 |
STÉPHANIE QUINZANIE SONCINO
dominicaine,
mystique, bienheureuse
(1610-1661)
|
|

I
Cette grande
servante de Dieu naquit le 5 février 1457, à Orzinovi, petit village situé au-dessus
de Brescia. Laurent Quinzani, son père, et sa mère Marie Sabina, étaient deux
fervents chrétiens. Ils vivaient dans une
honnête médiocrité, et eurent trois
filles, Agnès, Stéphanie et Françoise. Vers l'année 1463, ils quittèrent Orzinovi, pour venir habiter Soncino.
Notre Ordre
possédait à Soncino le couvent de Saint-Jacques, qui venait d'être réformé par
la célèbre congrégation de Lombardie et renfermait un grand nombre de -religieux
éminents en doctrine, en éloquence et en sainteté . Parmi eux se trouvait le
Bienheureux Matthieu Carreri, de Mantoue, dont les prédications remuaient toute
la ville et y avaient déjà opéré d'admirables fruits de salut. Ce fut à lui que
s'adressa le père de notre Bienheureuse. Il avait embrassé la règle du
Tiers-Ordre, et allait assez souvent auprès de ce saint religieux chercher des
conseils et des moyens de s'avancer dans la vertu. Comme il aimait sa petite
Stéphanie d'une tendresse extraordinaire et qu'il eût voulu ne s'en séparer
jamais, il l'amenait facilement avec lui quand il venait voir le serviteur de
Dieu.
Le Bienheureux
Matthieu découvrant je ne sais quoi de surnaturel dans cette enfant, lui
témoignait une grande bonté. Il lui apprit la Salutation angélique, et quelques
autres petits exercices propres aux enfants de cet âge. Un jour, il lui dit
qu'en mourant il la ferait « son héritière. » L'enfant, pour lors, ne comprit
rien à ces paroles. Mais à la mort du serviteur de Dieu, elle se sentit frappée
au cœur d'une blessure extrêmement douloureuse. Au même moment, le Bienheureux
lui apparut et lui dit que cette blessure était l'héritage qu'il lui avait
promis . Cette grâce fut tenue secrète pendant bien des années ; mais le 15
avril 1504, notre Bienheureuse la déclara à son confesseur.
La grâce
prévenant la nature dans cette enfant de bénédiction, elle fut capable, à l'âge
de cinq ans, de se consacrer entièrement à Dieu. Dès sa toute petite enfance,
elle entendait souvent au fond de son cœur une voix qui lui criait : « Charité !
charité ! charité ! » comme pour l'exciter à aimer Dieu toujours davantage.
A sept ans,
pressée de se donner sans réserve à ce divin amour, elle fit les trois vœux de
virginité, de pauvreté et d'obéissance, et y ajouta la promesse de prendre plus
tard, comme son père, l'habit du Tiers-Ordre, si elle n'entrait point dans
quelque monastère. Ce fut le jour de l'Assomption qu'elle offrit à Dieu ce
sacrifice complet d'elle-même. Nôtre Seigneur voulut lui montrer combien il
l'avait pour agréable. Il lui apparut, accompagné de sa très sainte Mère, de
saint Dominique, de saint Thomas d'Aquin, et de sainte Catherine de Sienne : en
présence de tous ces témoins, il l'épousa, et comme gage de cette alliance, il
lui mit au doigt un anneau de grand prix. Plusieurs personnes, ayant examiné cet
anneau, ont assuré n'en avoir jamais vu de plus magnifique.
Après cet insigne
faveur, notre Bienheureuse commença à goûter Dieu d'une manière qui lui était
inconnue auparavant. Elle eut, en particulier, de grandes lumières sur le
mystère de la divine Eucharistie ; et, sa foi lui faisant découvrir son céleste
Époux sous les saintes espèces, elle trouvait des douceurs ineffables en la
présence du Très Saint6Sacrement. Quand elle priait à l'église, elle aimait à
être vis-à-vis du tabernacle; il lui semblait qu'alors son esprit se portait
droit à Jésus, et s'unissait à lui avec plus de facilité. Son plus grand bonheur
aurait été de pouvoir communier.
