LA MORT DU Bx THOMAS HOLLAND, DE LA COMPAGNIE DE
JÉSUS,
QUI FUT MARTYRISÉ A LONDRES, LE 12 DÉCEMBRE 1642.
Ce
Bienheureux naquit dans la province de Lancastre, en une ville nommée Suton, de
parents qui ont de tout temps été illustres par leur piété et par leur constance
dans la foi catholique. Il fut envoyé des sa tendre
jeunesse à S. Orner, au
collège des Anglais, pour y faire ses humanités, où il se fit bientôt admirer
pour la douceur de son naturel, pour sa piété et pour son éloquence. De
Saint-Omer il passa à Valladolid pour y étudier en philosophie : mais il n'avait
pas encore achevé son cours qu'il fut contraint de retourner en Flandres, parce
que l'air d'Espagne était tout à fait contraire à sa santé. Quelque temps après,
il entra dans la Compagnie de Jésus, où après avoir donné quelques années à
l'étude de la théologie, il reçut les ordres sacrez, et demeura quelque temps à
Gand, où ses supérieurs ayant reconnu sa capacité, l'établirent préfet des
écoliers et leur confesseur à Saint-Omer où il réussit parfaitement bien dans
ces deux charges, par sa douceur et bonté naturelle et par son assiduité et les
exhortations continuelles qu'il faisait en particulier et en public, à la
jeunesse qu'il avait en charge.
Mais Dieu
ne voulant pas tenir toujours enfermée dans les bornes d'un collège, une vertu
digne d'un plus illustre emploi, le tira de l'éducation puérile à la vie
apostolique. Il passa donc au lieu de sa naissance, où il a travaillé l'espace
de huit ans à la vigne de Jésus-Christ, avec un zèle et une prudence admirable,
par l'un il gagnait les âmes a Dieu et par l'autre il con servait sa personne,
qui était si chère et si précieuse à son prochain. Il a été contraint de garder
la chambre des mois entiers, où il n'osait pas seulement ouvrir la fenêtre
crainte d'être aperçu des voisins, et de nuit il courait où il était appelé des
catholiques pour leur administrer les sacrements; et comme ceux qui donnent le
couvert à un prêtre en Angleterre, sont tenus dignes de mort par leurs iniques
lois, notre martyr avait cette charité pour ceux qui le retiraient qu'il
employait la vivacité de son esprit à chercher les moyens de n'être jamais
découvert ; car outre qu'il parlait diverses langues, il savait' aussi déguiser
adroitement sa prononciation, tantôt vous l'eussiez pris pour un cavalier,
tantôt pour un marchand et tantôt pour le domestique de quelque seigneur, qui en
particulier se prosternait à 'ses pieds. Il changeait aussi de perruque comme de
condition, et sa charité était si adroite à jouer tous ces différents
personnages, qu'il trompait bien souvent ses plus familiers amis. Voila ce qu'il
pratiquait pour servir plus sûrement et plus fréquemment les catholiques et
ramener plus facilement les errants dans le giron de l'Église, c'était
d'ordinaire avec sa mine et ses habits de cavalier qu'il parlait de conversion
aux hérétiques : car il semble que les paroles et la vie exemplaire d'un homme
de condition aient plus de pouvoir sur les esprits, que non pas une personne
médiocre qui n'a pas les occasions de s'abandonner au libertinage et à la
corruption, pour ne pas vivre dans ce grand monde qui (particulièrement en
Angleterre) font peu de cas d'aucune religion, et mettent toute leur félicité
dans les plaisirs mondains et dans l'ambition.
Les
méchants haïssent d'ordinaire la vertu, soit qu'elle mette au jour leur malice
ou soit que le diable ennemi de tout bien, se serve d'eux pour la persécuter.
D'abord ils s'efforcent par leur mauvais exemple et leurs persuasions d'attirer
les bons dans leur mauvais chemin de vie, s'ils rencontrent de l'opposition ils
s'aigrissent, et comme s'ils avaient été offensez par cette résistance, ils
déclarent guerre ouverte à leurs meilleurs amis et cherchent toutes les
occasions de détruire cette vertu qui les blesse continuellement sans en avoir
dessein.
