FURSY DE LAGNY

     

Fursy de Lagny
Abbé, Saint, Patron de Péronne
† 650

La France n'a pas seulement donné des Saints à l'Église, mais elle en a encore reçu des pays éloignés, et comme une terre promise aux âmes d'élite, elle a toujours été la retraite des plus grands personnages de toutes les nations. Nous le voyons en saint Fursy. Finloga, qui gouvernait la Momonie méridionale, un des six royaumes de l'Irlande au commencement du VIIe siècle, eut un fils nommé Fintan qui épousa Gelgès, fille unique du roi Aedfind. Cette princesse, élevée dans la foi chrétienne à l'insu de son père, convertit celui qui aspirait à sa main, et reçut en secret avec lui la bénédiction nuptiale. C'est de cette union que devait naître saint Fursy. Sa naissance fut précédée par des signes merveilleux, qui donnèrent assez à connaître que Dieu l'avait élu pour combattre contre le péché, et pour ruiner le paganisme qui régnait encore en ce temps-là dans ces îles du Septentrion. Aedfind, s'apercevant de la grossesse de sa fille et apprenant le mariage secret qu'elle avait contracté avec un chrétien, entra dans une si violente fureur, qu'il ordonna que cette désobéissance fût punie par le supplice du feu. Il voulut même assister à l'exécution de sa sentence, et la fit conduire en sa présence au bûcher qui lui était préparé. On dit qu'en ce moment l'enfant qu'elle portait dans son sein parla d'une voix intelligible, et reprit fortement son grand-père de sa cruauté envers lui et envers sa mère Au moins, entendit-on des paroles extra-ordinaires qui venaient du côté de la princesse, et l'on ne sait pas si ce fut un ange ou l'enfant même qui les prononça. Ce qui est plus certain, c'est que Gelgès fut délivrée des flammes par une pluie soudaine et des sources miraculeuses qui les étei-gnirent. En présence de ce miracle et de la joyeuse exaltation du peuple, Aedfind n'osa consommer sa vengeance; il se contenta de bannir sa fille et son gendre. Les jeunes époux se réfugièrent dans une île du lac d'Orbsen, d'où saint Brendan dirigeait le monastère voisin de Clunaferte. Ils trouvèrent le sympathique accueil que méritaient leurs malheurs, et une résidence leur fut assignée dans l'hôtellerie de cette célèbre abbaye, vivaient près de trois mille religieux. La nuit même de leur arrivée, la chambre ils étaient logés fut éclairée d'une lumière extraordinaire, qui fit connaître aux insulaires le mérite de ces illustres fugitifs.

Le terme de l'innocente princesse étant arrivé, elle mit au monde notre Saint, qui fut régénéré dans les eaux saintes du baptême par le même saint Brendan, et nommé Fursy. Cet enfant donna bientôt des signes de sa sainteté future, par la douceur de son naturel et une très-forte inclination qu'il faisait paraître pour les exercices de piété, ce qui obligea saint Brendan d'avoir un soin particulier de son éducation. Il le mit, selon l'usage de ce temps-la, dans le monastère de Clunaferte, sous la conduite des moines, où il fit, en peu d'années, un très-grand progrès dans la pratique de la vertu et dans la connaissance des lettres divines et humaines. Ayant fait profession de la vie monastique, il s'appliqua, avec beaucoup de fruit, à la prédication de l'Évangile et la ferveur de son zèle suppléant à la faiblesse de son âge, il gagna aussitôt grand nombre d'infidèles et de pécheurs au service de Notre-Seigneur car les païens étaient encore très-nombreux malgré les missions qui s'étaient succédé en Irlande depuis le IVe siècle.

« Or, il advint que le roi Brendin, qui gouvernait l'Ultonie méridionale, eut deux enfants jumeaux, un fils et une fille qui moururent en même temps de quoi furent attristés tous ceux du pays on ne put les mettre en terre les païens irlandais eussent voulu démembrer les cadavres pour les manger. Le roi Aelfind, par le conseil des sages, les confia à des écumeurs de mer pour les emmener de nuit et les faire enterrer en cachette. Mais ils ne parvinrent pas au lieu où ils s'étaient proposé d'aller il plut à Dieu qu'ils abordassent devant l'ermitage que saint Fursy s'était construit près du monastère.