Vers l'âge de dix
à onze ans, elle sentit une forte inclination pour les souffrances. Elle
comprit, dans une grande lumière, que Jésus ayant marché toute sa vie par cette
voie, il ne lui était pas permis, à elle qui était son épouse, d'en suivre une
autre. Dès ce moment, elle se prit à demander souvent à Dieu de lui envoyer
toutes sortes de douleurs, et de la tenir jusqu'à la mort attachée à la croix.
Quand elle se remettait devant les yeux tout ce que Nôtre Seigneur a souffert
dans sa Passion, elle ne se contenait plus : « O mon Époux, s'écriait-elle, que
je souffre, puisque vous-même n'avez fait que souffrir ! Croix, douleurs de mon
Époux, passez maintenant de lui à moi : étant, par sa faveur, devenue son
épouse, j'ai droit à tout ce qui est à lui, à ses maux comme à ses biens ! »
Étant allée, vers
l'âge de douze ans, entendre la prédication qui se faisait dans la principale
église de Soncino, pour la fête de saint André, elle vit, au milieu du sermon,
cet apôtre se tenant dans les airs ; il lui montrait une grande croix, et lui
dit ces paroles : « Ma fille, voici le chemin du ciel : aimez Dieu, craignez
Dieu, honorez Dieu, embrassez la croix, et fuyez le monde. » Cette vision
augmenta encore son désir de souffrir.
Dès son jeune
âge, la Bienheureuse Stéphanie commença à pratiquer de rigoureuses privations du
côté de la nourriture. Elle s'était fait une habitude de ne jamais satisfaire
pleinement son appétit; on peut dire ainsi que son jeûne était perpétuel. Même à
l'époque où, encore jeune fille, elle allait aux champs pour se livrer aux
pénibles travaux de la campagne, ou à l'aire pour recueillir le grain, elle
observait ce jeûne, en ayant soin qu'on ne s'en aperçût pas autour d'elle.
Depuis la Toussaint jusqu'à Pâques, elle ne se nourrissait que de petites
galettes cuites sous la cendre, sans être pétries ni levées, toutes noires, et
d'une digestion difficile ; elle conservait, avec cela, son embonpoint
ordinaire, et un visage toujours souriant.
Six ans durant,
elle porta un rude cilice sur la chair sans le quitter ni jour ni nuit.
Lorsqu'il fut usé, et qu'elle songea à le renouveler, il se trouva tellement
adhérent au corps, qu'il fallut avec le cilice arracher la peau. Fort longtemps
elle porta aussi autour des reins une ceinture de corde, garnie de trente-trois
nœuds, en mémoire des trente-trois années que le Fils de Dieu a passées sur la
terre ; et elle la porta si serrée sur son corps, que lorsqu'elle vint à la
quitter, chacun de ces nœuds avait creusé dans les chairs une plaie profonde.
Pendant plus de trente ans, à l'imitation de saint Jérôme, elle se frappait la
poitrine avec un gros caillou, afin d'obtenir miséricorde tant pour elle-même
que pour les pauvres pécheurs. Presque tout le temps de sa vie elle suivit
l'exemple de saint Dominique, et prit tous les jours trois disciplines : la
première, pour honorer les souffrances de son divin Époux ; la seconde, pour
elle et pour tous les pécheurs du monde; et la troisième, pour les âmes du
purgatoire.
Que ne fit-elle
pas, afin de conserver toute sa vie une inviolable pureté de corps et d'esprit ?
Tous les partis qui se présentèrent successivement furent immédiatement rejetés.
