L'église
de
Tarentaise
célèbre
le
même
jour
la
fête
de
saint
Jacques,
premier
évêque
connu
du
diocèse,
dont
il
est
regardé
comme
le
fondateur,
et
de
saint
Marcel,
son
premier
successeur.
D'une
illustre
famille
d'Assyrie,
Jacques
servait
avec
honneur
dans
les
armées
de
la
Perse,
lorsque
la
persécution
contre
les
catholiques
lui
révéla
la
sublimité
de
leur
religion.
Il
abandonna
tout,
son
grade,
sa
famille,
ses
richesses,
sa
patrie,
et
vint
chercher
la
lumière
chrétienne
dans
l'empire
d'Orient,
où
l'Église
était
alors
si
florissante.
Deux
frères,
Honorat
et
Venance,
d'une
famille
consulaire
de
la
grande
Séquanaise,
dans
les
Gaules,
avaient
embrassé
le
christianisme
malgré
leurs
parents,
s'étaient
mis
sous
la
direction
d'un
saint
ermite,
nommé
Capraise,
et
avaient
entrepris
un
pèlerinage
en
Orient.
Ils
cherchaient
surtout
à
se
pénétrer
de
l'esprit
religieux
qui
régnait
dans
les
solitudes
de
la
Thébaïde.
Jacques
venait
de
recevoir
le
baptême
et
cherchait
un
ami,
un
guide
dans
les
voies
du
salut.
Il
eut
le
bonheur
de
rencontrer
nos
deux
pèlerins
à
Nicomédie
et
s'attacha
tout
spéciale-ment
à
Honorat.
Venance
mourut
à
Méthone,
en
Achaïe.
Les
trois
autres
retournèrent
dans
la
Gaule
transalpine,
se
mirent
sous
la
direction
de
saint
Léonce,
évêque
de
Fréjus,
et
se
retirèrent
dans
l'île
de
Lérins.
Saint
Honorat
sortait
souvent
de
sa
retraite
pour
aller
évangéliser
les
campagnes
et
initier
ses
disciples
à
l'apostolat
il
remonta
quelquefois
le
Rhône
et
la
Saône
jusque
dans
sa
patrie,
pour
y
gagner
des
âmes
à
Dieu.
C'est
ainsi
qu'il
convertit
saint
Hilaire,
son
successeur
à
Lérins.
Ce
fut
dans
une
de
ces
excursions
qu'il
s'adjoignit
Jacques
et
Maxime,
ce
dernier
né
à
Château-Redon,
près
de
Digne,
et
les
mena
dans
la
province
des
Alpes
graies,
habitée
par
les
Centrons
(420).
Déjà
les
premières
lueurs
du
christianisme
y
avaient
pénétré.
Des
missionnaires
partis
de
Rome
et
se
dirigeant
sur
Genève
par
l'Alpe
graie
et
le
Mont-Mercure
(le
petit
Saint-Bernard
et
le
Bonhomme),
avaient
évangélisé
ces
hautes
vallées,
entre
autres
colle
des
glaciers
sur
le
Chappieu.
Les
moines
de
Lérins
développèrent
et
étendirent
ces
précieuses
semences.
Mais
ils
eurent
à
lutter
contre
un
genre
d'idolâtrie
quelque
peu
analogue
aux
obstacles
qu'ils
avaient
d'abord
rencontrés
dans
leur
île.
Les
Romains
avaient
bien
introduit
leur
Olympe
dans
la
cité.
Le
culte
do
Mithras
et
des
Mères,
introduit
à
Rome,
sous
pompée,
avait
pénétré
jusque
dans
les
Alpes.
Mais
ces
terribles
montagnards
qui
avaient
lutté
avec
tant
d'énergie
contre
les
testons
de
Jules
César, avaient conservé
leur culte national, celui du Serpent, et n'étaient pas disposés à
l'abandonner. Le titre de Saint-Etienne, donné à la première église
qui y fut établie, est un témoin des résistances et des menaces qui
essayèrent d'empêcher l'œuvre de Dieu. Après quelques succès assez
éclatants, les missionnaires, poursuivis par les plus endurcis,
s'échappent par les montagnes de la vallée de Luce, aujourd'hui
Beaufort, où ils purent former un petit noyau de chrétiens. Mais
leur prédication fut de nouveau entravée par les guerres de l'Empire
contre l'irruption des Barbares. Les Burgondes avaient envahi la
province Viennoise (413) et pénétraient alors dans celle des Alpes
graies et pœnines (423). Leur semi-christianisme compromettait
encore le caractère tout pacifique de nos missionnaires. Ils durent
rentrer dans leur solitude de Lérins, et rendirent compte du
résultat de leur mission à saint Honorat qui les avait quittés dès
la première année pour reprendre la direction de son monastère. Les
vœux unanimes du clergé et du peuple l'appelaient alors sur le siège
d'Arles, en remplacement de Patrocle, décédé (426). Son premier soin
fut d'emmener avec lui son fidèle Jacques, de lui faire partager les
soins de l'administration de son église et de l'initier aux
fonctions pastorales auxquelles il le destinait.
