La cruelle vérité
La famille salésienne,
à la suite de Don Bosco, sait susciter la sainteté chez les jeunes.
Après Dominique, découvrons Laura,
jeune sud-américaine décédée avant ses 13 ans, et proclamée
Bienheureuse par Jean-Paul II.
***
Au collège des Sœurs
Salésienne de Junin, Laura découvre le bonheur. Dès le premier
contact, lorsque sa maman Mercedes a laissé
les
deux fillettes aux mains de Sœur Angèle, elle a goûté le sens de la
famille. C’est vrai, Mandina (c’est le surnom d’Amanda), s’était
agrippée à elle. La pauvre ! À 7 ans elle ne pouvait pas comprendre
pourquoi sa maman la laissait là, seule avec sa grande sœur.
Pour Laura, tout est
neuf. Elle a fui, il y a près d’un an, le Chili en pleine
révolution. Et maintenant, elle commence a se faire de nouvelles
amies dans les montagnes d’Argentine. Les Sœurs sont devenues sa
nouvelle famille. Car, depuis la mort de son papa, il y a sept ans,
Laura n’a guère connu ni la paix, ni la joie d’un foyer.
La lumière se fait sur l’inacceptable
Justement c’est le
thème de l’entretien de ce jour. Sœur Angèle explique le mariage à
sa petite classe attentive. Les filles sont partagées entre
inquiétude et fascination. En effet, dans le pays beaucoup d’entre
elles sont mariées vers 12-13 ans. Il n’est donc pas trop tôt de
commencer à en parler ! “L’amour c’est ce qu’il y a de plus beau.
Et c’est encore plus vrai quand on peut le partager”.
Au fur et à mesure des
explications de la Sœur, un sentiment étrange envahit le cœur de
Laura. Autour d’elle, les copines ne sont pas avares de questions et
Sœur Angèle répond avec délicatesse et exactitude à tous leurs
soucis. Soudain Laura saisit le pire. Elle vient de comprendre la
vie de sa mère, pauvre veuve abandonnée qui se réfugie dans la ferme
de Manuel Mora. Un homme redoutable, qui traite son monde en
esclave. Le regard triste de maman et la gêne devant ses enfants...
Et maintenant l’internat chez les Sœurs loin de la ferme. Son cœur
s’emballe. Laura s’évanouit. La vérité du scandale vient de tuer
l’innocence de l’enfant.
1901 : l’année de ses
dix ans, Laura fait sa première communion. Comme les autres
fillettes accueillies au Collège des Sœurs salésiennes de Junin
(Argentine), elle vit dans un climat qui favorise la maturation
spirituelle et la connaissance des choses de la foi.
Cela faisait une année
scolaire déjà que Laura et sa sœur Amanda vivaient au Collège de
Junin. Elles étaient heureuses. En effet, quoi de mieux pour de
jeunes enfants qui viennent de subir les angoisses et la précarité
de l’immigration, que l’ambiance du Collège qui présentait toutes
les garanties de la sécurité matérielle et affective ?
Junin était un havre de
paix.
Un environnement favorable
Dans cette
école-internat, Laura et Amanda nouent de profondes amitiés avec
leurs copines. De leur côté, les Sœurs sont très jeunes et
enthousiastes. Pour cette seconde rentrée scolaire, les élèves
découvrent une jeune enseignante, sœur Anne-Marie Rodriguez. Elle
venait de quitter sa Colombie natale pour la communauté d’Argentine.
Laura comprit qu’elle aussi devait vivre une expérience de
déracinement. Sœur Anne-Marie a-t-elle su mettre à profit cette
réalité pour en partager une meilleure complicité avec elle ?
Toujours est-il que Laura est fascinée par la manière d’être et de
vivre de cette religieuse.
Elle découvre ainsi
toute la place de Dieu dans la vie d’une grande personne. Si les
Soeurs sont si gentilles, si elles sont si joyeuses, en comparaison
de tant d’autres adultes, cela ne viendrait-il pas de Dieu dont
elles parlent avec tant de facilité et de sincérité ? La communauté
se retrouve régulièrement avec les enfants pour la prière. Le prêtre
salésien qui passe dans le Collège se met à la disposition des
enfants pour l’Eucharistie et la confession. La jeune Laura en
profite. Peut-être trop, selon Amanda, qui trouve que sa sœur fait
du zèle. Mais Laura sait qu’à chaque fois elle se sent plus forte et
qu’après, la vie lui semble plus facile.
La secrète prière de Laura
« Tu pourras faire
ta Première Communion cette année, si tu le veux », propose-t-on
à Laura. Elle se prépare avec enthousiasme à cette fête. Très vite,
elle construit un projet secret dans son cœur. En effet, Mercedes
Vicuña, sa mère, n’est plus à l’aise avec la pratique religieuse.
