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C’est l’humble obéissance à Jésus qui vaut à cet homme la
guérison totale
Une lecture et
l’évangile de ce jour nous mettent en présence de lépreux.
La lèpre, dans l’histoire d’Israël, revêt une importance
singulière, au point que le Lévitique y consacre deux
chapitres entiers, l’un pour la maladie elle-même - y
compris la “lèpre” qui s’attaque aux vêtements, aux objets
en tissus ou en cuir, et aux murs d’une maison -, l’autre
pour la purification (Lv 13 et 14).
Quand la
maladie est officiellement déclarée - et dans la Loi de
Moïse, c’est au prêtre de le faire - la personne ou la chose
en question est “impure”, c’est-à-dire qu’elle doit être
exclue de tout contact, voire de la communauté. Le texte du
Lévitique considère par “lèpre” diverses affections cutanées
qui ne sont pas ce que nous appelons aujourd’hui la lèpre,
mais qui requièrent de la part des personnes touchées des
sacrifices particuliers grâce auxquels elles redeviendront
“pures” et pourront être réadmises dans la communauté.
Elles ne seront
pas pour autant guéries de leur lèpre, mais le mal que
représente cette affection, sera expié.1
La lèpre est
vraiment une affection très pénible ; l’altération de
l’épiderme des personnes ou des murs d’une maison, fut
considéré comme une altération de la beauté des créatures de
Dieu, comme quelque chose qui mine de l’intérieur l’être ou
l’objet et lui enlève sa belle apparence. Une sorte de
corruption intérieure. Pendant des siècles, une
interprétation radicale du livre du Lévitique prescrivait
l’éloignement total et définitif des lépreux hors des
habitations ; les malades devaient agiter une clochette pour
avertir la population de s’éloigner. Une véritable
malédiction pesait sur ces malheureux.
Un jour,
François d’Assise passait près d’un lépreux et en eut
instinctivement quelque répulsion ; se reprenant, il alla à
sa rencontre et l’embrassa fraternellement. Au XIXe
siècle, le belge
Damien De Veuster voulut aller sur la petite île Molokaï
(Hawaï), où le gouvernement reléguait les lépreux en les
abandonnant à leur sort fatal ; ce missionnaire y fit grand
bien, et y finit ses jours, gagné à son tour par la
contagion.2
Le personnage
de notre première lecture, le général Naaman, syrien (donc
“étranger”), ne devait pas souffrir d’un cas “contagieux” de
lèpre, puisqu’il conservait sa place de militaire à la tête
des armées et aussi qu’on ne l’a pas rejeté à son entrée en
Israël. L’histoire de cet homme est très belle et vaut la
peine d’être lue intégralement ; après avoir d’abord refusé
le conseil du prophète, il va quand même se baigner sept
fois dans le Jourdain, et recouvre la peau d’un petit
enfant ; guéri, il perd ainsi son “impureté”. Il reçoit
ainsi la récompense de son humilité à suivre les conseils du
prophète Elisée.
Les dix lépreux
de l’évangile sont dans une situation différente : neuf sont
juifs, un est samaritain (donc aussi “étranger”) ; mais ils
sont tout autant exclus de la vie communautaire : ils se
tiennent à distance et supplient Jésus. Appliquant la
loi du Lévitique, il leur prescrit d’aller se montrer au
prêtre. On le sait, Jésus n’est pas venu abolir la loi,
mais la porter à son accomplissement (Mt 5:17). Ici, cet
accom-plissement se fera quand l’homme guéri viendra
alors vers Jésus la face contre terre en lui rendant
grâce. Encore une fois, c’est l’humble obéissance à
Jésus qui vaut à cet homme la guérison totale.
Saint Luc avait
relaté précédemment (9:51) que les Samaritains n’avaient pas
voulu recevoir Jésus ; aujourd’hui, Jésus guérit justement
un Samaritain, rendant ainsi le bien pour le mal. On le
sait, Luc aime montrer la clémence de Jésus, la miséricorde
divine, comme il l’a fait avec la parabole du Fils prodigue.
L’évangéliste
ne dit pas que les neuf autres n’aient pas conservé la grâce
de la guérison au moins physique ; rien ne donne à douter
qu’ils aient entendu parler de l’attitude du Samaritain et
qu’ils se soient à leur tour rendus auprès de Jésus.
Pourquoi pas ? Mais l’attitude de Jésus nous montre que la
maladie de la lèpre, souvent, cache une autre maladie,
intérieure, une maladie que seul le Fils de Dieu peut guérir
: Ta foi t’a sauvé, lui dit simplement Jésus.