Notre saint
avait pour compagnon d'étude en sa jeunesse un certain religieux que la débauche
a précipité malheureusement dans l'apostasie, j'ay fait mention de lui ailleurs
et plus souvent que je ne désirerais. En l'année 1642, le jour de saint
François, lorsque notre martyr allait un soir avertir un catholique malade, que
le lendemain il lui porterait la sainte communion, ce malheureux, comme un autre
Judas, le livra à une troupe de poursuivants qui le menèrent avec insolence dans
la prison ordinaire des criminels où après avoir passé deux mois dans les jeunes
et dans les prières, et les autres préparations nécessaires à une action si
délicate et si importante il fut cité devant les juges. Trois poursuivants
n'ayant osé affirmer qu'il était prêtre, notre apostat prit la parole et dit
qu'il prêterait serment qu'il l'était et pour preuves apporta que le P. Holland
avait vécu cinq ans dans les séminaires de Saint-Omer et de Valladolid, où,
disait-il, ceux qui y sont élevés font vœu de prendre dans trois mois les ordres
sacrez, et se transporter en Angleterre. Il ajouta que le Père avait prononcé
une harangue en latin en présence du roi de la Grande-Bretagne, lorsqu'il fut en
Espagne, n'étant encore que prince de Galles, qui lui aurait refusé la main à
baiser, qu'il avait contrefait le français lorsqu'il fut appréhendé, qu'il
s'était voulu sauver de la maison du sergent la première nuit que le même père
avait assisté à un de ses sermons, où il lui avait donné beaucoup
d'applaudissements et de louanges, qu'à cette occasion il avait traité de
quelques différences qu'il y a entre les jésuites et d'autres religieux et que
le P. Holland avait répondu qu'il espérait pour cela que la charité ne serait
pas moindre entre eux. Les poursuivants déposèrent aussi qu'ils avoient souvent
rencontre le Père en compagnie de Monsieur Smith, qui était prêtre et jésuite,
et enfin l'apostat déposa qu'il avait un jour été prié de célébrer la sainte
messe au lieu d'un certain Père qui était empêché, et que sans le nommer il se
douta bien que c'était le P. Holland. Les juges lui ayant commandé de répondre à
toutes ces dépositions, notre martyr avoua qu'il avait été à Saint-Omer et à
Valladolid, que de là il s'était transporté à Madrid, où il avait fait un
compliment au prince de Gales, pour lui témoigner la joie que les Anglais qui
étaient en Espagne avoient de le voir et pour l'assurer qu'il avait des sujets
affectionnez à son service en ce pays-là, mais qu'il était faux qu'il lui eut
refusé sa main à baiser.
Il avoua
aussi d'avoir fréquente M. Smith, d'avoir loué le sermon de l'apostat, et dit
que véritablement il avait parlé français, lorsqu'on se saisit de lui, mais
qu'il n'avait point dissimulé sa nation. Il nia aussi d'avoir voulu se sauver la
nuit et de savoir que dans ce collège pré-allegué, on s'obligeât par serment de
prendre les ordres sacrez après trois mois et partir pour Angleterre. Il dit
aussi n'avoir rien dit à l'apostat que des louanges et protesta n'avoir point
célébré la messe en sa place. Ores maintenant qui doit être plus croyable, ou
d'un homme qui a faussé la foi qu'il a donnée à Dieu sur les fonds de Baptême,
ou un homme qui sacrifie sa vie pour la maintenir. Je m'en rapporte aux
personnes qui ont le moins du monde de jugement. Notre martyr ajusta bien sa
défense, que ses accusateurs avoient souvent été en la compagnie de Monsieur
Smith, qu'ils avoient étudié comme plusieurs autres dans les collèges
d'outre-mer, qu'un chacun allait au sermon et en disait son sentiment, et
qu'enfin; selon les lois du pays, on ne le pou-voit pas condamner sans plus de
preuves. Le juge qui savait cela aussi bien que notre martyr, lui demanda s'il
voulait faire serment de n'être pas prêtre; à quoi il répondit, que ce n'était
pas là la manière par laquelle on se justifiât par serment, et que s'il n'était
pas convaincu de ce dont on l'accusait, sans agir contre les lois, ils ne
dévoient pas le poursuivre davantage : remarquez qu'il faut que les pauvres gens
soient eux-mêmes leurs avocats. Mais je ne les pleins pas, car ils ont le Saint
Esprit avec eux : puisqu'il est écrit que Dieu commande aux Martyrs de ne point
solliciter de ce qu'ils diront en présence de leurs persécuteurs. Le juge remit
le jugement a la discussion des douze jurez, lesquels âpres avoir consulte
quelque temps, prononcèrent d'une commune voix que notre martyr était coupable ;
de quoi s'étonna fort M. Garroway lieutenant criminel qui présidait pour lors,
disant qu'il y avait de l'iniquité dans ce jugement et qu'il ne voudrait pas
pour tout l'or du monde donner la sentence de mort. Il fallut surseoir l'arrêt
jusques à un autre jour, qui fut le dixième du même mois : auquel jour présida
Monsieur Faysant, qui se trouva du même sentiment que le premier et avoua que
véritablement on n'avait rien apporté de convaincant contre Monsieur Holland :
mais toutefois puisque les douze jurez l'avoient jugé digne de mort, il était
contraint d'acquiescer a jugement, et ainsi comme un autre Pilate, prononça
contre sa propre conscience la sentence de mort contre notre martyr dans les
termes ordinaires, qu'il reçut d'un visage riant et assuré et retourna dans la
prison où d'abord qu'il fut venu, il pria d'autres prêtres prisonniers de
chanter le Te Deum avec lui.
