Telle fut
l'édification que reçut l'Eglise dans le quatrième et le cinquième
siècle , de plusieurs grandes lumières de l'ordre monastique qui
brillèrent dans les déserts de l'Egypte, que Théodoret et Procope
ont entendu de ces saints solitaires, les prophéties concernant la
loi nouvelle, où il est dit que la solitude sera dans
l'allégresse , qu'elle fleurira comme le lis , qu'elle sera dans la
joie et les louanges. « Là, dit un ancien auteur qui avait
conversé avec plusieurs de ces grands hommes ; là j'ai vu des Pères
qui menaient une vie angélique, et qui marchaient sur les traces de
Jésus-Christ. Pour moi, dit saint Sulpice-Sévère, tant que je
respirerai, jamais je ne cesserai de célébrer les moines, de louer
les anachorètes, d'admirer les ermites que l'Egypte a produits. »
Un des plus
illustres de ces solitaires fut l'abbé Théodore, disciple de saint
Pacôme, et que les Grecs ont surnommé le Sanctifié, à cause
de l'extraordinaire pureté de mœurs qu'il montra dès son enfance. Il
naquit dans la Haute-Thébaïde, vers l'an 314, de parents distingués
par leur naissance et par leurs richesses ; il sentit de bonne heure
les dangers du monde. A l'âge d'onze a douze ans , le jour de la
fête de l'Epiphanie , il fut pénétré plus vivement que jamais des
grandes vérités de l'Evangile ; il résolut de se consacrer sans
réserve au service de Dieu, et lui demanda la grâce d'être toujours
fidèle à sa vocation. Pour ne pas se tromper dans un point de cette
importance, il commença dès ce moment à rapporter uniquement à Dieu
tous les mouvements de son cœur et toutes ses actions ; il donnait
un temps considérable à la prière, et pratiquait des jeûnes
rigoureux. Il passa deux ans de la sorte dans la maison de sa mère,
qui était aussi fort pieuse. Il continua d'aller tous les jours chez
un maître de grammaire, qui demeurait dans le voisinage. Lorsqu'il
fut dans sa quatorzième année, il quitta le monde, du consentement
de sa mère, et alla finir son éducation dans un monastère du diocèse
de Latopolis. La réputation de saint Pacôme l'attira depuis à
Tabenne , dont tous les moines étaient autant de Saints, et son zèle
pour la perfection l'y distingua bientôt des autres. Sa mère vint au
monastère pour le voir ; mais il craignit tellement les tentations
qui pouvaient lui rappeler le monde, auquel il avait renoncé pour
suivre Jésus-Christ de tout son cœur, qu'il pria saint Pacôme de ne
pas permettre l'entrevue. La mère, édifiée de trouver dans son fils
un renoncement si parfait, prit le voile dans une communauté de
filles, qui était auprès de Tabenne, pour ne plus penser qu'à sa
sanctification : elle avait quelquefois la consolation de voir son
fils dans la compagnie des autres moines.
Théodore n'avait
encore que vingt-cinq ans, lorsque saint Pacôme le prit pour
compagnon dans la visite qu'il
faisait de ses monastères. Cinq ans après, il lui ordonna de se
préparer à recevoir la prêtrise. Il lui confia ensuite le
gouvernement du monastère de Tabenne, et alla se renfermer dans
celui de Pabau. Théodore s'y rendait tous les soirs pour entendre
les instructions que saint Pacôme faisait à ses moines, et venait
les répéter à ceux de Tabenne ; ce qui ne l'empêchait pas de les
instruire de son côté dans des conférences particulières.
Ayant un jour accompagné son bienheureux père à un monastère situé
près de Panopolis dans la Basse-Egypte, un philosophe de cette ville
demanda à conférer avec Pacôme. Le saint abbé crut devoir lui
envoyer Théodore. Le philosophe proposa diverses questions ;
Théodore liai répondit avec autant d'esprit que de justesse, puis il
l'exhorta a renoncer à des spéculations aussi vaines que stériles,
pour ne plus s'occuper que de la science du salut. Il souffrait
quelquefois beaucoup d'un violent mal de dents. Saint Pacôme le
consolait, en lui disant que les afflictions involontaires,
supportées avec patience, étaient plus utiles pour le salut que des
abstinences volontaires et de longues prières.
