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“Fais-nous aimer ce que tu commandes”
Le Christ met une petite
pointe d'humour dans la parabole d'aujourd'hui : le procédé est utile
pour faire passer plus aisément la leçon. Nous connaissons tous la
parabole du pharisien et du publicain, et tous, nous condamnons
l'attitude du pharisien et préférons celle du publicain ; mais
demandons-nous surtout : suis-je un pharisien ou suis-je un publicain ?
Pourquoi le pharisien
n'a-t-il pas trouvé grâce devant Dieu ?
Sa première erreur est une
des erreurs les plus répandues parmi les hommes : il se compare aux
autres. Il est tout à fait vain de se comparer aux autres, parce que
nous sommes tous pécheurs devant Dieu : nous avons tous des qualités et
des défauts, aussi différents de sujet à sujet. Celui auquel nous devons
chercher à ressembler, l'Unique, est le Christ. Lui seul est parfait,
lui seul est notre modèle. Cette doctrine est fondamentale et l'Eglise
n'a jamais cessé de nous le rappeler.
Les Saints et les Saintes
ont pratiqué les vertus à un degré héroïque, ils ont eu des attitudes
étonnantes, voire mystérieuses, ou même contradictoires, liées au
contexte historique de leur mission. Qui voudrait imiter le caractère
fougueux d'un saint François d'Assise pourrait bien se trouver en
difficulté à vouloir ensuite imiter la douceur infinie d'un saint
François de Sales ; ou bien qui voudrait — à l'instar de certains grands
Mystiques — ne se nourrir que de l'Eucharistie, aurait bientôt quelques
problèmes avec son entourage (et son médecin !).
Mais si les Saints et les
Saintes sont des “modèles”, c'est parce qu'ils nous montrent
comment ils ont cherché à suivre le Christ totalement, sans prendre en
considération le qu'en dira-t-on, sans se mesurer aux autres. Et surtout
ils ne s'attribuent aucun mérite dans leurs bonnes actions.
C'est la deuxième erreur du
pharisien : toutes les bonnes choses qu'il accomplit pour satisfaire la
Loi, lui suffisent pour s'autodéclarer “juste”. Dans ses paroles,
aucun amour réel de Dieu, mais une immense complaisance en lui-même ; il
prend Dieu pour un miroir et se félicite lui-même de ce qu'il voit.
On pourrait, à première
vue, reprocher un peu à saint Paul d'avoir des propos similaires :
“Je me suis bien battu, j'ai tenu jusqu'au bout, je suis resté fidèle.
Je n'ai plus qu'à recevoir la récompense”. Mais lisons bien le
contexte : “Le Seigneur m'a assisté, il m'a rempli de force”, et
surtout, rappelons-nous l'hymne à la Charité : “Quand j'aurais le don
de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères et toute la
science, quand j'aurais la plénitude de la foi, une foi à transporter
les montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien” (1Co
13:2).
Les Saints ne s'appuient
que sur Dieu. Quand ils se mettent en Sa présence, leur première
attitude est de s'humilier, de demander pardon pour leurs faiblesses,
comme nous en donne l'exemple notre publicain. C'est pourquoi aussi, au
tout début de la liturgie de la Messe, avant toute prière, avant toute
lecture, nous commençons par demander pardon à Dieu. Cette action est
pleinement liturgique, parce qu'elle favorise l'ouverture de notre cœur
pour écouter et entendre la Parole divine.
Profitons encore de cette
petite méditation pour recueillir une autre leçon que nous donne notre
Modèle divin. Le pharisien a la dent dure contre “les autres hommes :
voleurs, injustes, adultères” : c'est sa troisième erreur. Oui,
laissons à Dieu le jugement des autres ; tout en discernant le bien du
mal, ne condamnons jamais et bannissons rudement de notre cœur (et de
notre bouche) toute médisance. Cette attitude nous apportera un sens
profond de la Justice et de la Paix, à l'image de Christ qui dit à la
pécheresse : “Je ne te condamne pas, va et désormais ne pèche plus”
(Jn 8:11).
Encore une question : si
“le Seigneur entend ceux qui l'appellent” comme dit le psaume 33
aujourd'hui, ainsi que la brève lecture de Ben Sirac, pourquoi voit-on
tant de malheureux ? C'est saint Pierre qui nous répond : Dieu “use
de patience envers vous, voulant que personne ne périsse, mais que tous
arrivent au repentir” (2Pt 3:9). Là encore, au lieu de regarder le
mal ailleurs, cherchons à corriger nos propres défauts à l'intérieur de
nous-mêmes ; jusqu'au dernier souffle, nous aurons toujours des
imperfections à nous reprocher.
Cette façon de considérer
notre vie nous conduira tout droit à cette joie du psaume 104 du chant
d'entrée : “Soyez dans la joie, vous qui cherchez Dieu. Cherchez le
Seigneur et sa force, sans vous lasser, recherchez son visage”.
C'est cette recherche qui nous fortifiera et nous consolidera sur le
chemin vers la sainteté.
Oui, Seigneur,
“fais-nous aimer ce que tu commandes” (prière du jour).
Abbé Charles Marie de
Roussy
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