Depuis son arrivée en Argentine, elle vit une relation ambiguë avec
son protecteur Manuel Mora. Ce dernier ne s’embarrasse pas de
“bondieuseries“. Mercedes n’avait-elle pas conseillé à ses enfants
de prier en cachette pendant les dernières grandes vacances ?
« Seigneur, le jour
de ma Première Communion, je voudrais tant que maman s’avance pour
communier en même temps que moi, ce serait mon plus précieux
cadeau ». Laura, pleine de lucidité, connaît le cœur de sa mère.
Elle sait que celle-ci a concédé beaucoup de ses convictions à cet
homme qui la domine.
Le 2 juin 1901, les
chants de fête dans la petite chapelle et l’atmosphère de gaîté des
enfants de Junin ne réussissent pas à combler le désir de Laura. Sa
maman reste à l’écart et ne communie pas. Laura est triste et
inquiète à la fois. Le mal qui ronge sa maman est donc plus lourd
qu’il n’y paraît…
La deuxième année
passée à Junin, au collège des Sœurs salésiennes, se termine.
Mercedes Vicuña regarde sa fille Laura avec étonnement. Elle est
devenue grande et belle, avec ses yeux foncés et ses cheveux
ondulés. Les fossettes qui se forment sur ses joues, quand elle rit,
attirent la sympathie.
« Au revoir ! Au
revoir ! » En partant pour le domaine de Quilquihué où sa mère a
établi son gîte auprès du riche propriétaire Manuel Mora, Laura a le
pressentiment de ce qui l’attend. D’ailleurs, Mercedes, sa mère, en
fait l’amère expérience. C’est un patron arrogant, grossier et
despotique. Elle avait cru pouvoir s’appuyer sur lui pour améliorer
sa situation, mais aujourd’hui, elle reconnaît que sa vie s’est
transformée en esclavage.
Cela fait deux jours à
peine que les deux fillettes, Laura et sa sœur Amanda, sont de
retour à la ferme. De la véranda où elle reste durant la journée,
Laura voit Manuel arriver et attacher son cheval au poteau, près de
l’entrée de la maison. Il exige de rester seul avec la jeune fille
et chasse la mère qui se réfugie dans la maison. Mais Laura se débat
et se sauve. L’homme vaincu médite un autre coup. Il ne peut
accepter qu’une enfant de 11 ans lui résiste.
La détermination face à la violence
Quelques jours plus
tard a lieu la fête du marquage des animaux nés dans l’année. Le
domaine prend l’aspect d’un village au jour de foire. Les gardiens
de troupeaux se mélangent aux serviteurs et à leurs familles. Les
amis du patron et les propriétaires voisins sont là aussi. On boit,
on joue, on chante jusqu’à la tombée de la nuit qui annonce
l’ouverture du bal. Les danses vont commencer. Manuel signale le
début des danses en s’apprêtant à esquisser les premiers pas. Laura
le voit s’avancer vers elle. Elle répond par un “non“ fier et
décidé. L’homme est fou de rage : il insiste en se voulant charmeur.
Mais c’est sans compter sur la détermination de Laura. Les invités
observent. Le patron rougit, il est chez lui ici ! « Ah oui, elle
ne veut pas danser, la sainte nitouche ? » Il saisit
l’adolescente par le bras et la jette dehors avec les chiens.
Manuel Mora s’en prend
maintenant à la mère qu’il couvre d’injures, et lui ordonne de
rappeler sa fille pour qu’elle vienne s’excuser et danser. Mercedes
sort, mais elle n’arrive pas à convaincre sa fille. Tout à coup la
porte s’ouvre, Manuel sort et saisit la pauvre maman par le poignet.
Elle est liée au poteau. Les danses s’arrêtent. Personne, pas même
les frères du patron, n’ose intervenir. Manuel Mora fouette Mercedes
jusqu’au sang. Les amis enfourchent leur cheval et s’en vont.
Laura, blottie derrière
les arbres, pleure. Elle assiste dans la nuit à l’humiliation de sa
mère.
Laura Vicuna et sa sœur
Amanda ont eu toutes les peines du monde à rejoindre leur école pour
cette nouvelle rentrée de février 1902 au collège des Sœurs
salésiennes. Le terrible propriétaire Manuel Mora qui héberge la
mère et les deux fillettes s’opposait à ce qu’elles retournent chez
“ces bigotes de bonnes sœurs”.
— Alors, comment se
sont passées ces vacances ?
Les questions fusent de
toute part entre les jeunes filles qui se retrouvent après les
congés d’été. Laura ne veut pas parler de ses mésaventures
estivales. Manuel Mora s’était vengé sur la petite famille de ce
qu’elle l’ait publiquement éconduit. Il s’était opposé à ce qu’elle
reprenne ses classes chez les Sœurs. En effet, n’est-ce pas à cause
de ces dernières et de leur morale que Laura, jeune adolescente de
11 ans, avait refusé ses avances ?