Notre Sœur n'était point belle de visage, mais elle avait une magnifique
chevelure. Ayant su que c'était là son principal attrait, elle coupa entièrement
ses cheveux, pour témoigner le divorce éternel qu'elle faisait avec le monde.
Vaincu de ce
côté, le démon lui suscita de furieuses tentations afin de la détourner de son
dessein. Après avoir inutilement employé les créatures pour lui inspirer de
l'amour, il lui suscita d'horribles émotions dans sa chair, remplit son
imagination de fantômes importuns et la tourmenta si étrangement, qu'on eût dit
que tout l'enfer était déchaîné contre elle, pour la faire succomber. Mais cette
amante fidèle de Jésus-Christ, qui savait que ces combats ne se terminent
heureusement que par les douleurs qui affligent le corps, se ressouvenant de la
manière héroïque dont le patriarche saint Benoît avait triomphé des rebellions
de sa chair, en se roulant sur de piquantes épines, se servit du même remède
pour surmonter les siennes. Ayant aperçu deux charrettes chargées de ronces qui
se trouvaient par hasard dans la cour de la maison de son père, elle s'y
précipita une nuit, et, avec un courage intrépide, se roula sur les épines
jusqu'à ce qu'elle sentit, après s'être mise tout en sang, que l'excès de la
douleur avait entièrement amorti les rebellions involontaires de sa chair.
Après ce rude
combat, voyant la victoire gagnée, elle reprit ses vêtements et se retira dans
sa petite chambre. Elle se prosterna alors contre terre, et pria avec instance
saint Thomas d'Aquin, son cher protecteur, de lui obtenir de Dieu le don de
chasteté. Cette prière était à peine achevée, qu'elle se sentit mettre une
ceinture par des mains invisibles, qui lui serrèrent le corps avec tant de
violence, qu'elle en poussa les hauts cris. Les personnes qui occupaient la
chambre voisine, s'éveillant à ce bruit, accoururent pour savoir ce qui lui
était arrivé; mais voulant cacher cette grâce, elle leur répondit seulement
qu'elle avait éprouvé certaine douleur qui l'avait forcée de crier. Elle
raconta, dans la suite, cette faveur insigne à son confesseur, et elle l'assura
que, depuis ce moment, elle n'avait plus connu aucune tentation contre la
pureté, ni senti la moindre émotion humiliante.
Cette
incomparable pureté, la rendant plus capable des faveurs de son divin Époux, la
disposa à la communication la plus intime de toutes ses souffrances.
Vers l'âge de
quinze ans, elle se trouvait à Crema, un jour de Vendredi saint, dans la maison
de Jean-François Verdello. Toute la famille s'était rendue à l'église pour
entendre le sermon de la Passion. Restée seule au logis, elle se mit à
contempler les souffrances de son Sauveur. Dans cette méditation, elle répandit
une grande abondance de larmes. Notre-Seigneur lui révéla aussi beaucoup de
choses concernant sa Passion, et il lui déclara que désormais elle serait
associée à toutes ses douleurs, et que dans chacun de ses membres elle porterait
une partie de ce que lui-même avait souffert. Ce fut là le commencement des
grandes souffrances de notre Bienheureuse. Car, à partir de ce moment, outre ses
souffrances habituelles, elle a enduré tous les vendredis, ainsi que les deux
jours de l'Invention et de l'Exaltation de la Sainte-Croix, une partie des
douleurs que Jésus-Christ a souffertes dans sa Passion.
Elle avait
surtout une dévotion particulière aux mystères de l'agonie au Jardin des Olives,
de la flagellation sanglante, du couronnement d'épines et du crucifiement sur le
Calvaire. Elle en souffrait aussi plus sensiblement les douleurs. C'était un
spectacle navrant de la considérer dans cet état. On la voyait dans une sorte
d'agonie, pendant laquelle il lui sortait de tous les pores une sueur mêlée de
sang. Puis, on eût dit qu'on la déchirait de coups de fouet. Les cicatrices qui,
en plusieurs endroits de sa tête, distillaient le sang, avec d'excessives
douleurs, lui étaient comme un couronnement d'épines. Enfin, son corps se
trouvait sur une espèce de croix, par les tortures effroyables qu'elle endurait
en tous ses membres.