Le général
Naaman aussi exprima les sentiments d’un converti : Je ne
veux plus, dit-il, offrir ni holocauste ni sacrifice
à d’autres dieux qu’au Seigneur Dieu d’Israël. Sa foi
est déjà tellement ancrée dans son cœur, qu’il veut prélever
une bonne quantité de terre de cet endroit pour l’emporter
dans son pays et établir sur cette terre l’autel de ses
nouveaux sacrifices. Il se dit serviteur du prophète.
Il faut aussi
admirer l’attitude du prophète Elisée, qui refuse les
présents apportés par Naaman. Il les refuse, pour que Naaman
comprenne bien que c’est la grâce de Dieu qui a opéré dans
son cœur, et non la puissance du prophète. Ici, Elisée nous
rappelle qu’il n’est à son tour que le serviteur de Dieu, le
serviteur inutile dont on parlait dimanche dernier.
En revanche, Dieu punira très sévèrement la cupidité du
serviteur personnel d’Elisée, Géhazi, qui moyennant deux
gros mensonges, essaie d’accaparer pour lui un peu des
présents offerts par Naaman : c’est lui qui est alors
couvert de lèpre (2R 5:20-27).
L’attitude de
Naaman, qui emporte de la terre d’Israël pour y bâtir chez
lui le nouvel autel, inspirera plus tard sainte Hélène,
quand elle eut retrouvé la Croix du Seigneur près de
Jérusalem : elle emporta de la terre de Jérusalem pour y
construire à Rome la basilique qui depuis s’appelle “Sainte
Croix à Jérusalem”, là où se trouve un important morceau de
la Croix du Christ, ainsi qu’un long morceau de celle du Bon
Larron (s. Dismas).
La conversion
de Naaman, syrien, et celle du samaritain reconnaissant de
l’évangile, sont à l’origine du choix du psaume 97 : Le
Seigneur a révélé sa justice aux nations… La terre tout
entière a vu la victoire de notre Dieu. C’est un
chant nouveau, parce que Dieu veut étendre le salut aux
hommes de toutes les nations : la nation choisie d’Israël
devait préparer la venue du Messie ; désormais l’Evangile
doit être annoncé partout. Acclamez le Seigneur, terre
entière !
La deuxième
lecture n’a pas de rapport direct avec tout ce qui précède ;
ces temps-ci, l’Eglise nous fait lire les “petites épîtres”
de saint Paul, à Philémon d’abord, à Timothée ensuite. Ce
dernier, ainsi que Tite, étaient parmi les meilleurs
disciples de Paul, qui les exhorte paternellement à une
fidélité constante, même dans les souffrances. Paul est en
ce moment enchaîné à Rome et recevra bientôt la couronne du
martyre – il le sait, cf 2Tm 4:6 ; Timothée, lui, le jeune
évêque à Ephèse, ne mourra pas martyr3,
mais aura sa part de souffrances, d’épreuves diverses, de
déceptions aussi, dans l’annonce de l’Evangile de
Jésus-Christ. Saint Paul l’encourage: on n’enchaînera pas
la parole de Dieu !
C’est cette
parole d’encouragement qui donne aujourd’hui de la force à
nos frères du Moyen-Orient et de l’Orient, où la religion
chrétienne est tellement frappée par la persécution ouverte
et déchaînée, justement dans ces pays qui ont été le berceau
de la foi judaïque et chrétienne.
De même que
la parole de Dieu n’est pas enchaînée, de même Dieu est
toujours près de nous par la grâce qui nous devance et
nous accompagne. Même si cette grâce ne fait jamais
défaut, notre désir de la recevoir nous la fait demander
encore plus instamment aujourd’hui pour faire le bien
sans relâche. Car certainement, nous avons besoin de
cette grâce divine pour résister aux embûches. Saint Paul
nous rassure : Dieu ne permettra pas que vous soyez
tentés au delà de vos forces (1Co 10:13) ; et saint
Pierre : Le Seigneur sait délivrer de l'épreuve les
hommes pieux (2Pt 2:9).
Abbé Charles
Marie de Roussy
1 C’est le norvégien Hansen
qui trouva le bacille de la lèpre en 1874. Cette maladie
très pénible présente des cas plus ou moins graves, pas
toujours contagieux et pas non plus toujours incurables.
2 Il semble qu’il ait été
contaminé après qu’un petit lépreux ait joué avec sa pipe,
car le père Damien fumait la pipe, un peu par habitude, mais
aussi pour éloigner les insectes par la fumée. Damien-Jozef
De Veuster a été béatifié en 1995, canonisé en 2009 et sa
fête est le 15 avril ; s. François d’Assise est fêté le 4
octobre.
3 Ce n’est pas absolument
avéré. Actuellement, s.
Timothée est fêté avec la couleur blanche des
Confesseurs, en même temps que s. Tite, le 25 janvier. |