Durant
l'intervalle de sa condamnation et de sa mort qui fut de cinq jours, le concours
du monde qui fut le visiter monta jusque six cens; les uns y venaient par
curiosité pour voir la contenance et les discours que tient un homme qui doit
mourir pour sa religion ; les uns y venaient par piété, pour y recevoir de
l'édification et pour rendre leurs devoirs à notre martyr ; les autres par
douleur, pour se consoler de sa mort par les effets de sa constance; d'autres y
étaient portés par la dévotion, pour recevoir la sainte communion d'une main qui
devait bientôt porter une palme si glorieuse ; d'autres par vénération pour se
jeter à ses pieds et lui baiser les mains; d'autres par obéissance, pour
recevoir de notre saint la bénédiction et ses dernières exhortations et enfin
quelques-uns y étaient poussés par des motifs de charité, qui leur faisait
amener de leurs amis protestants, afin d'essayer si un exemple si merveilleux ne
pourrait point former quelque sentiment de conversion dans leurs esprits. Notre
saint les recevait tous d'un air et avec des paroles qui témoignaient de la joie
et une constance qui n'avait rien d'affété : il contentait sans empressement la
curiosité d'un chacun et répondait à divers estrangers à tous en leur langue
naturelle, il exhortait les protestants par de solides discours à se convertir :
il consolait ceux qui se montraient affligez de sa mort, et leur reprochait
agréablement qu'ils étaient marris de la gloire qui lui était préparée, s'il
souffrait pour Jésus-Christ; il relevait ceux qui se jetaient à ses pieds et les
reprenait quelque fois avec assez d'animosité, comme ceux qui lui donnaient le
nom de martyr et qui lui coupaient ses habits et leur remontrait qu'aucun
n'était martyr qu'après la mort et qu'encore devait-elle être accompagnée d'une
charité et d'une humilité parfaite.
Lorsqu'il
trouvait à propos de se retirer pour employer quelque temps à l'oraison, et
opposer à la vanité que l'ennemi tâche de faire glisser dans l'esprit des
martyrs par les honneurs que leur rendent ceux qui les visitent, des actes d'une
profonde humilité, il prenait civilement congé ;de la compagnie et les;
suppliait de prier Dieu qu'il lui donnât de la constance et des forces jusques à
la fin. Je n'oublierai pas de dire, que Monsieur le duc de Vendôme lui envoya
faire des baisemain de sa part et lui offrir de s'employer pour obtenir sa
grâce. Mais notre saint ayant répondu aux civilités de ce prince, lui fit dire
qu'il ne pouvait rien entreprendre qui lui fut plus préjudiciable et qu'il le
priait seulement dé faire prier Dieu pour lui. Le sieur de Lisolo, qui fait la
charge d'ambassadeur de Sa Majesté impériale à Londres, personnage de ares haute
vertu qui rend à ces pauvres persécutés tous les bons offices qu'une excellente
charité peut suggérer à une âme chrétienne, prit aussi la peine de visiter notre
martyr, comme il a l'habitude de faire tous les autres, et eut la curiosité
d'avoir son portrait pour le joindre à ceux des autres martyrs qui l'ont
précédé. L’humilité de notre martyr ne lui put accorder cette faveur, mais enfin
il le permit, après que ses supérieurs lui en eussent fait commandement.
Le dimanche
qui était la veille de son glorieux trépas les révérends pères capucins du
couvent que la reine avait à Londres, lui apportèrent des ornements d'autel et
assistèrent à la messe où il administra le saint sacrement a plusieurs de qui
même il avait ouïe les confessions auparavant. Le même jour il fit une
confession générale aux pieds d'un père de la mesure société et passa la nuit en
continuelles prières.
