Saint Willibrord
naquit vers l'an 658, dans le royaume de Northumberland. Il
n'avait point encore sept ans, lorsqu'on l'envoya dans le monastère
de Rippon, gouverné alors par saint Wilfrid, qui en était le
fondateur.
Son père se
nommait Wilgis, et vivait dans une grande piété. Il quitta le monde
pour embrasser l'état monastique, et se fit depuis ermite. Dans sa
vieillesse, il prit la conduite d'une petite communauté qu'il avait
fondée entre l'Océan et l'Humber. On l'honore parmi les Saints dans
le monastère d’Epternac, au diocèse de Trêves, et il est nommé dans
les calendriers anglais. Alcuin a donné sa vie.
Willibrord, en
s'accoutumant de bonne heure à porter le joug du Seigneur, le trouva
toujours depuis doux et léger. Pour mieux conserver les fruits de
l'éducation qu'il avait reçue, il prit l'habit à Rippon, étant
encore fort jeune. Les progrès qu'il fit dans la vertu et dans les
sciences furent également rapides. A l'âge de vingt ans, il obtint
la permission de passer en Irlande, dans l'espérance d'y trouver
encore plus de facilité pour se perfectionner dans les voies de la
piété. Il se joignit à saint Egbert, ou Ecgbright, et au B. Wigbert,
que le même dessein y avait attirés. Il passa douze ans avec eux.
Malgré la faiblesse de sa constitution, il surpassait ses compagnons
par sa ferveur et sa fidélité aux devoirs qu'il avait à remplir. On
ne se lassait point d'admirer son humilité, sa modestie, son
affabilité, la douceur et l'égalité de son caractère.
Saint Egbert
désirait depuis longtemps de prêcher l'Evangile aux idolâtres, à
ceux surtout qui habitaient la Frise ; mais on le fit renoncer à ce
projet, et on lui conseilla d'aller exercer son zèle apostolique
dans les îles situées entre l'Irlande et l'Ecosse. Il y établit la
vraie manière de célébrer la Pâque, et mourut dans celle d'Hii, peu
de temps avant que Bédé entreprit d'écrire son histoire. Il est
nommé dans les calendriers anglais, sous le 24 Avril. On trouve dans
Bédé le récit édifiant de ses austérités et des actions que son zèle
et sa charité lui inspirèrent. Pendant qu'Egbert travaillait à la
gloire de Dieu, dans les lies, Wigbert annonçait Jésus-Christ dans
la Frise. Il en revint après y avoir passé deux ans, sans que ses
travaux eussent été suivis d'un grand succès. Egbert et ceux qui
s'intéressaient à cette mission, ne se découragèrent
point ; ils prièrent avec une nouvelle ferveur, pour obtenir la
conversion de tant d'âmes qui étaient menacées d'un malheur éternel.
Willibrord, qui venait d'être ordonné prêtre, et qui était âgé
d'environ trente ans, témoigna un désir ardent de passer dans la
Frise, et il en demanda la permission à ses supérieurs. Egbert, qui
connaissait sa ferveur, son zèle et ses talents, ne douta point que
ce désir ne vînt du Ciel ; il acquiesça donc à sa demande, en
l'exhortant h mettre en Dieu sa confiance. Saint Swidbert et
dix autres moines anglais se joignirent à saint Willibrord. Les
Frisons habitaient anciennement une vaste étendue de pays sur les
côtes de l'Océan germanique. Etant entrés dans la Gaule Belgique,
ils s'emparèrent des provinces situées vers l'embouchure du Rhin,
dont les Cattes, aussi Germains d'origine, étaient alors les maîtres.
Parmi les
peuples de la Germanie, aucun ne sut
si bien maintenir sa liberté contre les Romains, que les Frisons.
Suivant Procope, ils vinrent dans la Grande-Bretagne avec les
Anglo-Saxons, et la situation de leur pays ne permet pas de douter
qu'ils ne fussent de bons marins. On lit dans saint Ludger, que
Swidbert et les autres missionnaires qui l'accompagnaient,
désirèrent, de préférence, de porter la lumière de la foi à ces
peuples, parce que leurs ancêtres descendaient d'eux.