Le matin, quand le jour fut venu, voici le saint jeune homme Fursy qui s'en va à l'église comme il avait coutume quand il ouvrit la porte, il vit les corps de son cousin et de sa cousine tout nus, de quoi il fut très-surpris et commença à pleurer de pitié et pria Notre-Seigneur, en disant Beau sire Dieu, faites que les âmes reviennent dans ces corps. A peine eut-il achevé sa prière que les enfants se levèrent tout joyeux; puis ils furent émerveillés et eurent grande honte. Le saint jeune homme Fursy eut pitié d'eux. Après leur avoir trouvé des vêtements convenables, il prit un bâton, le jeta en la mer, lui commanda de s'en aller droit au port d'où les enfants étaient venus et fit signe aux enfants de le suivre sans crainte. Or, écoutez une chose qui doit émerveiller et qui doit être racontée pour la gloire de Nôtre-Seigneur le bâton s'en alla devant comme s'il eût eu de l'entendement; les enfants marchèrent hardiment à sa suite dans le sillage qu'il traçait, jusqu'à ce qu'ils arrivèrent en leur pays et reconnurent leurs gens ».

En apprenant ce double miracle de saint Fursy, les parents des deux jumeaux résolurent d'aller lui témoigner leur reconnaissance. Pendant ce temps-là, le démon prévoyant combien la vie de saint Fursy serait glorieuse et utile à l'Église, entreprit de le persécuter par les religieux de son monastère. Ils commencèrent donc à médire de lui, à l'injurier et à le maltraiter; de sorte que pour céder à leur envie, il fut obligé de quitter ce lieu et de se retirer, avec la permission de saint Brendan, dans une autre île du lac d'Orbsen nommée Ratimath. Ce fut sans doute un coup de la divine Providence; car, la bonne odeur de sa sainteté se répandant de tous côtés, plusieurs enfants des premières familles quittèrent le monde et se vinrent ranger sous sa conduite. Leur nombre croissant de jour en jour, il bâtit un nouveau monastère, où il vécut avec eux comme un archange avec une compagnie d'anges. Ce fut en ce lieu que vinrent le trouver les rois Brendin, Féradrach et Aedfind, accompagnés de l'élite de leur noblesse. Aedfind s'agenouilla humblement devant son petit-fils, se repentit publiquement du traitement odieux qu'il avait voulu infliger à sa fille Gelgès, et manifesta le désir d'embrasser la foi chrétienne.

Aedfind aurait voulu ramener avec lui Fintan et Gelgès mais Finloga venait de mourir, et son fils devait se rendre aux désirs des Momoniens méridionaux, en allant régner avec sa femme sur cette partie de l'Irlande. Fursy, après le départ de ses parents, redoubla de ferveur dans le service de Dieu. Il priait continuellement pour la conversion des pécheurs et pour le salut de tous les membres de sa famille. Ses vœux les plus chers furent exaucés, quand il vit ses jeunes frères, Foillan et Ultan renoncer aux honneurs du monde et venir embrasser, sous sa direction, la règle monastique.

Notre Saint s'arrachait parfois à la solitude, pour aller évangéliser les contrées voisines. Un jour qu'il partait pour aller prêcher dans le royaume de son père, il tomba subitement malade et fut ramené dans son monastère. C'est alors qu'il eut une série d'extases et de ravissements dont le vénérable Bède, dans son Histoire nous a laissé le récit qu'a reproduit Ribadeneira nous n'en donnerons que l'abrégé. Dans ces suspensions de ses sens, il vit des choses merveilleuses pour son instruction et pour celle de ses religieux et de ceux à qui il devait prêcher l'Évangile. Des anges lui apparurent et le défendirent contre diverses accusations des démons qui poursuivaient sa condamnation. Ils lui firent connaître qu'il y avait principalement quatre feux qui enflammaient le monde et perdaient les chrétiens, savoir l'infidélité aux promesses de leur baptême, la convoitise des richesses de la terre, l'esprit de dissension et la dureté envers le prochain. Il les entendit chanter alternativement ces deux premiers versets du psaume LXXXIII « Les Saints iront de vertu en vertu; le Dieu des dieux sera vu dans Sion » et le trisagion « Saint, Saint, Saint, le Seigneur Dieu des armées ». Il aperçut aussi en trois de ces anges une figure admirable de la très-sainte Trinité; parce que, quoiqu'ils fussent trois, il n'y avait point en eux de dissemblance, ni quant au visage, ni quant à la voix, ni quant à la clarté qui les environnait. Deux saints évêques, savoir: saint Béodan et saint Meldan, l'instruisirent à leur tour, dans cette vision, de diverses calamités qui devaient arriver au monde et des moyens de les éviter; et l'exhortèrent à prêcher la pénitence, non-seulement aux peuples, mais aussi aux prélats et aux princes. L'âme d'un usurier damné se fit voir encore à lui, et Dieu permit que cette image s'étant jetée sur lui, lui laissât, à l'épaule et à la mâchoire, des marques du feu qui la brûlaient, en punition de ce qu'il avait accepté un habit que cet usurier lui avait légué.

