déjà la messe chaque
jour (fêté le 29 juin).
au VIe
siècle :
S. Léonce le Jeune, entré dans la carrière militaire au
service du roi Childebert, puis époux de Placidine (fille du
sénateur Arcadius) ; ordonné prêtre et élu évêque à Bordeaux
après Léonce l'Ancien, il traita son épouse comme sa sœur
(fêté le 11 juillet).
Le premier évêque de Laon, s. Génébaud, est un cas
“exemplaire” : lui et son épouse vivaient séparés, consacrés
à Dieu ; sacré évêque par s. Remi, Génébaud rencontra
plusieurs fois son épouse et finit par en avoir deux enfants
(qu’il appela Larron et Vulpecula, petite renarde) ;
Génébaud fut alors enfermé sept années dans une cellule avec
un lit en forme de cercueil ; puis s. Remi reçut
l’avertissement du Ciel d’aller le remettre dans ses
fonctions. Génébaud mourut en paix… et son digne fils lui
succéda sur le siège épiscopal (fêté le 5 septembre).
L’évêque de Rennes, s. Melanius, rappela à deux prêtres la
loi sur le célibat (fête le 6 novembre).
au VIIe
siècle :
S. Wandrille,
avant de fonder le fameux monastère qui prit son nom, se
retira ainsi que son épouse pour se consacrer dans la vie
monastique (fêté le 22 juillet).
L’évêque d’Evreux, s. Aquilin et son épouse s'étaient voués
à la continence (fêté le 19 octobre).
L’évêque de Meaux, s. Faron, dont l’épouse avait pris le
voile des religieuses (fêté le 28 octobre).
au Xe
siècle :
S. Oswald, anglais
d’origine danoise, moine à Fleury-sur-Loire, évêque à
Worcester et York, réformateur et fondateur d’abbayes,
remplaça le clergé marié par des moines (mort un 29 février,
il est habituellement fêté le 28, sauf aux années
bissextiles).
au XIe
siècle, le siècle de la réforme du clergé :
L’inlassable s.
Pierre Damien, d’abord
prieur à Fonte Avellana, puis cardinal, dénonça les
désordres de l’Eglise (en particulier la simonie et
l’incontinence : il faisait l’amère constatation que des
curés célébraient solennellement dans leur propre paroisse
les noces de leurs enfants) ; fêté le 21 février.
Le pape s. Léon IX (1049-1054), évêque à Toul et pape à
quarante-sept ans ; avec Hildebrand, futur Grégoire VII, il
combattit l'hérésie, la simonie, le concubinage des clercs,
les investitures laïques, etc.
Le b. Etienne X, pape (1057-1058), ancien moine au Mont
Cassin, combattit l’incontinence des clercs (fêté le 29
mars).
Le pape s. Grégoire VII (1073-1085), bénédictin, grand
réformateur de l'Église (et illustre dans la "querelle des
investitures", cf. l’épisode de Canossa avec l’empereur
germanique Henri IV ; fêté le 25 mai).
au XIVe
siècle :
Le b. Nicolas
Hermansson, évêque en Suède, fut un ardent défenseur du
célibat des clercs.
2 Ainsi au XVIIIe
siècle le b. Gomidas Keumurgian, fils d'un prêtre arménien
de Constantinople, lui-même père de sept enfants, fut prêtre
et ardent défenseur du concile de Chalcédoine ; mais
persécuté par des coreligionnaires monophysites, il subit le
martyre, soutenu et encouragé par sa fidèle épouse ; on le
fête le 5 novembre. |