Marie a choisi la meilleure part...
La période
estivale est un moment de rencontres, programmées ou
inattendues. Dimanche dernier, Jésus nous invitait à être
comme Lui le Bon Samaritain de toute personne en difficulté
; aujourd'hui, l'Écriture nous invite à ouvrir notre porte à
Dieu lorsqu'Il nous rend visite.
La rencontre
sous le chêne de Mambré fournit à notre réflexion beaucoup
d'éléments mystérieux.
Tandis que le
texte parle d'une apparition du Seigneur, Abraham voit
devant lui trois personnes ; étonnante, sa réaction de se
lever le premier et d'aller au-devant de ces trois inconnus,
avant même qu'eux se présentent à lui ; étonnante, son
attitude de se prosterner à terre ; étonnante sa salutation
au singulier ("Mon Seigneur") et au pluriel juste après ("on
va vous apporter un peu d'eau", "vous reprendrez des
forces").
Ces éléments
ont été souvent repris et diversement interprétés. Bien sûr,
notre foi voudrait d'emblée identifier ces trois-en-Un comme
une expression de la Sainte Trinité et une fameuse icône
orientale exprime en effet ces trois êtres dans un cercle
parfait qui les unit dans une seule Réalité, la Divinité. S.
Cyrille d'Alexandrie va dans ce sens.
Mais tous les
exégètes n'ont pas senti cette présence trinitaire. Certains
y ont vu la présence du Verbe de Dieu, entouré de deux anges
(saint Justin), ou comme trois anges simplement (Origène).
C'est que le Mystère trinitaire n'avait pas encore été
révélé tel qu'il l'est dans l'Évangile. Abraham le
connaissait-il ? En eut-il une intuition ce jour-là ? Le
texte n'est pas explicite, mais l'interprétation n'en est
pas interdite.
Reste que le
patriarche Abraham montre envers ces hôtes mystérieux une
hospitalité des plus empressées, en donnant des ordres à
chacun pour qu'on s'occupe bien d'eux. Origène fait
remarquer que cette scène est annonciatrice de l'attitude de
Jésus le Jeudi Saint, où Jésus lavera lui-même les pieds des
Apôtres avant de leur donner lui-même à manger.
Mais pour ne
pas nous disperser dans trop de détails, il semble que
l'importance à accorder aujourd'hui à ce récit est
primordialement l'hospitalité. Et l'Évangile nous fait
assister à ce touchant épisode de la réception de Jésus chez
Marthe et Marie.
On imagine bien
cette chère Marthe, perdue dans ses marmites, tout
essoufflée de passer de la cuisine à la salle à manger et,
excessivement angoissée de bien recevoir le Seigneur,
l'apostrophe tout de go en réclamant l’aide de Marie.
Chère Marthe !
Si inquiète pour préparer le repas de trois personnes ! Et
pour cette préparation, prétendre que sa sœur Marie vienne
l'aider : et qui aurait entretenu Jésus en attendant ?
Fallait-il Le laisser attendre tout seul ?
On a dit aussi
que le Seigneur, avec "l'unique nécessaire", voulait
suggérer à Marthe qu'il suffisait d'un seul plat pour bien
manger, et qu'elle se donnait trop de mal. Ce n'est
apparemment pas vraiment le sens du texte, car Jésus aurait
dit bien plus clairement “un seul plat” au lieu de dire “une
seule chose”.
Marthe a une de
ces réactions humaines bien compréhensibles dans la
relativité de cette terre ; mais Jésus ne lui répond pas de
façon humiliante ; il élève le discours : l'important n'est
pas l'activité ou la méditation, mais d'être à l'écoute de
Dieu quoi qu'on fasse.
Cette “unique
chose nécessaire” peut très bien nous rappeler la parole du
psalmiste : “Je n’ai demandé qu’une chose au Seigneur, celle
que je rechercherai : d’habiter dans la maison du Seigneur
tous les jours de ma vie” (Ps 26:4), étant bien entendu que
nous pouvons habiter dans la maison du Seigneur en
nous tenant sans cesse à son écoute, même si nous ne sommes
pas à chaque instant dans un monastère ou un lieu de prière.
A cette “unique
chose nécessaire” fera aussi écho saint Paul lorsque,
évoquant ses nombreux travaux et ses pénibles souffrances,
il écrit humblement aux Philippiens : “Je ne me flatte point
d’avoir déjà réussi ; je dis seulement ceci :
oubliant le chemin parcouru, je vais droit de l’avant, je
cours vers le but…” (Ph 3:13-14), vers le Christ.
Commentant
l’extrait évangélique d’aujourd’hui, s. Augustin écrit très
intelligemment : “Que Marie ait choisi la meilleure part,
ne signifie pas que Marthe en ait choisi une mauvaise,
une moins bonne”. Les Marie (entendez : les âmes
contemplatives), ne sont jamais inactives ; ce serait
méconnaître la vie des monastères. Les Marthe donnent
l'impression d'être plus efficaces parce qu'on les voit à
l'œuvre : enseignement, visites, soins, déplacements divers
; mais cette activité serait morte, sans une intense
activité méditative parallèle : c'est le danger de
l'activisme, où l'on oublie que "tout ce que vous ferez au
moindre de mes frères, c'est à moi que vous l'aurez fait".
En quelque sorte, il faut rester à chaque instant en
compagnie de Jésus-Christ.