Par suite des
invasions, Arles avait succédé à Trèves comme chef-lieu du prétoire
des Gaules. En devenant le centre des sept provinces, elle avait
beaucoup nui à Vienne, son ancienne métropole civile et
ecclésiastique. Les évêques d'Arles étaient devenus métropolitains,
et le pape Zozime, pour des causes qu'il n'entre pas dans notre
cadre d'examiner ici, avait attribué à Patrocle les ordinations de
toute la province, à l'exclusion du métropolitain de Vienne. C'est
pour cela que son successeur Honorat organisa le nouveau diocèse de
Tarentaise (426). Cette cité annexée à la province des Alpes graies
et pœnines par Constantin, avait été réunie de nouveau à la grande
Séquanaise. Les deux autres cités, Octodure et Tarentaise, furent
attribuées, sous le rapport ecclésiastique, la première à Milan, la
seconde à Arles, puis à Vienne, lors du partage de la Viennoise, par
le pape saint Léon (450). Jacques, ordonné évêque de Tarentaise,
partit avec plusieurs prêtres que saint Honorat lui adjoignit (426).
Se rappelant les dangers et les luttes de son premier apostolat, il
crut faire un acte de prudence en arrivant sans éclat et presque
clandestinement. Mais la grâce de Dieu avait changé les esprits: les
premières semences de la parole divine avaient germé. La réputation
de sa sainteté s'était répandue depuis son premier départ. On
chercha le serviteur de Dieu, il dut exercer solennellement les
fonctions épiscopales, et il y avait un grand concours à ses
prédications. Les temples païens devinrent déserts et tombèrent en
ruines lorsqu'ils ne furent pas transformés en églises ou en
chapelles. On aurait dit que Dieu voulait récompenser dans l'évêque
les premières fatigues du prêtre. Lorsque l'éloquence et les vertus
du Saint ne suffisaient pas pour gagner des cœurs, Dieu y ajoutait
des miracles. Il s'agissait de construire l'église principale. Les
néophytes concouraient de toutes parts à apporter les matériaux
nécessaires. Un attelage de bœufs traînait du bois à cette
destination. Un ours s'élance tout à coup d'une forêt, tue l'un des
bœufs et se met à le dévorer. Averti, le saint évêque accourt,
ordonne à l'ours de se mettre à l'attelage en remplacement du bœuf
et l'attache lui-même au joug. L'ouvrage terminé, les chasseurs se
disposaient à tuer l'ours. Mais le bon pasteur les arrêta et renvoya
l'ours qui ne reparut plus. Ce prodige et ceux qui suivent sont
racontés non seulement dans les chartes de l'ancien diocèse de
Tarentaise mais dans tous les suppléments du bréviaire et dans la
vie de saint Jacques de Tarentaise, par Gui de Bourgogne, archevêque
de Vienne, devenu pape sous le nom de Calixte II. Sa patrie, sa
science, les nombreux conciles qu'il a tenus, la pacification des
luttes du sacerdoce et de l'empire qu'il a heureusement terminée à
Worms, tout concourt à faire admettre la véracité de son récit sur
des faits passés dans les confins de sa province ecclésiastique. Ils
sont du domaine de la tradition locale et se retrouvent encore dans
les anciennes peintures des églises.
Un autre jour,
une poutre destinée au toit d'une église se trouva trop courte de
cinq pieds, le saint évêque l'aspergea d'eau bénite et elle acquit
subitement la longueur voulue.
Cependant les
Burgondes s'étaient maintenus dans la Viennoise et la moitié des
Alpes graies, malgré les légions romaines. Honorius, ne pouvant les
chasser (420), les avait subis comme alliés et auxiliaires contre de
nouvelles invasions, et Théodose leur avait confirmé toutes leurs
conquêtes dans les Alpes (423). Mais, à peine rattachés au
christianisme, ces peuples étaient devenus Ariens. Libre et même
protégée dans la haute vallée d'Isère, sous les chefs romains, la
religion catholique souffrait dans les autres vallées occupées par
les hérétiques. Le saint évêque de Tarentaise était désolé de voir
l'exercice de son zèle entravé dans plus de la moitié de son
diocèse.
Il se résolut à
aborder le chef des Burgondes. Il partit avec un de ses néophytes,
appelé aussi Jacques, et une bête de somme pour porter leurs bagages
et quelques présents. Ils traversèrent les monts Jovet et Mercure
(le col du Bonhomme). Le Saint évangélisa en passant la vallée de
Sallanches qui touchait aux confins des anciens Centrons et où l'on
adorait le dieu Mars. Deux accidents, arrivés pendant ce voyage,
donnèrent à notre évêque l'occasion d'opérer plusieurs prodiges qui,
avec l'éclat de ses vertus, manifestèrent sa sainteté dans tout le
diocèse de Genève. Néanmoins, Gondicaire le reçut très-mal, et le
Saint s'en retournait en secouant la poussière de ses souliers
contre le palais de Genève, lorsque la maladie subite du fils du roi
et les prières des grands le firent rappeler en toute hâte. II
guérit le prince et obtint du père plusieurs concessions importantes
sous le rapport matériel et moral car elles constituaient une
reconnaissance officielle de l'organisation diocésaine dans le
nouveau royaume de Bourgogne, en même temps qu'elles assuraient au
siège une existence convenable. Elles furent maintenues par les
empereurs d'Allemagne, et se conservaient encore au treizième siècle
dans les luttes féodales des archevêques de Tarentaise avec les
comtes de Genève, sur la vallée de Luce. Guillaume de Genève
reconnaissait, en 1223, que toute la vallée de Luce ou de Beaufort
avait été donnée à saint Jacques dans la fondation du diocèse.