Saint Fursy pria Dieu de ne lui jamais ôter ses cicatrices afin de se souvenir, tout le temps de sa vie, combien il est redoutable de tomber entre les mains de la divine justice. Depuis ce temps-là, lorsque le saint abbé parlait en conférence avec ses moines de ce qu'il avait vu et ouï des peines de l'enfer, il tremblait et suait d'appréhension.

Saint Fursy étant entièrement revenu à lui-même, s'appliqua à la prédication de l'Évangile, suivant l'ordre qu'il en avait reçu du ciel, et prêcha encore douze ans dans les royaumes d'Irlande, d'Écosse et d'Angleterre. Il y convertit grand nombre d'idolâtres et de pécheurs par la force de ses paroles et par l'exemple admirable de sa vie, et gagna entièrement à Dieu Sigisbert, roi de l'Est-Anglie, un des sept royaumes fondés successivement du V au VIe siècle par les Angles et les Saxons dans la Grande-Bretagne. Grâce aux libéralités de ce monarque, le missionnaire irlandais put construire à Cnobbersburg, aujourd'hui Burghcastle, dans le comté actuel de Suffolk, un grand monastère où affluèrent bientôt de nombreux disciples ; il y vécut quelque temps avec eux pour les mieux former dans la pratique des observances régulières.

Quelle que fût la générosité du roi Anne, successeur de Sigisbert, il ne put procurer une cloche à l'église de la nouvelle abbaye « Alors l'ange de Notre-Seigneur en apporta une à travers les airs, laquelle existait encore en i 468 B. Il est un autre miracle de cloche dans la vie de saint Fursy les moines de Lismore, en Irlande, en aperçurent un jour une qui voltigeait dans l'espace. Ayant interrogé saint Cuanne, leur abbé, sur ce prodige, celui-ci leur répondit que c'était la cloche de saint Fursy qui, ne pouvant venir resserrer avec eux les liens de la fraternité monastique, avait envoyé la cloche de son monastère pour le représenter. A défaut d'autre chose, ces anecdotes ont leur importance au point de vue de l'histoire des cloches.

Un des points principaux de sa piété était la sanctification des fêtes. Il commençait la célébration du dimanche aux Vêpres du samedi, et employait le reste du jour et le suivant en oraison ou en des pratiques de vertu, afin de remplir le sabbat d'œuvres dignes de Dieu. Il avait une charité extraordinaire pour les pauvres, et ne faisait point difficulté de leur distribuer, dans les temps de cherté, toutes les provisions de son monastère. Un murmure s'étant élevé à ce sujet parmi les frères, qui craignaient de tomber dans le besoin, il leur apprit à mettre leur confiance en Dieu par une moisson miraculeuse qu'il fit naître dans une de leurs terres, peu de jours après y avoir semé du grain.

