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A
l’universalité de l’Église, dont il était question dimanche
dernier, l’Église s’empresse aujourd’hui d’ajouter une leçon
sur l’humilité, de peur peut-être que certains d’entre nous
conçoivent quelque pensée d’orgueil.
En effet, même
si l’Église n’est pas majoritaire dans le monde entier, elle
n’en reste pas moins l’organisation la plus universellement
développée, la plus structurée autour de son clergé, de ses
évêques, et du pape romain. Outre cet aspect extérieur de
l’Église, l’auteur de l’épître aux Hébreux - saint Paul ou
un de ses disciples, peu importe ici - ajoute que nous avons
été introduits sur la montagne de Sion, vers la cité du
Dieu vivant, la Jérusalem céleste, vers des milliers d’anges
en fête… Quel honneur !
Nous oublions
facilement que par notre baptême, par les Sacrements, par la
prière, nous sommes en permanente compagnie de Dieu, des
Anges et des Saints qui sont déjà au Ciel. Quel bonheur !
Mais comme
notre condition terrestre est d’être faibles et pécheurs,
nous ne devons jamais oublier non plus d’être humbles.
Spontanément, nous avons tous en nous une aversion envers
les orgueilleux, les ambitieux, mais il n’en reste pas moins
vrai que très facilement nous nous laissons aller aussi à
des pensées vaniteuses : “J’ai” fait ceci, “j’ai” fait cela
; ou aussi à prétendre faire mieux que les autres et, en
quelque sorte, à nous hisser nous-mêmes sur la haute marche
du podium.
Déjà dans le
Discours sur la Montagne, Jésus invitait notre gauche à
ignorer ce que fait (notre) droite (Mt 6:3).
Aujourd’hui, Jésus nous invite à prendre la dernière place,
humblement, quand nous sommes invités. En réalité, Jésus
rappelle à ses auditeurs un passage des Proverbes qu’ils
devaient pourtant bien connaître : En face du roi, ne
prends pas de grands airs, ne te mets pas à la place des
grands ; car mieux vaut qu’on te dise ‘Monte ici’ que d’être
abaissé en présence du prince” (Pr 25:6-7). La leçon est
évidemment claire. Voyons, pour nous encourager, quelques
autres traits d’humilité dans l’Écriture Sainte.
Pensons d’abord
à Abraham, qui vivait pour ainsi dire en compagnie de Dieu
et n’agissait que sur l’ordre de Dieu ; on a lu il y a
quelques semaines qu’au moment où il veut intercéder pour
Sodome, le saint patriarche se rappelle d’abord qu’il est
poussière et cendre (Gn 18:271
) ; lui à qui Dieu avait parlé, il s’humilie profondément
devant Yahwé. On admirera aussi la modestie d’Anne, la
future maman de Samuel (1S 1, premier livre des Règnes dans
la Vulgate), et son très beau chant d’action de grâces :
Mon âme exulte en Yahwé… Ne multipliez pas les paroles
hautaines, que l’arrogance ne sorte pas de votre bouche… (1S
2:1,3), que reprendra à sa façon Marie quelques siècles
plus tard : Mon âme exalte le Seigneur… Il a jeté les
yeux sur son humble servante… Il a dispersé les hommes au
cœur superbe… Il a élevé les humbles (Lc 1:46,48,51-52).
On lit aussi que le roi Roboam, reconnaissant ses erreurs,
dit humblement avec ses officiers : Yahwé est juste
(2Ch 12:6). Plus loin encore, le roi Ezéchias, repenti,
s’humilia de l’orgueil de son cœur, ainsi que les habitants
de Juda et de Jérusalem : la colère de Yahwé cessa de
s’appesantir sur eux (2Ch 32:26). Puis c’est au tour de
Manassé, vaincu et captif, de se repentir, de s’humilier
profondément devant le Dieu de ses pères ; il le pria et Lui
se laissa fléchir. Il entendit sa supplication et le
réintégra dans son royaume à Jérusalem (2Ch 33:12-13).
Et le pieux roi Josias, à qui on lit le Livre de la Loi,
complètement oublié et égaré depuis des années, déchira
ses vêtements et Dieu lui fait dire par le prophète :
Parce que ton cœur a été touché et que tu t’es humilié
devant Dieu en entendant les paroles dont il a menacé ce
lieu et ses habitants, parce que tu t’es humilié devant moi,
que tu as déchiré tes vêtements et que tu as pleuré devant
moi, moi aussi j’ai entendu, oracle de Yahvé (2Ch
34:19,27). Ce sera le même mouvement de repentir qu’on
trouvera à Ninive (Jon 3:5-10).
Le même livre
des Proverbes que reprend Jésus, nous donne quelques versets
bien marqués : Chez les humbles se trouve la sagesse
(Pr 11:2b). Et encore : Mieux vaut être humble avec les
petits qu’avec les superbes partager le butin (Pr
16:19). Par la bouche du prophète Isaïe, Dieu nous dit :
J’habite une demeure élevée et sainte, mais je suis
également avec l’homme contrit et humble, pour ranimer
l’esprit des humbles, pour ranimer les cœurs contrits (Is
57:15).
Dans le Nouveau
Testament, nous trouvons maintenant cette belle phrase du
grand Jean-Baptiste, vers lequel accouraient les foules, et
qui disait avec toute la simplicité de son cœur qu’il
n’était pas digne de délier la courroie des sandales (de
Jésus) (Jn 1:27).