Saint Eloi,
évêque de Noyon, avait prêché Jésus Christ dans une partie de la
Frise. L'Evangile leur avait été aussi annoncé par saint Wilfrid, en
678 ; mais ces premières tentatives avaient produit peu de fruit ;
en sorte que le vrai Dieu était presque entièrement inconnu dans la
Frise, lorsque saint Willibrord y arriva en 690 ou 691. Il paraît
certain que nos douze missionnaires abordèrent à Catwick, qui était
à l'ancienne embouchure du Rhin.
Willibrord crut
devoir faire un voyage à Rome, pour demander au Pape Sergius sa
bénédiction apostolique, et une autorisation pour prêcher l'Evangile
aux nations idolâtres. Le Souverain-Pontife, connaissant son
zèle et sa sainteté, lui accorda les plus amples pouvoirs, et lui
donna des reliques pour la consécration des églises qu'on ferait
bâtir. Il repartit le plus tôt qu'il lui fut possible, tant il
désirait gagner à Jésus-Christ cette multitude d'âmes qui étaient
sous la puissance du démon.
Swidbert fut
spécialement chargé de la conversion des Boructuaires, et en devint
l'évêque. Il paraît que ce peuple hab1tait le territoire de Berg,
une partie de celui de la Marck, et le pays voisin, du côté de
Cologne.
Willibrord et les
dix autres missionnaires prêchèrent la foi, avec le plus grand
succès, dans cette partie de la Frise, qui appartenait aux Français.
Le nombre des chrétiens était si considérable au bout de six ans,
que Pépin, de l'avis des autres évêques, envoya Willibrord à Rome,
avec des lettres de recommandation pour le Pape, qui était
instamment prié de l'honorer du caractère épiscopal. Inutilement le
Saint voulut faire tomber sur un autre cette dignité; on n'eut aucun
égard à ses représentations. Le Pape
Sergius le reçut avec de grandes marques d'honneur, changea son nom
en celui de Clément, et le sacra archevêque des Frisons, dans
l'église de Saint-Pierre. Il lui donna aussi le pallium, avec
le pouvoir de fixer son siège en tel lieu du pays qu'il jugerait le
plus convenable. Le Saint, après avoir passé quatorze jours î1 Rome,
revint dans la Frise, et fixa sa résidence à Utrecht. Pépin lui fit
présent du château royal du Viltaburg. Le saint archevêque bâtit à
Utrecht l'église du Sauveur, dont il fit sou siège métropolitain. Il
répara aussi celle de Saint-Martin, que les païens avaient
presqu'entièrement détruite. On pense qu'elle avait été construite
par le Roi Dagobert, à la prière de saint "Wilfrid. Elle devint
depuis cathédrale d'Utrecht, et fut desservie par des chanoines.
L'onction
épiscopale sembla donner encore plus de force et d'activité au zèle
de Willibrord. Deux ans après son sacre, c'est-à-dire, en 698, les
libéralités de Pepin et de l'abbesse Irmine, le mirent en état de
fonder l'abbaye d'Epternac, qu'il gouverna jusqu'à sa mort. Elle est
dans le diocèse et à deux lieues de Trèves, et présentement dans le
duché de Luxembourg. Le monastère de Horrea, dont Irmine, qu'on
croit avoir été fille de Dagobert II, était abbesse, fut, au rapport
d'Alcuin, miraculeusement délivré de la peste par saint Willibrord.
Pépin de Héristal
avait beaucoup de vénération pour le saint Apôtre de la Frise. Avant
sa mort, il renvoya Alpaïs, sa concubine, dont il avait eu Charles
Martel, et se réconcilia avec Plectrude, sa femme. Dans son
testament, qu'il signa avec Plectrude, sa femme, il recommanda ses
neveux à saint Willibrord, sans faire mention de Charles, son fils
naturel. Il donna en même temps au Saint le village de Swestram,
aujourd'hui Susteren, dans le duché de Juliers, à une lieue de la
Meuse, lequel servit à doter un monastère de religieuses qui fut
bâti en ce lieu.