Après avoir ainsi gouverné quelque temps ce monastère, saint Fursy, désirant vivre dans une plus grande retraite, se démit de sa charge d'abbé entre les mains de son frère, saint Foillan, lui donna pour associés deux prêtres d'une éminente vertu, et se retira dans la solitude avec saint Ultan, son second frère, qui menait déjà une vie érémitique. Ils passèrent une année ensemble, avec une douceur incomparable, traitant souvent avec Dieu par l'oraison, et travaillant quelquefois des mains pour se délasser l'esprit. Mais au bout de ce temps, il fut contraint de quitter la vie contemplative par l'irruption du roi de Mercie (un des sept royaumes anglo-saxons), le violent et turbulent Penda, qui faisait la guerre au roi d'Est-Anglie. Il quitta même la Grande-Bretagne, et vint en France vers 646 où il fit, de tous côtes, d'insignes miracles~. Dans le Ponthieu, il ressuscita le fils du duc Haymon ce dernier, admirant une si grande merveille, n'épargna rien pour l'arrêter auprès de lui mais il n'en put venir à bout, parce que le dessein de Fursy était d'aller à Rome il promit au duc que si Dieu lui conservait la vie, il le viendrait revoir et que, si cela ne se pouvait pas faire, il lui en donnerait avis. Au village d'Authuille, sur la petite rivière d'Ancre, il chassa le démon du corps d'un misérable qui l'avait volé sur le chemin, et qui, en punition de ce crime, était cruellement tourmenté avec toute sa famille, par ce malin esprit. Il le convertit, avec tous les siens, à notre sainte religion, et par cette charité qui n'a point de fiel, de son persécuteur il fit son frère en Jésus-Christ. A Grandcourt, près d'Arras, il délivra d'une semblable possession une dame de qualité, nommée Ermannède, qui était tombée dans ce malheur, pour l'avoir éconduit sans lui vouloir donner l'hospitalité. Il ne revint pas néanmoins chez elle mais, touché des larmes des domestiques qui coururent après lui et lui représentèrent l'état déplorable de leur maîtresse, il lui envoya un de ses disciples, avec son bâton, ce qui fut suffisant pour la guérir. Elle vint ensuite elle-même le remercier, et fut depuis fort pieuse et fort hospitalière.

Notre Saint, continuant ainsi son voyage par la France et l'Italie, arriva enfin à Rome, saint Martin tenait le siège apostolique. Du plus loin qu'il aperçut cette ville consacrée par le sang des deux plus grands Apôtres et d'une infinité d'autres Martyrs, et ornée des mérites de tant d'illustres Confesseurs et de saintes Vierges, il se mit à genoux et la salua avec beaucoup de respect et de dévotion. Y étant entré, il en visita avec une ferveur extraordinaire tous les lieux de piété, et versa beaucoup de larmes pour apaiser la colère de Dieu irrité contre les pécheurs, et pour attirer sa bénédiction sur toute l'Église. Comme il pensait à son départ, Dieu lui fit commandement de parler au Pape, et de prendre mission de lui pour l'exercice de la prédication et des fonctions apostoliques parmi les peuples. Le Pape eût été ravi de le retenir auprès de lui il lui offrit pour cela des dignités ecclésiastiques mais voyant qu'il était appelé ailleurs, il lui accorda bien volontiers la mission qu'il lui demandait. On dit même qu'il le sacra évêque régionnaire pour toute la France, afin d'assister les prélats de ce royaume dans la grande mission qu'ils avaient à accomplir, et qu'il lui donna pour bâton pastoral une crosse de bois dont plusieurs saints Papes ses prédécesseurs s'étaient servi.

Enfin, après plusieurs voyages, ce fervent prédicateur vint à Paris, le roi Clovis II, frère de Sigebert, et sainte Bathilde, son épouse, lui firent de grands honneurs. Ils le recommandèrent particulièrement à Erchinoald ou Archambaud, leur maire du palais.

Ce personnage écoutait avec déférence les avis apostoliques que notre Saint prodiguait aux moines, aux évêques, aux courtisans et au roi lui-même. Plein de vénération pour le saint missionnaire, il le pria d'aller baptiser son fils au château de Péronne. Après le baptême de l'enfant que l'on croit être Leudèse, maire du palais sous Thierry I", Fursy fit sortir miraculeusement de prison six criminels dont ce seigneur lui avait refusé la délivrance ce qui lui acquit tant d'estime auprès de lui qu'il voulait absolument le retenir dans ses terres. Il lui fit bâtir pour cela un oratoire auprès du palais qu'il avait en cette ville, sur le mont qu'on appelait le Mont-des-Cygnes Fursy y allait souvent prier. Il fit présent à ce sanctuaire des corps de saint Béodan, de saint Meldanet de saint Patrice, qu'il avait rapportés d'Irlande.

Erchinoald, sachant que saint Fursy désirait fonder un monastère en Neustrie, chargea trois de ses officiers de parcourir avec lui les terres qui appartenaient à son domaine, pour que le moine celte y fît son choix. La préférence du Saint tomba sur Lagny-en-Brie, dans le voisinage de Chelles, terre fertile baignée par la Marne et dépendant alors du diocèse de Paris Grâce aux libéralités réunies d'Erchinoald, de Clovis II et de son épouse sainte Bathilde, saint Fursy put bâtir, vers 648, un monastère et trois chapelles, dont l'une devait plus tard prendre son nom. II y assembla en peu de temps, sous la règle de Saint-Benoît, un grand nombre de religieux qui édifièrent toute la France par la pureté de leur vie. Ce fut là que le Saint obtint une fontaine miraculeuse qu'il fit naître en fichant son bâton dans la terre. Ses eaux servirent depuis à la guérison des malades.

