|
C’est avant qu’il fallait y penser...
Dans la Septante (le texte grec de la Bible) le livre de la
Sagesse porte le titre de “Sagesse de Salomon”, puisque son
auteur se présente comme tel au chapitre 9 : “C’est toi qui
m’as choisi… Tu m’as ordonné de bâtir un Temple” (Sg 9:7-8).
Les commentateurs, ne connaissant pas de texte hébreu
antécédent, ont pensé que ce livre de la Sagesse ne pouvait
remonter à Salomon lui-même et qu’il n’avait été écrit qu’un
siècle avant Jésus-Christ. Cela n’a pas une grande
importance : le texte est retenu “inspiré” par l’Eglise, et
contient donc la Parole de Dieu.
Si une bonne partie de ce livre sacré est un éloge de la
Sagesse et une invitation à la rechercher, l’auteur
personnifie cette Sagesse comme une réelle Entité divine,
avec des termes jusqu’alors inusités dans la Bible, et
exprimant clairement des attributs divins : toute-puissance,
sainteté, immutabilité (Sg 7:22sq).
Maint passage peut directement s’appliquer à la personne
divine de Jésus-Christ, comme c’est le cas dans l’extrait
d’aujourd’hui. La Sagesse en effet n’est pas seulement une
heureuse qualité morale, elle est aussi un des sept Dons de
l’Esprit Saint ;
avec une majuscule, elle désigne la Personne-même du Fils de
Dieu, incarné dans le sein de Marie, celle qui justement est
appelée Siège
de la Sagesse .
Dans le sillage de cette lecture, le psaume 62 est un appel
à rencontrer Dieu, comme l’être qui a soif de l’eau fraîche,
l’âme qui a soif de la Vie. L’âme qui veut être fidèle à
Dieu, même dans la nuit (du
péché), recourt à la Sagesse de Dieu. Rester des
heures à parler avec
Dieu n’est pas le propre et le privilège des moines ; dans
notre vie quotidienne, hors des moments particuliers où nous
nous recueillons en prière, nous devons nous appliquer à
accomplir toutes nos occupations comme une prière qui plaise
à Dieu, le plus parfaitement possible : une prière
d’adoration et d’action de grâce.
Il est d’autant plus impératif de tendre toujours vers cette
union avec Dieu, que nous ne savons jamais quand Dieu
viendra effectivement à notre rencontre, pour le rendez-vous
final qui marquera la fin de notre existence terrestre. De
ce rendez-vous final il est question dans la deuxième
lecture et dans l’évangile.
Aux Thessaloniciens l’Apôtre Paul adresse un profond appel à
garder l’espérance, même au-delà de la mort : car les
morts ressusciteront… nous serons emportés à la rencontre du
Seigneur.
Cette lecture sera peut-être lue dans une forme brève. La
forme longue contient quelques expressions qui peuvent nous
étonner : lorsque Paul parle de Nous,
les vivants, il
ne veut pas prétendre qu’il sera certainement encore vivant
lors de cette résurrection : pas plus que les autres il ne
sait quand elle aura lieu, mais il l’attend avec toute
l’Eglise et se range, le cas échéant, parmi les vivants,
ceux qui attendent l’heure prochaine du Christ, qui s’y
préparent de tout leur cœur.
Puis on se demandera pourquoi Paul établit une sorte de
protocole dans cette résurrection : les premiers ressuscités
seront d’abord les
morts. Saint Paul semble penser que, à ce moment-là, seuls
les morts ressusciteront, et que les vivants passeront
directement de cette vie à la Vie éternelle sans mourir
physiquement, ce qui pourra nous étonner. En réalité, Paul
n’est peut-être pas (ou pas encore) éclairé sur ce mystère.
Sa lettre aux Thessaloniciens, rappelons-le, est la première
qu’il écrit de son apostolat. Avant qu’il ne soit à son tour
présenté à la mort par le martyre à Rome, il passera encore
une quinzaine d’années, durant lesquelles d’autres lumières
divines se manifesteront. Ainsi, entre ces deux dates, il
écrit (vers 56) aux Philippiens : “Je cours vers le but, en
vue du prix que Dieu nous appelle à recevoir là-haut, dans
le Christ Jésus. Nous tous… c’est ainsi que nous devons
penser ; et si, sur quelque point, vous pensez autrement, là
encore Dieu vous éclairera. En attendant, quel que soit le
point déjà atteint, marchons toujours dans la même ligne”
(Ph 3:14-16).
Nous devons toujours nous attendre à rencontrer
prochainement le Seigneur ; dans l’idéal, il faudrait faire
chaque chose comme si c’était la dernière avant de mourir,
donc le plus parfaitement possible. Cela semblera parfois
exigeant et trop difficile, mais n’est-ce pas là
l’enseignement de la parabole des Vierges Sages et des
Vierges Folles ?
Quelle est cette huile dont font provision les Vierges Sages
? C’est l’huile de l’amour, de la ferveur, qui maintient
notre lampe intérieure allumée, tous les mérites de nos
bonnes actions et de nos efforts pour plaire à Dieu, pour
aimer le prochain. Au moment de la résurrection, cette
provision est désormais comme “figée” : soit nous avons
amassé, soit nous avons dispersé, “les jeux sont faits”,
comme on dit aux échecs.
Le refus des Sages de donner de l’huile aux Folles n’est pas
ici de l’égoïsme, mais une simple impossibilité. C’est avant
qu’il fallait y penser, avant l’heure des noces, du repas
éternel.
Cela dit, il nous reste à notre tour à nous hâter vers cette
ultime Rencontre. Dans cet esprit relisons la Prière du jour
: nous y demandons à Dieu d’ (éloigner)
tout ce qui nous arrête sur
notre route. Engageons-nous à parcourir ce qui reste de
notre vie (combien de temps ? vingt ans ? vingt jours ? une
heure ?…) sans
aucune entrave ni d’esprit ni de corps pour
ne rechercher qu’à accomplir
la volonté de Dieu. Et
qu’attend de nous le Bon Dieu ? Non pas des choses
impossibles, ni des miracles, ni des actions d’éclat, mais
un amour total, la constance et la persévérance jusqu’à la
sainteté.
Amen.
Abbé Charles Marie de Roussy
|