Enfin le
jour si fort attendu de notre martyr étant arrivé, il célébra l'auguste
sacrifice de la messe dès 4 heures du matin où il administra la sainte communion
à plusieurs catholiques et passa le reste du temps aux préparations nécessaires
à un combat si rude et si glorieux. Ce fut sur les onze heures que le signal de
la bataille se donna, où notre généreux athlète monta sur le char pour entrer en
lice tout seul contre tant d'ennemis, la chair, le monde, le diable et tous ses
persécuteurs. Un père de la Compagnie de Jésus, s'étant approché et l'ayant prié
d'avoir bon courage, il lui répondit, qu'avec l'assistance de Dieu il n'en
manquerait point.
Étant
arrivé sur le champ de bataille, il monta sur une charrette pour s'approcher de
la potence, et là comme s'il eut été dans une chaire célèbre et magnifique, il
jeta les yeux tout à l'entour de lui : et voyant qu'un chacun le regardait
attentivement il leur tint à peu près ce discours avec un zèle et une éloquence
admirable :
« Il me
semble, chère compagnie, que par ce profond silence vous me donniez liberté ou
plutôt que vous me commandiez de parler. Sachez donc en premier lieu, que mon
dessein n'est point d'offenser personne, et que s'il m'échappe quelques paroles
qui ne vous soient pas agréables, c'est la charité que je vous porte qui me les
fera prononcer. Mais je m'oublie, ce semble, de ce que je sais. Je devais avant
toutes choses, m'être muni du signe par lequel tous nos ennemis sont terrassez.
Le père fit alors le signe de la Croix et prononçant tout haut : In nomine
Patris et Filii, etc. Je crois, dit-il, que personne ne trouvera mauvais mon
procédé, puis que ce signe est le véritable signe d'un chrétien, et puis il
reprit ainsi son discours. Me voici prêt à mourir doublement innocent;
premièrement parce que d’être prêtre ce n'est pas un crime et secondement, parce
que je n'ay point été convaincu de l'être. Toutefois, pour ne me point priver de
la plus grande gloire que j'aye jamais reçue, et pour lever le remords de
conscience à mes persécuteurs, je confesse que je suis, selon les déplorables
maximes de ce royaume, doublement criminel, c'est-à-dire que je suis prêtre et
religieux indigne de la sainte Compagnie de Jésus, et de plus je meurs avec joie
pour la gloire de ces deux dignités et pour la défense de cette religion, hors
de laquelle il n'y a point de salut. Car de mêmes qu'il n'y a qu'un Dieu, aussi
n'y a-t-il qu'une Foy, qu'une Église, et qu'une Religion véritable ; si le temps
me permettait de vous prouver par raisons quelle est cette unique religion, je
crois que je toucherais les moins obstinez de cette assistance. Mais il ne faut
point de meilleur argument que mon sang que je vais répandre pour la défense de
cette vérité. Je pardonne aussi de très bon cœur a mes juges, aux jurez et aux
témoins et particulièrement à ce malheureux apostat que je ne puis nommer Sans
douleur. Je prie Dieu qu'il le veuille toucher et retirer du précipice ou ses
vices l'ont fait tomber misérablement; et quoi que je sois très aise que les
jurez aient usé de cette rigueur en mon endroit, je ne sauris toutes fois
m'empêcher que je ne le déplore dans ceux qui me suivront, qu'il faille que
quelconque refusera de prester serment qu'il n'est pas prêtre soit réputé pour
tel et par conséquent condamné a mourir. Mais afin que nette malheureuse maxime
ne puisse prendre racine (quoique les laïcs puissent licitement jurer qu'ils ne
sont pas prêtres), je suis d'avis qu'ils ne nient ni n'affirment qu'ils le
soient, et qu'ils laissent examiner leur cause par les preuves que l'on
apportera conformément aux lois établies et aux costumes de ce royaume.