Cette fontaine existe encore, et est plus que suffisante pour alimenter toute la ville. Mais l'on n'y vient plus chercher de l'eau pour la guérison des maladies. Dans des temps très-reculés, il paraît que cela avait lieu.

La sainteté de ce bienheureux abbé éclatait encore par la puissance qu'il avait sur les démons, car il n'y avait point de possédé qui ne trouvât dans sa prière un remède assuré contre ce malheur.

C'est pendant son séjour à Lagny que saint Fursy prêta son concours à Audobert, évêque de Paris, et peut-être à son successeur saint Landry, en remplissant les fonctions de chorévêque, qui équivalaient à celles de nos vicaires généraux actuels. C'est sans doute en cette qualité que, de concert avec saint Bobolin, il construisit une église à Compans qu'il fit consacrer par l'évêque Audobert.

Erchinoald, redoublant de générosité, se rendit à Lagny et annonça à notre Saint qu'il allait lui faire bâtir un second monastère sur une montagne voisine de Péronne, (c'est l'origine de l'abbaye du Mont-Saint-Quentin), et de plus une église sur le Mont-des-Cygnes, à l'emplacement de cette chapelle castrale, où l'Apôtre irlandais avait été souvent prier.

Saint Fursy conduisit à Péronne quelques moines de Lagny. « Un livre fort ancien, écrit à la main et gardé au monastère du Mont-Saint-Quentin a, porte que saint Eloy, qui était alors évêque de Noyon, fut prié de faire la cérémonie de la consécration de l'église ce qui fut accompli solennellement en présence des plus grands de la noblesse des environs et d'une multitude innombrable de personnes qui venaient de tous côtés. Divers religieux, que saint Fursy avait jadis formés, en Irlande, à la vie monastique, entre autres saint Émilien, voulurent se remettre sous sa direction. Ils quittèrent leur patrie et vinrent à Lagny, où leur présence donna bientôt un nouvel essor à la piété qui régnait dans cet asile. Saint Fursy qui voulait aller visiter le monastère anglais de Cnobbersburg, dont il avait confié la direction à saint Foillan, remit le gouvernement de Lagny entre les mains de saint Émilien et partit pour un voyage qui devait dès son début être interrompu par la mort. Il tomba malade en arrivant à Mézerolles, domaine que lui avait jadis offert le comte Haymon. Clovis II et Erchinoald accoururent le visiter, et peut-être furent-ils témoins de sa mort".

A l'heure même, saint Fursy accomplit la promesse qu'il avait faite au duc Haymon, de l'avertir de son décès car il lui apparut revêtu d'habits sacerdotaux et accompagné de deux lévites ayant comme lui des cierges ardents à la main. Le saint Missionnaire lui avait en effet annoncé autrefois que lorsqu'il lui apparaîtrait avec trois lumières, le moment de sa mort serait arrivé. Le duc était alors à table et avait du monde avec lui' mais lui seul eut part à cette vision. Il l'expliqua à ses convives et partit aussitôt avec toute sa maison. En arrivant à Mézerolles, il trouva près du corps tous les clercs, les vierges et les gens du pays réunis pour rendre les derniers honneurs au Saint.

Tandis qu'il songeait à s'approprier les reliques de saint Fursy, le même désir animait Erchinoald, ainsi que Berchaire, comte de Laon', qui avait jadis invité le missionnaire à venir évangéliser la ville de Laon. Erchinoald envoya un courrier au duc Haymon pour lui réclamer le corps du Saint, au nom du roi, et le prévint qu'en cas de refus il emploierait la force. Le comte de Ponthieu répondit au messager que la Providence semblait l'avoir désigné pour être le possesseur de ce trésor, que le Saint était mort dans ses domaines, qu'il y avait ressuscité son fils et fait beaucoup d'autres prodiges, enfin qu'il lui avait apparu immédiatement après sa mort. Il ajouta qu'il serait injuste et cruel d'ensanglanter les funérailles de celui qui avait prêché sur la terre la paix et la concorde. Erchinoald, qui avait déjà amené une cavalerie menaçante sur les bords de l'Authie, se laissa toucher par ces considérations, et consentit à s'en remettre à ce qu'on appelait alors le jugement de Dieu. Le corps du Saint fut mis sur un chariot attelé de deux taureaux indomptés, livrés à leur seul instinct, et l'on convint qu'il deviendrait la propriété de celui dont les domaines serviraient de point d'arrêt au voyage aventureux du char. Cette convention fut exécutée le lendemain avec un grand concours de prodiges. Au moment où on mettait le corps sur le chariot, il survint une femme du pays, aveugle de naissance. Elle se mêla aux assistants à peine eut-elle appliqué ses yeux sur le drap mortuaire que Notre-Seigneur lui rendit la vue à ce spectacle tous jetèrent leurs armes et se mirent en oraison devant le cercueil, rendant grâces à Dieu et à « Monseigneur M saint Fursy. Les deux taureaux furent attelés au chariot comme il avait été convenu, et sans être conduits, ils se dirigèrent vers Péronne sur la route il arriva encore qu'un paralytique fut guéri.