La mère s’était
révoltée :
— Ce sont mes filles.
Je veux qu’elles retournent à la pension chez les Sœurs ! Je ne suis
pas ici comme une esclave !
— Ou esclave ou morte.
Quant à ces deux, on verra bien !
Il avait fallu, sous
l’insistance de Laura, que la mère aille demander aux Sœurs de
reprendre les deux élèves gratuitement, faute de ressources.
Maintenant, l’école
reprend. Personne n’imagine le drame qui se joue dans le cœur de
Laura. Elle cache tous ces problèmes sous une allure joviale et un
enthousiasme contagieux.
Merceditas Vera est de
trois ans plus âgée que Laura. Elles sont pourtant devenues amies.
Il est vrai que Laura est si mure de caractère, et douée d’une forte
intériorité. Elle sait être une compagne agréable. Ce qui rapproche
les deux filles, c’est un même idéal. Elles désirent donner toute
leur vie au Seigneur. Peut-être comme une de ces Sœurs salésiennes
qu’elles fréquentent au collège ? D’ailleurs, la sœur aînée de
Merceditas Vera vient de faire une démarche en ce sens.
Lorsque Sœur
Anne-Marie, enseignante, auprès des deux jeunes filles vient à
mourir, elles prennent une résolution importante :
— Un jour, nous
prendrons sa place !
Le 1er avril
1902, Mercéditas laisse éclater toute sa joie. Elle vient de manière
tout officielle de revêtir la pèlerine de postulante, en signe d’un
premier pas pour devenir Sœur salésienne. Laura imagine le jour où
elle pourra vivre le même engagement.
Vers une vie nouvelle
Mercedes Vicunia vit
une véritable souffrance chez Manuel Mora. Sous prétexte qu’il est
le propriétaire du domaine de Quilquihué, littéralement “le
repaire du faucon”, profitant de la fragilité de cette veuve,
mère de deux fillettes et expatriée, il songe à en faire une esclave
par un jeu de séduction de plus en plus subtil et entreprenant.
Maintenant qu’il tient la mère, il convoite l’aînée, Laura.
Pourtant cette enfant
s’avère être une proie insaisissable pour le bourreau ! Non
seulement elle a déjoué tous ses pièges et refusé ses avances, mais
elle veut sauver sa mère. Son confesseur, le Père Crestanello est
dans la confidence : “As-tu bien réfléchi ? Donner ta vie pour ta
maman, c’est le plus grand acte d’amour. Mais c’est très dur”.
Laura sait ce qu’elle
veut. Dans la chapelle du collège des Sœurs salésiennes de Junin au
Chili, en ce 13 avril 1903, elle offre sa vie à Dieu pour que sa
maman se libère de ses chaînes.
L’hiver n’en finit
plus. Il fait froid. Laura tombe malade. Malgré les soins et
l’attention des Sœurs, elle ne guérira pas. Sa maman vient la
chercher et décide, à la grande fureur de Manuel Mora, de se
réfugier dans une petite maison louée à Junin, loin du domaine et de
son faucon. Un après-midi de janvier 1904, à l’improviste, les
sabots d’un cheval retentissent dans la petite cour. Manuel saute à
terre et entre en maître : “Je veux passer la nuit ici”. La
mère est glacée de frayeur. Laura, rassemble ses forces, se lève et
sort. Mora, qui craint un esclandre public, se jette sur elle, fou
de rage, la saisit par le bras, la ramène à la maison et se met à la
frapper sauvagement. Des gens accourent. Laura ne peut se défendre,
mais ses yeux ne manifestent aucune peur. L’homme cède et enfourche
son cheval pour s’éloigner au galop. Il est vaincu.
Mercedes, la mère est
désemparée. Elle n’a pas trouvé la force de protéger sa fille. Laura
l’appelle : “Viens, maman. Je veux te parler. Je ne guérirai pas,
tu sais. Je vais bientôt mourir. C’est moi-même qui l’ai demandé à
Jésus. Je lui ai offert ma vie pour toi… Pour que tu retournes à
Lui. Je t’aime”. Mercedes est anéantie. C’est donc pour elle que
sa petite souffre ? C’est pour elle qu’elle meurt ?
Le 22 janvier 1904,
Laura meurt paisiblement, elle n’a pas encore 13 ans. Le jour même,
Mercedes se confesse et communie. Une nouvelle vie commence en elle.
Il n’est pas facile de casser la chaîne qui la liait à Mora. Elle
s’enfuit en retraversant les Andes. Laura, son enfant lui a redonné
la vie. Elle repart seule, mais elle n’est plus désespérée : elle a
rencontré Dieu.
Daniel
FEDERSPIEL
http://www.salesien.com/bosco/laurav1.htm |