Un ministre
qui assistait à la mort de quelques patients hérétiques, fit diverses questions
à notre martyr, et entre autres lui demanda par quel moyen il espérait être
sauvé, si c'était par le mérite du sang de Jésus-Christ ou non. Le martyr lui
répondit que pour certain nous avions été tous rachetez par le sang de
Jésus-Christ Mais, reprit le ministre, sommes nous sauvez par les mérites de
Jésus-Christ seulement, sans les bonnes œuvres ? Le martyr lui demanda si en
ayant vécu mal toute sa vie et mourant sans repentance on pouvait être sauvé. Le
ministre, selon la costume ordinaire des hérétiques, ne voulut pas approfondir
davantage la question, et changea de batterie, en demandant à notre martyr s'il
croyait que les enfants qui meurent sans baptême ne peuvent être sauvés. Il ne
lui fit point là-dessus d'autre réponse, sinon qu'il lui demanda qu'est-ce
qu'Adam avait perdu dans le Paradis terrestre, ou la foi ou la grâce ? Le
ministre eut la bouche fermée et les assistants quoi que la plus part hérétiques
ne purent s'empêcher de se moquer de lui. Notre martyr allait poursuivre sa
pointe et entreprendre le prédicant, s'il n'eut trouvé plus à propos de sortir
d'un combat si inégal, pour faire chanter quelque prière a ses patients, selon
leur costume. Cependant notre saint faisait une récollection si fervente, que
les sentiments de son âme marquaient sur son visage et dans ses yeux la joie et
l'impatience que il avait de se joindre à Dieu. Quand le ministre eut achevé, le
martyr se leva et lui dit : Monsieur, je ne vous ay point interrompu, lorsque
vous avez fait vos prières, permettez-moi maintenant de faire paisiblement les
miennes puis il se mit à genoux et ayant fait le signe de la croix, il forma
plusieurs actes de foi, d'espérance, de charité et de contrition, pria derechef
pour ses persécuteurs et regardant le bourreau d'un visage qui ne respirait que
de la joie et de l'amour : Je te pardonne, lui dit-il, dernier instrument de mon
bonheur, et je te donnerai ce peu d'argent pour ta récompense, et il lui donna
Demy pistole. En suite de cela il pria Dieu pour le roi, pour la reine, pour les
princes et princesses à ce que Dieu lui envoyât sa bénédiction et sa sainte
grâce. Il pria aussi qu'il pleut à Dieu de réconcilier le Parlement avec le roi
et enfin pour tout le royaume pour le salut du quel, dit-il, je n'offre pas
seulement cette vie que je vais perdre, mais si j'avais autant de vies comme il
y a de gouttes d'eau dans la mer, je les consacrerais volontiers pour ce sujet.
C'est pourquoi, Père de miséricordes, continuai-il, reçois ces indignes
tourments dans l'union de la très sacrée Passion de Notre Sauveur ; dans la
passion de tous les saints qui dans la loi de nature, dans la loi écrite et dans
la loi de grâce t'ont été agréables, qui le sont et qui le seront. Ayant
prononcé ces paroles avec une ferveur admirable, et qui semblait déjà avoir
porté son âme sur ses lèvres, il ferma les yeux, et puis les ayant ouverts a
demi, il les jeta sur un père de la Compagnie de Jésus dont il reçut une
dernière absolution : de façon que le martyr en put entendre ces dernières
paroles : In nomine Partis et Filai, etc. Dans le même instant la
charrette s'éloigna et le martyr perdit terre pour gagner bientôt après le ciel.
Comme il ne manque point de catholiques à la mort de nos martyrs, qui commettent
des larcins innocents de leurs pieuses reliques, il y en eut un qui se saisit de
son chapeau, et un autre d'un linge qui lui couvrait les yeux : de façon qu'il
nous fut aisé de lui voir rendre l'âme, les yeux et les mains élevées au ciel,
comme s'il la présentait au Père éternel, ou que son corps qui ne lui avait pas
été rebelle et qui avait eu tant de part aux souffrances l'eut voulu suivre dans
le ciel pour avoir part à sa gloire. Le ministre voulant tirer une indigne
vengeance de sa confusion, dans laquelle notre saint l'avait mis, par le peu de
controverse qu'ils avoient eue ensemble, reprit le bourreau de ce qu'il le
laissait pendre trop longtemps et que la sentence portait qu'on lui arrachât le
cœur du ventre à demi vivant. Le bourreau se ressouvenant comme le ministre
avait mal réussi dans la dispute qu'il avait eue avec notre martyr, lui répondit
brusquement qu'il apprit mieux son métier, que pour lui il savait bien le sien,
et quand il voudrait il en ferait l'expérience sur sa personne, et lui dit qu'il
se retirât, que le jour était assez long pour achever sa besogne et qu'il voyait
bien que cela provenait de rancune et de dépit. De manière que notre martyr
avait rendu l'âme devant qu'il fut ouvert.
Les
catholiques recueillirent à leur ordinaire de leurs mouchoirs son sang précieux
et achetèrent ses habits du bourreau, les hérétiques mêmes se trouvèrent édifiés
d'une si belle mort, et il y eut des protestants qui se disaient les uns aux
autres: quand verrons-nous quelqu'un de notre religion mourir avec tant de
constance et de gloire pour sa défense ?
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