Sur ces entrefaites apparut un troisième compétiteur c'était Berchaire, comte de Laon, accompagné d'un corps de cavalerie. Il exposa d'abord les droits qu'il pensait avoir. N'avait-il-pas donné une partie de ses biens aux monastères fondés par le missionnaire irlandais ? Si Fursy n'était pas allé à Laon, c'est qu'Erchinoald l'en avait empêché. N'avait-il pas, d'ailleurs, un droit de suzeraineté sur le pays où était mort l'abbé de Lagny ? Ne l'ayant pu voir alors qu'il était vivant, ne devait-il pas réclamer ses droits de possession sur ses dépouilles mortelles? On réussit à calmer le courroux de Berchaire et on lui fit accepter l'arrêt que rendrait le jugement de Dieu. Sur sa demande, on détela les taureaux qu'on remplaça par deux enfants de sept ans. Une force surnaturelle, que ne connaît point cet âge, s'empara de ces nouveaux conducteurs, et le chariot arriva sans encombre au Mont-des-Cygnes, à Péronne. Il y fut reçu par Erchinoald, devant le portail inachevé de l'église qu'il faisait construire. On dressa une tente pour abriter la précieuse dépouille, en attendant l'achèvement des travaux, ce qui devait durer un mois. Pendant cet espace, le corps, gardé nuit et jour, se conserva sans altération.

Erchinoald se hâtait de faire achever l'église, qui devait plus tard prendre le nom de Saint-Fursy et devenir une des plus célèbres collégiales de la Picardie. Il n'épargnait pour cette œuvre aucune dépense, au grand plaisir de sa femme Leutsinde', qui était fort avare. Elle lui reprochait de dissiper son patrimoine, de compromettre l'avenir de ses enfants, pour ériger une église à un étranger, dont elle blasphémait le nom. Erchinoald avait beau rappeler les faveurs qu'il devait à l'intercession de ce saint abbé, et l'exhorter à ne point éveiller son courroux Qu'ai-je à craindre, s'écriait-t-elle, d'un cadavre tombé en dissolution ? J'ai tellement confiance en Dieu, répondit le châtelain de Péronne, que je suis certain que ce corps est resté à l'abri des souillures de la mort. S'il n'en était pas ainsi, et nous le saurons au moment de l'Élévation, je m'engage à vous rendre au centuple ce qu'a coûté l'érection de cette église Vingt-cinq jours après la mort de saint Fursy le 9 février, au moment saint Eloi, évêque de Noyon, et saint Aubert, évêque de Cambrai, allaient faire la consécration de la nouvelle église, on ouvrit le cercueil gisaient les restes de l'abbé de Lagny. Leutsinde s'avançait curieusement pour les contempler, quand elle fut frappée d'aveuglement. Repentante de sa faute, elle se recommanda alors aux prières des deux évêques et de l'assistance, et invoqua le Saint qu'elle avait méprisé. Ses supplications étant exaucées, elle put alors contempler le corps du Bienheureux, qui n'avait subi aucune corruption.

Leutsinde devait plus tard, en employant une partie de ses biens à l'entretien de l'église du Mont-des-Cygnes, expier son avarice et sa conduite inconsidérée.

Les deux évêques consécrateurs portèrent le corps du Bienheureux derrière le grand autel dédié à saint Pierre. De nombreux miracles s'accomplirent dans cette église qui devait avoir pour garde d'honneur le chapitre que fonda bientôt Erchinoald.

Saint Fursy était mort le 16 janvier de l'an 650.