Saint Pacôme
tomba malade à Pabau deux ans avant sa mort. Les moines de Tabenne
firent promettre h Théodore qu'il se chargerait du
gouvernement de toute la congrégation, quand le saint abbé ne
vivrait plus. Quoiqu'il n'eût fait cette promesse que malgré lui, et
après une longue résistance, saint Pacôme l'en reprit sévèrement, et
lui ôta la supériorité de Tabenne. Il se soumit avec joie,
reconnaissant qu'il s'était rendu coupable de présomption et de
vanité. Il fut deux ans le dernier de la communauté, et même après
les novices. Il souffrit cette humiliation en silence, et pratiqua
de grandes austérités. Sa vertu brilla d'un nouvel éclat, et
l'abaissement où il était lui fut plus utile que la supériorité,
comme S. Pacôme le disait souvent aux autres moines.
Saint Pacôme mourut en 348, et on lui donna pour successeur celui
qu'il avait désigné lui-même : c'était Pétrone que la mort enleva
aussi un mois après. Saint Orsisius fut élu pour le remplacer ; mais
trouvant le fardeau au-dessus de ses forces, et sachant qu'il y
avait quelques troubles dans la congrégation, il fit élire Théodore
en sa place, en l'assurant qu'il suivait en cela l'ordre que saint
Pacôrne avait donné avant de mourir. Théodore assembla les moines,
les exhorta à la paix et fit cesser toutes les causes de division.
Ses prières, ses discours et ses exemples rétablirent partout
l'union et la charité. Orsisius lui servit d'assistant. Il y avait
entre eux la plus parfaite intelligence, parce qu'ils avaient banni
tout sentiment d'orgueil et de jalousie. Ils cherchaient à se
surpasser l'un et l'autre en prévenance et en humilité. Théodore ne
faisait jamais rien sans consulter Orsisius, et ils visitaient les
monastères l'un après l'autre.
Théodore
instruisait chacun de ses moines en particulier, il les consolait
dans leurs peines, il les encourageait à marcher dans les voies de
la pénitence. Il reprenait les fautes avec une douceur qui lui
gagnait tous les cœurs, et il n'y avait personne qui ne lui
découvrît avec une entière confiance ses plus secrètes pensées. Il
avait recours à la prière et au jeûne pour faire rentrer dans le
devoir ceux qui s'en étaient écartés, et ce moyen lui réussissait
toujours. Il fut favorisé du don des miracles et de celui de
prophétie.
Etant un jour sur
le Nil avec saint Athanase, il lui dit que Julien-l'Apostat mourait
dans le moment, et que son successeur rendrait la paix à l'Eglise ;
ce qui fut bientôt vérifié par l'événement. Le Saint prédit aussi
aux moines de Nitrie, en 353, que l'orgueil des ariens ne tarderait
pas à être confondu. Cette prédiction est contenue dans
une lettre que nous avons encore. Nous avons une seconde lettre du
saint abbé, laquelle est une exhortation à célébrer dévotement la
Pâque. Gennade parle de trois autres lettres que Théodore écrivit
pour l'instruction de ses moines ; mais elles ne sont point
parvenues jusqu'à nous.
On lit le trait suivant dans saint Nil, et dans d'autres anciens
auteurs. Un jour que Théodore faisait une instruction à ses moines,
pendant le temps du travail, deux vipères s'attachèrent à ses pieds.
Il ne fit aucun mouvement, de peur de distraire son auditoire qui
l'écoutait attentivement. Le discours fini, il permit de tuer les
vipères qui ne l'avaient point piqué.
Un Dimanche de
l'année 367, on l'avertit qu'un de ses moines était près de mourir ;
il quitta l'office divin pour aller l'assister dans ses derniers
moments. Il dit à ceux qui étaient présents que la mort de ce moine
serait bientôt suivie d'une autre, à laquelle on s'attendait peu.
Les moines veillèrent pendant la nuit auprès du corps de leur frère,
et on l'enterra le jour de Pâque, en chantant des psaumes. Après
l'octave de la fête, Théodore fit un discours fort touchant à ses
moines qui se trouvaient rassemblés à l'occasion de la Pâque, et les
renvoya dans leurs monastères. Peu de temps après, il tomba malade
; puis ayant recommandé la communauté à Orsisius, il se
prépara par un redoublement de ferveur au passage du temps à
l'éternité. Il mourut le 27 Avril 367, dans la cinquante troisième
année de son âge. Son corps fut porté sur le haut de la montagne, et
enterré dans le cimetière des moines, au chant des psaumes ; mais
peu de temps après , on le mit avec celui de saint Pacôme. Saint
Athanase écrivit aux moines de Tabenne , pour les consoler de la
perte qu'ils venaient de faire , et pour leur remettre devant les
yeux la gloire dont jouissait leur bienheureux père. Les Grecs
honorent saint Théodore le 1 6 de Mai, et les Latins le 28 de
Décembre.
Alban Butler :
Vies des pères, des martyrs, et des autres principaux saints… traduction
de
Jean François Godescard. |