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“Celui qui pardonne est vraiment riche !”
Le prophète Amos n'est pas tendre
envers la société ; en ce lointain VIIIe siècle avant Jésus Christ, Israël
traverse une période sans guerres, la prospérité s'installe, la richesse aussi
bien sûr, et les inévitables injustices sociales.
Plus on a, et plus on désire
augmenter ses richesses, par tous les moyens, même illégaux. Au temps d'Amos, la
nouvelle lune et le sabbat suspendaient les activités commerciales, et les
commerçants attendaient avec impatience la fin des "festivités" pour reprendre
leurs activités. "Diminuer les mesures, augmenter les prix, fausser les
balances" ont été de tous les temps.
Qu'on se souvienne a contrario
de la captivité de saint Louis en Egypte : pour payer plus aisément la rançon,
ses chevaliers avaient tenté de diminuer un peu le poids des pièces en or ;
l'ayant su, saint Louis exigea une honnêteté absolue, ce qui édifia beaucoup le
sultan musulman.
Cette honnêteté est le fruit d'une
réelle piété ; saint Louis aimait assister à l'office des moines, autant qu'il
le pouvait. L'apôtre Paul aujourd'hui recommande que "les hommes" (viri,
les messieurs) "prient en tout lieu, élevant vers le ciel des mains pieuses,
sans colère ni dispute".
Les messieurs ont souvent un peu
plus de respect humain pour ce qui concerne les manifestations pieuses ; le
prêtre s'en rend compte, qui voit l'assistance en face de lui : signes de croix
évasifs, génuflexions rapides, bras croisés plutôt que mains jointes... Rien de
plus noble, pourtant, que d'envelopper un chapelet dans ses mains ou, comme dit
l'apôtre aujourd'hui, "d'élever vers le ciel des mains pieuses" durant le
Notre Père, par exemple. Bien compris, ce geste liturgique est d'une grande
expression pourvu que l'espace s'y prête et qu'on ne gêne pas ses voisins.
Ces attitudes toutefois, ne sont
que des signes et comme tels ne sont pas indispensables. En revanche, il ne faut
pas oublier l'autre élément de la phrase de saint Paul : "sans colère ni
dispute" ; dispositions intérieures qui sont tout-à-fait en opposition avec
l'amour de Dieu et du prochain, excluent la piété et engendrent bien des maux.
L'homme riche de la parabole est en
litige avec son gérant ; histoire d'argent encore une fois : détournement,
fausses factures, blanchiment... notre vie quotidienne est tristement remplie de
ces incidents qui troublent la paix, divisent les familles, brouillent les
meilleurs amis.
Comme dans toute parabole, les
détails fournis par Jésus ont leur importance. En l'occurrence, le gérant fait
ici le contraire de ce que ferait tout banquier : au lieu de chercher à
récupérer de l'argent, il distribue ce qu'il n'a pas ; c'est que Jésus, comme
dans la parabole des talents (Mt 25), nous invite à donner ; car tout ce que
nous avons, nous l'avons reçu pour le faire fructifier en le donnant aux autres.
On lit même quelquefois que les
saints continuaient de "donner" sans rien avoir ; saint Jean Bosco se lançait
dans des entreprises très coûteuses, sans un sou en poche, persuadé que Dieu
allait se charger de "financer" ses œuvres ; saint Joseph Cottolengo faisait
encore "mieux" : il ne tenait pas de livre de comptabilité, ne vivait que des
dons des bienfaiteurs, et distribuait le soir ce qui lui restait en poche ; et
il faisait vivre ainsi plusieurs communautés, une véritable ville à l'intérieur
de Turin.
L'argent est une conséquence du
péché... et Jésus le qualifie de "malhonnête", parce qu'à l'origine de toute
richesse il y a, disons, quelque "tour de passe-passe", voire quelque petite
maliginité. Jésus n'approuve pas la conduite de notre gérant ; il dit que son
maître l'a trouvé habile. Ce que Jésus nous demande en revanche, c'est
d'utiliser nos "richesses" pour entretenir l'amitié : être charitable, faire
célébrer des messes pour les défunts, avoir un jugement miséricordieux envers
les autres... On ne s'aperçoit pas toujours de ces richesses : celui qui
pardonne est vraiment riche.
Quand nous "viendrons à manquer"
(c'est le terme de Jésus, c'est-à-dire quand nous serons morts), nos "amis" nous
accueillerons volontiers "dans les demeures éternelles" : l'enjeu est de
taille, et l'on ne peut que s'empresser de servir Dieu, avant tout et plus que
tout.
Abbé Charles Marie de Roussy
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