Le Seigneur… est proche de ceux
qui l’invoquent en vérité.
On peut supposer facilement que
si les ouvriers de la première heure avaient connu d’avance le salaire de ceux
de la dernière heure, ils auraient sans doute attendu le soir pour se faire
embaucher. Avec un tel raisonnement, toute la société aurait vite fait de
sombrer dans le chaos le plus total !
Bien sûr, Jésus veut faire passer
un message, à travers cette parabole. Les ouvriers de la première heure
représentent le Peuple élu, les premiers Appelés, les Juifs. Ceux des autres
heures sont ceux qui connaîtront la Bonne Nouvelle de Jésus à des périodes plus
tardives, jusqu’à aujourd’hui. Personne n’oserait imaginer que les baptisés du
XXIe siècle auraient moins de bonheur dans le Royaume que les pieux Juifs de
l’Ancien Testament.
Cette parabole n’a pas une portée
sociale, il faut quand même le souligner : nous ne sommes pas ici dans le
contexte d’une lutte syndicale. Dans notre monde, il serait certainement injuste
qu’un maître payât autant l’ouvrier d’une heure que celui d’une journée. Mais
supposons un patron épris de charité profonde, qui considère la situation
difficile d’un de ses ouvriers : maladie, épreuve familiale, revers… ; s’il
décide alors de lui remettre une prime exceptionnelle pour l’aider dans cette
mauvaise passe, qui pourrait l’en empêcher ? Le malheur est que le cas créera un
précédent, et que la contagion des revers gagnera bientôt beaucoup d’autres
ouvriers, poussant notre pauvre patron au bord de la faillite !
C’est pourquoi il est difficile,
impossible, de trouver des solutions sociales parfaites et définitives. D’une
part parce que les situations sont toujours différentes et d’autre part, parce
que “les pensées (de Dieu) ne sont pas (nos) pensées”, et même :
“Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, … autant mes pensées sont
au-dessus de vos pensées”.
Mais la parabole a une
signification bien plus éternelle, “eschatologique” : il s’agit de la récompense
finale du Royaume, à laquelle tous les hommes sont conviés.
Toute notre vie se développe
ainsi en une sorte de “tension” entre l’absolu de Dieu et la relativité de notre
monde. Saint Paul le fait remarquer aux Philippiens, ces jeunes chrétiens grecs
de la ville de Philippes : Je préfèrerais bien rejoindre le Christ, dit-il, mais
je dois travailler pour vous. Il sait bien qu’il n’a plus beaucoup d’années à
vivre, mais pour le moment, se conformant à la volonté de Dieu, il accepte le
“moins bon” pour lui, pour se donner davantage au bien des autres.
On se souviendra ici de
l’anecdote suivante. A la fin de sa vie, s. Martin était allé remettre la paix
dans une communauté de son diocèse ; sur le retour il sentit approcher sa
dernière heure, et ses disciples de le supplier de “rester” ; s. Martin éleva
alors cette prière : “Seigneur, si je suis encore bon à quelque chose, je ne
refuse pas le travail (non recuso laborem)”.
Imaginons que s. Paul et tous les
chrétiens à sa suite, se soient immédiatement offerts au glaive des
persécuteurs, comment l’Eglise aurait-elle pu s’étendre ? Et si un jeune
étudiant, las de ses études fastidieuses, entamait une grève de la faim pour
“aller vers le Christ” plus rapidement, on aura de bonnes raisons de penser
que son âme n’ira pas tout de suite vers le Christ… ! Ses pensées n’auront pas
été les pensées de Dieu.
La solution est difficile à
trouver à chaque instant : qu’est-ce que Dieu attend de moi en ce moment
présent ? Poser cette question loyalement, c’est déjà ouvrir son cœur pour
écouter la réponse de Dieu. C’est déjà se rendre disponible à Sa voix. Dieu
n’est pas loin de nous, c’est nous qui nous en éloignons beaucoup et souvent.
Le prophète Isaïe insiste bien :
“Cherchez le Seigneur tant qu’il se laisse trouver… (Revenez) …vers notre
Dieu, qui est riche en pardon” ! Que de fois entendons-nous que “le Bon
Dieu nous a oubliés”, “qu’Il s’est trompé d’adresse”, “qu’un peu se
réveiller”, “qu’Il ne fait pas beaucoup attention à nous”, etc.,
etc., et encore bien d’autres réflexions irrespectueuses et, je dirais,
blasphématoires, à l’adresse de notre Père céleste, notre Créateur, la Bonté
même et la Miséricorde par excellence.
Alors, si nous avons cédé à ces
pensées tortueuses, reprenons-nous, et lisons ces lignes du psaume 144 :
Chaque jour je te bénirai !
Le Seigneur est tendresse et
pitié, lent à la colère et plein d’amour.
Le Seigneur… est proche de ceux
qui l’invoquent en vérité.
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