Beaucoup de
personnes de qualité et de mérite ont vu ces merveilles avec étonnement, et en
ont rendu des témoignages authentiques. Son confesseur, qui a composé sa Vie,
assure avoir vu de ses yeux les sacrés stigmates qu'elle avait aux pieds et aux
mains, et les trous de la couronne d'épines, que les anges lui mettaient sur la
tête tous les vendredis. Le marquis et la marquise de Mantoue, un protonotaire,
la duchesse de Cortona, la bienheureuse Sœur Osanna de Mantoue, et un grand
nombre d'autres personnes très pieuses et très doctes en ont pareillement été
témoins, et en ont signé un acte public dont l'original est conservé dans les
archives du Révérendissime Père Général.
Ce torrent de
douleurs ne pouvant éteindre l'ardeur que cette Bienheureuse avait pour les
souffrances, dont elle était insatiable, Dieu lui en communiqua une d'un autre
genre jusqu'alors inouï. Il lui semblait avoir, dans la poitrine, comme une roue
qui tournait avec une grande rapidité et lui déchirait et brisait le cœur.
C'était le vendredi qu'elle souffrait cet horrible supplice. Aussi longtemps
qu'il durait, la pauvre patiente ne faisait que crier, et ces cris étaient
parfois entrecoupés décès tendres et amoureuses paroles. « O mon doux Sauveur et
Rédempteur Jésus-Christ ! O âme de mon âme ! O cœur de mon cœur ! »
Notre
Bienheureuse n'a pas seulement participé aux souffrances extérieures du Fils de
Dieu, elle a été appelée à expérimenter aussi ses peines intérieures. Pendant
quarante ans, elle a marché dans des ténèbres, des sécheresses, des impuissances
et des délaissements terribles. Tous les jours, à certaines heures, elle se
trouvait sans lumière, sans goût, sans dévotion, sans amour, et dans des
difficultés effroyables de s'appliquer à Dieu. Dans ces moments, elle était
soumise à des dépouillements intérieurs, à des anéantissements, à des
soustractions si étranges, qu'elle eût succombé sous la rigueur de ces épreuves,
sans le secours de la grâce qui la fortifiait, et sans les faveurs
extraordinaires que Jésus-Christ communiquait à cette amante fidèle, et dont il
nous reste maintenant à parler.
II
La Bienheureuse
aimait Dieu avec tant d'ardeur, que son visage en aurait paru tout enflammé, si
Jésus-Christ, à sa très humble prière, n'avait empêché que le feu de la charité
qui embrasait 'son âme ne parût au dehors. Ce divin Sauveur voulut néanmoins
qu'on pût y remarquer la grandeur de son amour, dans les deux états de
consolation et de croix qui partageaient successivement sa vie, et qui
remplissaient son âme de joie ou de douleur. Dans le premier état, elle
paraissait avec un visage frais et vermeil et dans un embonpoint qui donnait de
l'admiration. Mais quand ce même amour lui faisait ressentir les douleurs de son
divin Époux, elle était pâle, maigre et tellement défaite, qu'elle portait dans
ses yeux et dans tout son extérieur la véritable image de la mort.
Dieu relevait,
dans son oraison, à de fréquentes extases. Pendant ces extases, son corps
demeurait froid, insensible et sans mouvement ; elle perdait même la respiration
: on eût dit qu'elle était morte. Son confesseur et plusieurs autres personnes
ont souvent entendu alors distinctement son ange gardien recommander aux
assistants d'avoir soin du corps de la Bienheureuse. Les personnes qui
demeuraient avec elle ne faisaient autre chose, quand elles la trouvaient dans
cet état, que la relever de terre et la transporter sur un lit jusqu'à ce
qu'elle fût revenue de son ravissement.