Ce fut au mois de
Décembre 714, que mourut Pépin de Héristal. Pépin-le-Bref, fils de
Charles Martel, et qui fut depuis Roi de France, était né quelque
temps auparavant. Il reçut le baptême des mains de saint Willibrord,
qui, suivant Alcuin, prophétisa en cette occasion, en annonçant que
cet enfant surpasserait en gloire tous ses ancêtres. Charles Martel
devint bientôt maire du palais, et fut le premier guerrier et le
plus grand homme d'état de son siècle. En 723, il donna les revenus
dépendants du château d'Utrecht, au monastère que saint Willibrord y
avait fondé, et dont il voulait faire sa cathédrale. Saint Grégoire
fut depuis abbé de ce monastère, qu'on sécularisa dans la suite des
temps. Charles Martel fit plusieurs autres donations à diverses
églises fondées par le saint archevêque. Il lui abandonna la
souveraineté de la ville d'Utrecht, avec ses dépendances et ses
appartenances. Dans tous ces établissements, Willibrord ne se
proposait que d'affermir et de perpétuer l'œuvre de Dieu.
Non content
d'avoir planté la foi dans la partie de la Frise, dont les Français
avaient fait la conquête, il pénétra dans celle qui obéissait à
Radbod, prince ou Roi des Frisons. Radbod était toujours
opiniâtrement attaché à l'idolâtrie. Il n'empêcha cependant point le
Saint d'instruire ses sujets, et il venait quelquefois lui-même
l'entendre.
Willibrord passa
dans le Danemark ; mais Ongend, qui y régnait alors, était un prince
méchant et cruel ; et son exemple, qui avait beaucoup d'influence
sur ses sujets, mettait un obstacle presque invincible à leur
conversion. Le Saint se contenta d'acheter trente enfants du pays,
qu'il baptisa après les avoir instruits, et qu'il amena avec lui.
En revenant, il
fut assailli d'une tempête qui le jeta dans l'île appelée Fositeland,
aujourd'hui Amelandt, sur la côte de la Frise, au nord. Les Danois
et les Frisons révéraient singulièrement cette île, qui était
consacrée à leur dieu Fosite. Ils auraient regardé comme impie et
sacrilège , quiconque aurait osé tuer les animaux qui y vivaient ,
manger quelque chose de ce qu'elle produisait, ou parler, en puisant
de l'eau à une fontaine qui y était. Le Saint, touché de leur
aveuglement, voulut les détromper d'une superstition aussi
grossière. Il fit tuer quelques animaux, que lui et ses compagnons
mangèrent, et il baptisa trois enfants dans la fontaine, en
prononçant a haute vois les paroles prescrites par l'Eglise. Les
païens s'attendaient qu'ils allaient être punis de mort ; mais
voyant qu'il ne leur arrivait rien, ils ne savaient si c'était
patience ou défaut de pouvoir de la part de leur dieu. Radbod fut
transporté de fureur, quand il apprit ce qui s'était passé. Il
ordonna de tirer au sort trois jours de suite, et trois fois chaque
jour, dans le dessein de faire périr celui sur lequel il tomberait.
Dieu permit qu'il ne tombât point sur Willibrord ; mais un de ses
compagnons fut sacrifié à la superstition, et mourut martyr de
Jésus-Christ.
Le Saint ayant
quitté Radbod, se rendit dans une des principales îles qui dépendent
de la Zélande; c'était Walcheren; il y fit un grand nombre de
conversions , et y établit plusieurs églises.
La mort de Radbod
, arrivée en 719 , lui laissa la liberté de prêcher dans toute la
Frise. En 720, il fut joint par saint Boniface, qui passa trois ans
avec lui avant d'aller en Allemagne. Bédé , qui écrivit alors son
histoire , parle ainsi de notre Saint (19): « Willibrord, surnommé
Clément, est encore vivant, c'est un vénérable vieillard, évêque
depuis trente-six ans, qui attend les récompenses de la vie céleste
, après avoir généreusement combattu dans la guerre spirituelle. »
II avait, suivant Alcuin, une figure agréable et pleine de dignité.
