“Notre Père...”
Dimanche
dernier, Dieu est venu à la rencontre d’Abraham, et Jésus
est venu visiter Marthe et Marie. Aujourd’hui, nous allons
apprendre comment nous adresser à Dieu, dans la prière.
L’unique prière
que Jésus nous ait enseignée, le Notre Père, consiste en
quelques lignes brèves, plus brèves chez Luc (notre
évangile) que chez Matthieu (Mt 6:9-13), et pourtant nous
voyons Jésus passer parfois “toute la nuit” en prière ; Paul
recommande de prier “sans s’arrêter” (sine intermissione,
1Th,5:17) ; comment comprendre aussi tout le développement
de la liturgie, les multiples et diverses dévotions, les
Chemins de Croix et autres Rosaires et Neuvaines de la vie
chrétienne ?
Disons tout de
suite ― rappelons-le ― que la prière ne consiste pas à
“réciter” et encore moins à multiplier des formules ; la
prière est une conversation confiante entre Dieu et nous,
une attitude par laquelle nous nous ouvrons à Dieu et nous
nous disposons à accomplir Sa volonté.
Notre condition
humaine nous empêche souvent de voir exactement où est le
Royaume de Dieu ; c'est dans cette intimité sacrée de la
prière que peu à peu l'âme perçoit ce Royaume, et finit par
y adhérer. Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa
justice, et le reste vous sera donné de surcroît (Luc
12:31).
Durant sa
longue conversation avec Dieu, Abraham semble marchander
avec le Tout-Puissant le salut de toute une ville perdue
dans le grave péché contre nature. En réalité, Abraham ne
marchande pas, ce serait imaginer que Dieu se serait
peut-être trompé ; mais durant cette prière sincère, la
volonté du saint Patriarche adhère de plus en plus
parfaitement à celle de Dieu et quand il comprend qu’il n’y
a pas même dix justes dans Sodome, il laisse agir Dieu :
c’est Dieu qui a raison ! Mais le dialogue entre Dieu et
Abraham nous montre la réelle influence que peut avoir la
prière sur les événements, car par cette prière nous
participons à l'œuvre de la rédemption.
Il faut bien
retenir aussi l’autre demande de la Prière du Seigneur :
Pardonne-nous, comme nous pardonnons. Demander pardon ! Se
reconnaître pécheurs est la première chose à faire quand
nous nous adressons à Dieu ; par là commence notre Liturgie
; comme cela priait le cher Publicain de la parabole, qui
fut exaucé, nous dit Jésus. Et pardonner aux autres : oui,
pardonner, vraiment, du fond du cœur, oublier le tort reçu,
sourire à celui qui m’a blessé ; un chrétien devrait
toujours avoir le sourire, parce qu’il est heureux de
pardonner.
Demander
sincèrement pardon, pardonner sincèrement, voilà la première
prière que nous devrions faire. Paul évoque ce pardon : par
notre baptême, nous sommes morts et ressuscités avec
Jésus-Christ ; Dieu nous a donné la vie, il nous a
pardonné tous nos péchés ; notez bien le “nous” : Paul,
humblement, se sent du nombre des pécheurs, il reconnaît
toujours son péché d’avoir persécuté l’Église.
La prière
proprement dite peut très bien se contenter de quelques mots
; elle peut aussi se prolonger longtemps : à chacun sa
mesure. Mais la vraie prière du chrétien, c’est que toute sa
journée soit organisée pour que (son) nom soit sanctifié
et que (son) règne vienne, en s’efforçant de plaire à
Dieu dans chacune de nos occupations.
Le nom de Dieu
est sanctifié, quand je trompe mon prochain ? Le règne de
Dieu arrive, quand je suis paresseux au travail ? Je
pardonne, quand je raconte le mal des autres ?
Attentifs à
cette priorité du Royaume de Dieu, nous comprendrons vite
que notre prière est bien plus agréable à Dieu si elle
s'accompagne de nos bonnes œuvres et de notre sourire
sincère envers les autres. En retour, nous le savons et
Jésus l’a promis : “Jusqu’ici vous n’avez rien demandé en
mon nom. Demandez et vous recevrez, et votre joie sera
parfaite” (Jn 16:24). Le psaume 137 exprime cette action de
grâce pour tous les bienfaits reçus de Dieu. Avant de prier
Dieu pour obtenir, sachons Le remercier d’avoir déjà reçu en
abondance !
Jésus ne manque
pas d'humour dans sa petite histoire : vous connaissez un
"ami" qui vous réveille en pleine nuit ? Quel sans-gêne (le
Christ appelle cela “improbitas”, malhonnêteté, effronterie)
! et qui vous demande "trois" pains pour recevoir quelqu'un
de passage, là où un seul pouvait suffire !… Mais voilà, le
brave père de famille qui a été dérangé dans son sommeil,
sait garder le sourire, et finit par ouvrir sa porte à
l'importun, pour le laisser aller en paix et ne pas créer de
tension.
Il y a dans le
psaume 137 d’aujourd’hui des éléments tout-à-fait semblables
à la Prière que nous enseigne Jésus : Je rends grâce à
ton Nom, qui annonce Que ton Nom soit sanctifié ;
puis : Si je marche au milieu des angoisses, tu me fais
vivre, qu’on retrouve bien dans Ne nous soumets pas à
la tentation.
Pourquoi Luc
a-t-il “abrégé” la prière que Matthieu a rapportée avant lui
? On a avancé que la demande Que ton Nom soit sanctifié
était incluse dans Que ta Volonté soit faite ; et
de même, que Délivre-nous du Malin était compris dans
Ne nous amène pas dans la tentation.
Ce fut ici une occasion des
hérétiques pélagiens
de prétendre qu’il n’était pas nécessaire de demander à Dieu
ces grâces, car Il nous les donnait de toutes façons en
accomplissant Sa Volonté. C’était parler un peu rapidement,
car Dieu accorde toujours Sa grâce, certainement, mais cette
grâce ne fructifie qu’à la condition que le cœur de l’homme
la reçoive avec empressement.
Jésus nous a
montré comment prier, mais aussi comme Il a prié lui-même,
dans la soumission à Dieu et le pardon de ses ennemis.
L’Évangile nous rapporte la prière qu’Il vit à Gethsémani,
puis sur la croix :
Père, non
pas ma volonté, mais que ta volonté soit faite (Luc
22:42).
Père, pardonne-leur : ils ne savent ce qu'ils font
(Luc 23:34).
Et avant même
de demander cette miséricorde pour les autres, nous la
demanderons pour nous-mêmes dans l’oraison du jour, bien
conscients de notre faiblesse et de nos péchés quotidiens
contre l’amour fraternel.
Après cet
enseignement sur la prière, puis la guérison d’un muet,
voici que s’élève une voix dans la foule : “Heureux le
ventre qui te porta et les mamelles que tu suças”. On a
demandé si cette voix était celle de Marthe, qui venait de
recevoir Jésus (fin du chapitre précédent, lu dimanche
dernier), ou de sa servante. La question reste posée, sans
réponse, puisqu’aucune source historique ne peut y répondre.
Mais retenons la réponse de Jésus :
Heureux
plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et la gardent
(Lc 11:27-28).
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