Pendant ces
extases si admirables, Dieu lui révélait les secrets du ciel et de la gloire des
élus. Une fois, elle fut conduite à travers tous les chœurs des anges et des
saints, et connut l'inégalité de leurs mérites par la différence de leurs rangs.
Étant parvenue au chœur des séraphins, elle vit plusieurs âmes qu'elle avait
connues sur la terre. Elle demanda à son conducteur par quelle vertu ces âmes
s'étaient élevées à ce haut degré de gloire ; il lui fut répondu que c'était par
la grande conformité et parfaite union de leur volonté avec celle de Dieu.
Elle connut
aussi, dans ce même ravissement, que tous les anges ensemble, et toutes les âmes
bienheureuses y comprise la glorieuse Vierge Marie, ne peuvent aimer Dieu autant
qu'il mérite d'être aimé. Tout aussitôt, comme si un voile lui fût tombé de
devant les yeux, elle vit un immense et très profond abîme d'amour, qui n'était
aimé par aucune pure créature. Alors, comme hors d'elle-même, elle se prit à
crier à Notre-Seigneur : « Ah ! mon Seigneur et Rédempteur, accordez-moi cette
grâce, que j'aime tout cet amour : autrement je ne saurais vivre ! »
Mais Jésus,
souriant, lui fit entendre comment sa volonté étant finie, et cet abîme d'amour
infini, elle ne pouvait l'enfermer dans la capacité créée de sa volonté finie.
Pour la consoler néanmoins, il lui dit que, si elle avait la volonté d'aimer
tout cet amour, il accepterait cette bonne volonté comme si réellement elle
l'aimait ainsi. « Ne pense pas, ajouta-t-il, que ce grand abîme d'amour reste
pour cela sans être aimé ; car si les créatures ne peuvent l'aimer, il est aimé
de moi-même, qui suis un bien infini. »
Après toutes ces
révélations, la Bienheureuse revenait à elle-même, dit un de ses biographes,
comme une personne qui « de la clarté d'un plein midi entrerait immédiatement
dans les ténèbres d'un plein minuit : si obscures et ténébreuses lui semblaient
les choses de ce monde, en comparaison des admirables qu'elle avait vues. »
Rapportons encore
quelques-unes des faveurs extraordinaires dont fut gratifiée la Bienheureuse
Stéphanie.
Étant un soir en
oraison, elle fut prise d'un ravissement. Il lui sembla qu'un vénérable
vieillard la conduisait sur le bord d'une belle rivière ; on croit que ce
vieillard était l'apôtre saint Paul, auquel elle avait été confiée par
Notre-Seigneur, ainsi que nous le dirons bientôt.
Lorsqu'ils eurent
marché quelque temps le long de cette rivière, ils rencontrèrent une grande
multitude d'anges, dont les uns descendaient du ciel et les autres y montaient.
« O mon Père, s'écria la Bienheureuse, s'adressant au vieillard, n'est-ce point
quelque illusion de Satan ? » – « Non, ma fille, répartit le vieillard, ce sont
des anges, qui vous apprendront le chemin pour arriver au parfait amour. »
Aussitôt elle se prosterna aux pieds de ces anges, et les conjura de lui
enseigner comment elle pourrait monter au parfait amour de son Époux et se
transformer entièrement en lui.