Il y a aussi le
Centurion, ce païen plein de foi dont chaque jour à la Messe
nous redisons cette phrase si profonde : Je ne suis pas
digne que tu viennes en moi (cf. Mt 8:8). Et pour
résumer tout l’enseignement de Jésus et son amour pour les
humbles, écoutons-Le nous dire : Qui donc se fera petit
comme ce petit enfant-là, voilà le plus grand dans le
Royaume des Cieux (Mt 18:4).
C’est à dessein
qu’on s’est un peu étendu ici sur la seule Écriture, dont
beaucoup de passages échappent totalement à notre mémoire,
mais l’histoire humaine nous donne aussi d’autres exemples
d’humilité. Ainsi Socrate, cinq siècles avant le Christ, qui
répétait humblement : “Je ne sais qu’une chose, c’est que je
ne sais rien”. Et maintenant, voyons dans des exemples plus
récents, plus proches de nous, comment de grands Saints ont
cherché à vivre cette sainte vertu de l’humilité.
Le pieux roi de
France Louis IX se fit un jour interpeller sous son chêne de
Vincennes par une brave femme, qui l’accusa et l’insulta de
la plus belle manière ; tandis que les proches du roi
s’attendaient à devoir punir cette vilaine insolence, ils
entendirent stupéfaits le roi répondre tout simplement :
Vous avez raison, ma Dame, oncques n’ay songé que je valois
davantage. Ce qui fit s’éloigner la malheureuse, toute
confuse.2
Une religieuse
espagnole récemment béatifiée, Francinaina Cirer Carbonell
de la Vierge des Douleurs, était illettrée, mais c’est son
zèle apostolique qui la conduisit à fonder à Majorque une
Congrégation de Sœurs de la Charité.3
Bien sûr, il ne s’agit pas ici de décourager nos jeunes de
leurs études, mais on remarque comment Dieu choisit parfois
les instruments les plus inattendus pour travailler à Sa
vigne.
Le saint
Curé d’Ars ne manquait
pas de susciter quelques moqueries de la part de ses
camarades, bien plus jeunes et plus vifs que lui pour
assimiler les déclinaisons latines, mais jamais il ne se
départit de son sourire et de son calme.4
Plus tard, une fois prêtre, il parlera de l’humilité en ces
termes : L'humilité est aux vertus ce que la chaîne est
aux chapelets : enlevez la chaîne et tous les grains
s'échappent ; ôtez l'humilité, et toutes les vertus
disparaissent.
Ces exemples
nous font comprendre que la sainte vertu de l’humilité a
ainsi des facettes diverses. Le psaume 67 d’aujourd’hui nous
montre comment Dieu est proche des orphelins, des
veuves, de l’isolé, du captif, Lui, le
Dieu qui est bon pour le pauvre. Ce sont là tous les
“blessés de la vie” dont parlait Jean-Paul II lors d’un de
ses voyages en France. Ce n’est pas à dire que tout
orphelin, toute veuve, tout prisonnier, soit automatiquement
humble du moment qu’il est dans cette situation : des
orphelins peuvent aussi être très orgueilleux ! Mais ces
situations douloureuses, déjà humiliantes en soi, peuvent
aussi parfois stimuler une grande sainteté. En voici
quelques illustrations fameuses.
Comme exemple
d’orphelin on pourra retenir le bienheureux
Nunzio Sulprizio, jeune
italien béatifié au moment du Concile de Vatican II, et
proposé par le pape comme modèle de tous les jeunes
ouvriers. Sa vie, si brève, ne fut qu’une ascension vers la
sainteté5.
On ne peut
qu’être stupéfait d’admiration devant cette sainte épouse
espagnole du XIXe
siècle, Rafaela
Ybarra de Arambarri de Villalonga, déjà mère de sept
enfants, qui adopta avec son mari ses cinq neveux orphelins
et, une fois veuve, ses six petits-enfants devenus eux aussi
orphelins ; non seulement, mais elle fonda ensuite à Bilbao
le Collège des Anges Gardiens, pour s’occuper des petites
filles abandonnées.6
Citons enfin le
cas d’une conversion vraiment exemplaire, celle du captif
Jacques Fesch, un criminel condamné à mort et exécuté le 1er
octobre 1957. De révolté, ce pauvre garçon se soumit peu à
peu totalement à la volonté de Dieu et put écrire, la veille
de son exécution : Dans cinq heures, je serai avec Jésus.
Son procès pour la béatification est en cours.7
Quand nous
demandons à Dieu, dans la Prière du jour, de “développer ce
qui est bon en nous”, on pourra appliquer cette expression
assez générale à l’acquisition de l’humilité, cette vertu si
nécessaire. Et finissons par ce mot de saint Augustin :
“Trois sont les voies qui conduisent à la connaissance de
Dieu: la première est l’humilité; la seconde est l’humilité
; et la troisième est l’humilité.”
Abbé Charles
Marie de Roussy
1 Première lecture du 17e
dimanche.
2 Saint Louis est fêté le
25 août.
3 Béatifiée en 1989, elle
est fêtée le 27 février.
4 Saint Jean-Marie
Vianney est fêté le 4 août.
5 Bienheureux Nunzio
Sulprizio (1817-1836), béatifé en 1963, fêté le 5 mai.
6 Elle fut béatifiée en
1984 et sa fête est au 23 février.
7 Jacques Fesch,
1930-1957. |