Dieu permit que
le retour du Saint fût marqué par un éclatant témoignage des grâces
dont il était le dispensateur. Pendant son voyage, l'un de ses amis
les plus dévoués était mort. Jacques voulut voir sa tombe il versa
d'abondantes larmes, comme le Sauveur sur son ami Lazare, et la mort
ne put résister à la voix de celui qui avait fait tant de prodiges.
Dès lors son apostolat ne rencontra plus d'obstacles. La maison
épiscopale s'éleva sur le roc Puppim, une des donations de
Gondicaire, avec une chapelle en l'honneur de saint Pierre, prince
des Apôtres. Comme à la voix de Moïse, une source jaillit pour le
service du village qui porta le nom de Saint-Jacquemoz et qu'un
éboulement a détruit quelques siècles plus tard. Plusieurs autres
églises s'étaient élevées, entre autres celles d'Aime, de Granier,
de Saint-Maxime,
de
Saint-Jacques de
Luce,
de
Tignes, des
Glaciers,
de
Villaroger et
de
Saint-Jacques-sur-Mâcot, de
Longefoy,
de
Centron, des
Allues,
des
Bellevilles, de
Gemilly,
de
Thénésol. Son
zèle
s'étendit
même
dans
la
vallée d'Aoste,
où
il fonda
la
chapelle de
Saint-Jacques.
Il
n'y
avait que
trois
ans
que saint
Jacques
avait
reçu
la
consécration épiscopale,
et
déjà le
pays
était
tout
transformé.
On
pouvait dire
de
lui ce
que
l'Écriture dit
du
juste «
Il
a vécu
beaucoup
dans
un
court espace
de
temps ~).
Le
Seigneur ne
lui
fit point
attendre
sa
récompense. Il
y
ajouta même
une
consolation que
nous
dirions
humaine
si
elle ne
se
rattachait pas
à
la mort
des
Saints. Saint
Honorât
et
saint Jacques
s'étaient
liés,
comme
on
a vu,
dans
une
intimité toute
spirituelle.
Ils avaient
tous
deux
déployé
à
la face
des
peuples les
vertus
pratiquées
dans
une
émulation mutuelle
de
tout ce
qui
pouvait être
plus
agréable
au
divin Maitre.
Il
ne voulut
point
les
séparer à
la
mort. Saint
Jacques,
éclairé
divinement
sur
sa fin
prochaine
et
sur celle
de
son saint
ami,
désigna
son
successeur à
son
peuple, et
partit
pour
Arles,
où
il eut
le
bonheur de
rendre
à
Dieu son
âme
pleine de
mérites,
le
même jour
que
le saint
archevêque
de
cette ville;
le
huitième ou
le
neuvième jour
après
l'Épiphanie
de
l'an
429.
La
ville
d'Aimer
qui
avait été
la
plus empressée
à
écouter la
parole
sainte,
méritait
de
donner à
l'Apôtre
des
Centrons son
premier
successeur.
Ce
fut en
effet
au
prêtre MARCEL,
de
cette ville,
homme
d'une
vertu
éprouvée,
dit
la légende
de
l'ancien bréviaire,
que
saint Jacques
résigna
sa
charge pastorale
avant
de
partir pour
Arles.
Saint
Jacques
avait
fourni
la
carrière de
l'Apôtre
et
du Thaumaturge,
il
avait ébranlé
les
populations, il
avait
renversé
le
paganisme la
tâche
du
missionnaire était
bien
avancée.
Restait
celle
de
l'organisation définitive.
Les
masses étaient
chrétiennes,
mais
il
n'y avait
pas
encore de
centre
à
ce diocèse
Il
y avait
des
ouvriers évangéliques,
il n'y avait
pas
encore un
clergé
hiérarchiquement
constitué.
Ce
fut l'œuvre
de
saint Marcel.
Formé
à
l'école de
son
cher maître,
identifié,
pour
ainsi
dire,
à
ses principes
qui
étaient ceux
du
monastère de
Lérins,
il
éleva dans
les
ruines de
la
cité de
Tarentaise,
sur
la rive
droite
de
l'Isère, une
maison
centrale
où
les prêtres
devaient
vivre
en
communauté.
Paul Guérin, Les petits
Bollandistes : vies des saints. T. I. |