De cette visite
que fait le Seigneur à Marthe et Marie, comme de celle de
ces trois Personnages à Abraham à Mambré, saint Paul se fait
aussi l’écho quand il rappelle que le Christ est au
milieu de vous, lui, l’espérance et la gloire”. Mais
Paul dit plus, car la présence de Christ, qui lui donne
toute sa joie, se fait dans les souffrances : je trouve
la joie dans les souffrances que je supporte pour vous,
ajoute-t-il, et nous lisons ensuite cette phrase aussi
étonnante que mystérieuse : j’accomplis dans ma propre
chair ce qu’il reste à souffrir des épreuves du Christ.
La joie dans la
souffrance ? Paul préconiserait-il une sorte de dolorisme,
de masochisme avant la lettre ? Faut-il rechercher
volontairement des souffrances, pour souffrir à tout prix,
pour ne jamais goûter un peu de notre bonne santé, de notre
vie calme ? Dieu veut-Il que nous souffrions sans cesse ?
Et que
manque-t-il aux souffrances du Christ ? Le Sacrifice de la
Croix serait-il incomplet ? imparfait ?
Il est vrai que
la vie des Saints nous offre plus d’un exemple de ces
“pénitences” que s’imposaient certains moines du désert,
dans leurs jeûnes, sur leurs colonnes ouvertes à toutes les
intempéries, jusqu’aux Marguerite-Marie Alacoque
ou Germaine de Pibrac
ou encore aux pastoureaux de Fatima, les bienheureux
Francisco et
Jacinta Marto
, et encore tout récemment à la bienheureuse
Alexandrina da
Costa ?
Sans parler des innombrables Martyrs de tous les temps,
depuis saint Etienne,
le Premier Martyr, jusqu’aux victimes des régimes
totalitaires récents, ou des révoltes locales en de si
nombreuses contrées d’Afrique ou d’Asie.
Ces deux
questions appellent une réponse, cherchons-la, du moins
tâchons de nous en approcher.
En ce qui
concerne la recherche des souffrances, sauf dans le cas
d’une mission toute particulière qui fut demandée du Ciel à
tels ou tels Saints, il n’est jamais requis de chercher la
souffrance pour elle-même, mais nous sommes expressément
invités à accepter avec paix celles qui se présentent à
chaque moment de notre vie et qui sont nombreuses :
maladies, tristesses, déceptions, privations, injustices,
humiliations diverses, mille occasions se répètent tout au
long de notre courte existence terrestre.
Le Christ nous
invite à les accepter avec douceur, en pensant à tout ce
qu’Il souffrit Lui-même, sans jamais se plaindre, pour tous
les hommes et chacun de nous. La révolte qui nous tente
souvent n’apporte jamais de solution à la souffrance,
souvent elle ne fait que l’augmenter. “Prenez donc, dit-Il,
mon joug sur vous-mêmes, et apprenez de moi que je suis doux
et humble de cœur” (Mt 11:29).
Depuis le
premier péché adamique, la souffrance est le lot de tout
être vivant. Elle existait avant le Christ, elle existe
après Lui ; Il n’est pas venu pour l’enlever, mais pour
l’assumer et la porter à sa perfection : être soi-même un
Sacrifice vivant. A ce prix, les pécheurs peuvent rouvrir
les portes du Ciel. Et comme nous sommes tous des membres du
Corps du Christ, comme Lui et avec Lui, nous avons notre
part de souffrances. Chacune de nos peines, acceptée avec
paix et esprit de sacrifice, est une richesse pour obtenir
le pardon de nos fautes, et aussi de celles de nos frères,
vivants et défunts.
Souffrir est
douloureux, Dieu le sait mais “Il ne permettra pas que vous
soyez tentés au delà de vos forces. Avec la tentation, il
vous donnera le moyen d’en sortir et la force de la
supporter” (1 Co 10:13).
Une prière, extraite des
Confessions de Saint Augustin, reprend la même
doctrine : “Dans ta fidélité, tu ne permets pas que
nous soyons tentés au-delà de ce que nous pouvons supporter,
mais avec la tentation, tu nous montre aussi par quel moyen
nous puissions résister.
Le Christ est
là, Il vient à notre rencontre ; à chaque instant nous
pouvons Le reconnaître si notre cœur est ouvert. Chaque
être, chaque situation de vie, est une rencontre avec Lui.
C'est vers Lui que nous devons nous hâter. Paul nous le
rappelle avec enthousiasme : Christ est au milieu de
vous, l’espérance de la gloire !
Les trois
personnages de Mambré ont fait l’honneur à Abraham de venir
“sous sa tente” ; logiquement il aurait été plus normal
qu’Abraham fût reçu sous la tente de ces hôtes mystérieux,
s’ils en avaient eu une ; humblement encore, ils se sont
abaissés à la condition humaine, comme fera le Christ qui
habitera sous la tente de l’homme, pour qu’à notre tour nous
puissions habiter sous la tente divine de la perfection.
Le psaume 14
évoque cette tente et interroge : Qui habitera sous ta
tente, Seigneur ? ― Celui qui se conduit parfaitement, agit
avec justice, dit la vérité, ne fait pas tort à son frère,
n’outrage pas le prochain, prête sans intérêt.
Oui, celui qui
peut vivre ainsi sera vraiment dans une grande perfection.
La Prière du jour ― faisons-la nôtre ― nous fait demander à
Dieu la foi, l’espérance et la charité, les trois
vertus théologales, celles qui principalement nous insèrent
dans la Vie divine et nous conduisent sous la tente de Dieu,
celles principalement qu’on examine dans la vie des futurs
Bienheureux et Saints.
Nous sommes
tous appelés à être des Saints, ne l’oublions jamais.
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