Il était doux et toujours gai dans la conversation, sage dans ses
conseils, infatigable dans les fonctions apostoliques , et en même
temps attentif à nourrir et à fortifier son âme par la prière, le
chant des psaumes, les veilles et le jeûne. Le même auteur, qui
écrivait environ cinquante ans après la mort du Saint, assure qu'il
fut doué du don des miracles. Il rapporte entre autres le suivant.
Lorsque Willibrord prêchait dans l'île de Walcheren, où l'on a
depuis bâti les villes de Flessingue et de Middelburg, il trouva
dans un village une idole fameuse, à laquelle le peuple offrait des
vœux et des sacrifices. Transporté de zèle, il la renversa et la mit
en pièces. Le prêtre de l'idole lui déchargea un coup de sabre qui
ne lui fit aucune blessure. Ce malheureux fut bientôt après possédé
du démon, et réduit dans l'état le plus déplorable.
Willibrord et ses
compagnons , par leurs larmes, leurs prières et leur zèle,
détruisirent le paganisme dans la plus grande partie de la Zélande
et de la Hollande, et dans tous les lieux des Pays-Bas , où saint
Amand et saint Lebwin n'avaient jamais pénétré. Quant aux Frisons ,
qui avaient été jusque-là un peuple barbare , ils se civilisèrent
peu à peu, et devinrent célèbres par leurs vertus, ainsi que par la
culture des arts et des sciences. Saint Wulfran , archevêque de Sens
, et d'autres ouvriers évangéliques , frappés de tant de succès ,
prièrent saint Willibrord de les associer aux travaux de ses
missions.
Noire Saint
choisissait avec beaucoup de soin ceux qu'il destinait à recevoir
les ordres sacrés : il craignait que d'indignes ministres ne
détruisissent tout le bien que la miséricorde divine avait opéré
pour le salut des âmes. Il était aussi fort exact à s'assurer des
dispositions de ceux qu'il admettait au baptême, afin de ne pas
exposer nos augustes mystères à la profanation. Pour bannir
l'ignorance, et faciliter la propagation de l'Evangile , en
éclairant les esprits et en adoucissant les mœurs , il établit à
Utrecht des écoles qui devinrent fort célèbres.
Enfin Willibrord
se voyant parvenu à un âge fort avancé, prit un coadjuteur qu'il
sacra évêque, pour le charger du gouvernement de son diocèse, et se
prépara dans la retraite au passage de l'éternité. Il mourut,
suivant l'opinion la plus probable, en 738. Alcuin et Raban mettent
sa mort le 6 Novembre ; mais il est nommé le 7 de ce mois dans les
martyrologes d'Usuard et d'Adon, dans le romain, et dans celui des
Bénédictins. II fut enterré, comme il l'avait désiré, dans le
nouveau monastère d'Epternac, et on y gardait ses reliques dans une
châsse. On voit à Trêves, dans l'abbaye de Notre-Dame ad
martyres, l'autel portatif dont le Saint faisait usage pour la
célébration des saints Mystères dans ses missions de Frise , de
Zélande et de Hollande. Divers auteurs ont publié le testament de
saint Willibrord, en faveur du monastère d'Epternac.
Un vrai pasteur,
s'il a de la ferveur et du zèle , ne reste point dans l'inaction,
tant qu'il peut consoler, instruire, exhorter, pleurer et prier pour
les âmes confiées à ses soins , et qui sont sans cesse exposées au
danger de se perdre éternellement. Il sait mettre de l'ordre dans sa
conduite pour suffire à tout, et il remplit tous ses devoirs avec
plus de facilité qu'on ne pourrait d'abord l'imaginer. Nous pouvons
tous nous convaincre de cette vérité par l'expérience. Sans être
pasteurs , nous avons une multitude d'obligations à remplir par
rapport au prochain et par rapport à nous-mêmes ; en sorte que tous
nos moments doivent avoir une destination particulière. Ce serait
une illusion dangereuse que de penser autrement. Il faut donc
satisfaire à ces différentes obligations. Le temps ne nous manquera
point ; il est seulement à craindre que nous le perdions, soit par
lâcheté, soit par défaut d'ordre dans notre conduite, et de
règlement dans nos actions.
SOURCE :
Alban Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux
Saints… – Traduction : Jean-François Godescard.
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