Un de ces anges
lui répondit : « II y a plusieurs choses qui font monter une créature
raisonnable au parfait amour de Dieu ; mais une des principales, c'est la vie
souffrante toute détrempée dans la douleur et les amertumes, accompagnée
néanmoins et suivie d'actions de grâces et de résignation à la volonté divine. »
« Quand l'homme,
ajouta cet ange, marche par ce chemin de l'affliction et de la désolation,
l'amertume qui remplit son pauvre cœur le dégoûte entièrement du monde et des
appâts de cette vie. L'homme étant dégoûté de ce monde, goûte d'un autre côté
son Dieu : goûtant Dieu, il s'attache à lui : s'attachant à lui, il embrasse
toutes ses volontés : embrassant toutes ses volontés, il se conforme entièrement
à lui : se conformant entièrement au bon plaisir de Dieu, il se transforme en
lui. Et ainsi l'affliction est le chemin du parfait amour et de la parfaite
transformation. »
L'ange ayant dit
ces choses, la vision disparut, et la Bienheureuse revint à elle-même avec un
désir plus embrasé que jamais de vivre et de mourir sur la croix et de ne
chercher aucune consolation dans les choses de ce monde.
Souvent il lui
semblait entendre une voix, comme si elle fût venue à elle du haut d'une tour
élevée, et cette voix lui criait : « Aime Dieu, aime celui qui t'aime, aime ce
bien infini. N'aime point ce monde trompeur, n'aime point celui qui ne t'aime
point. » Nous pouvons penser que cette voix était celle des anges qui,
considérant en elle un cœur si disposé aux plus vives flammes de l'amour,
étaient comme impatients de l'en voir toute embrasée.
Repassant, un
jour qu'elle était allée à l'église pour se confesser et communier, ces paroles
qui retentissaient si souvent au fond de son cœur, elle se disait à elle-même :
« O mon cœur, si tu veux aimer quelque chose, que ce ne soit pas ce monde
trompeur, mais aime Celui qui seul mérite d'être aimé. » A ce moment, son cœur
fut tellement ému, et il se mit à battre avec tant de violence, qu'elle fut
obligée de sortir de l'église et de retourner chez elle. En y entrant, elle
sentit une odeur qu'elle connut être miraculeuse. Elle se mit à genoux devant un
crucifix, et, toute baignée de larmes, elle fit cette prière : « Quand donc, mon
doux Sauveur, me donnerez-vous votre parfait amour ? Je ne veux d'autre amour
que le vôtre : je ne veux rien aimer que vous ! » Alors, l'image de Jésus-Christ
se détacha de la croix, et s'en allant à elle, l'embrassa tendrement, et
l'enflamma tellement du divin amour, qu'elle en conserva l'impression profonde
le reste de sa vie.
Notre-Seigneur
voulut un jour l'éclairer sur le mérite de l'obéissance, et lui montrer combien
cette vertu lui est agréable. Elle avait fait, pour son amour, un abandon absolu
de sa volonté entre les mains de son confesseur ; Notre-Seigneur lui apparut, et
lui dit : « Ma fille, parce que tu t'es généreusement dépouillée de ta propre
volonté, pour l'amour de moi, demande tout ce que tu voudras, et je te
l'accorderai. » Cette Bienheureuse, qui l'aimait uniquement, lui répondit, comme
avait fait autrefois saint Thomas d'Aquin à une semblable demande : « Je ne veux
pas autre chose, mon doux Seigneur, que vous-même. »
Par suite de sa
tendre dévotion envers le Très Saint Sacrement, la Bienheureuse était dans des
désirs continuels de communier, malgré la rage des démons qui employaient toute
leur malice pour l'en empêcher. Une fois, ils lui causèrent une si grande soif
pendant la nuit, qu'elle se trouva dans des ardeurs insupportables. Mais, par
une admirable tempérance, elle triompha de leur artifice; et le matin, elle se
retira de la sainte Table, après avoir reçu le corps de Jésus-Christ, tellement
éprise de son divin amour et rassasiée par ce pain des anges, qu'elle demeura
quarante jours sans prendre aucune nourriture, comme nous le lisons de sainte
Catherine de Sienne.
Fêtée le 16
janvier.
Archives
Dominicaines :
Document fourni
par Sœur Marie-Ancilla, dominicaine, que nous remercions.
|


–
–

|