Martyrs d'Orange

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Martyrs d'Orange

LES TRENTE-DEUX RELIGIEUSES GUILLOTINÉES A ORANGE
 6-26 JUILLET 1794

La ville de Bollène appartenait avant 1789 au diocèse de Saint-Paul-Trois-Châteaux. Il s'y trouvait deux couvents de religieuses, l'un de Sainte-Ursule, l'autre du Saint-Sacrement. Une religieuse sacramentine a laissé le récit qu'on va lire. On y trouvera mentionnées quelques religieuses d'autres maisons : une bénédictine de Caderousse, trois ursulines du Pont-Saint-Esprit, deux bernardines d'Avignon, une ursuline de Carpentras, une de Fernes, une de Sisteron.

RELATION DE LA CONDUITE ET DES VERTUS.

L'esprit de recueillement, de mortification, de pauvreté, d'obéissance, d'oraison, en un mot toutes les vertus religieuses qui animaient nos anciennes mères et sœurs, faisait l'édification du public, et la bonne odeur de leurs vertus s'étendait au loin. Elles jouissaient elles-mêmes de la paix et de l'union la plus parfaite, cimentée par les liens de la charité de notre divin Sauveur.

Bientôt des édits cruels furent publiés de toute part pour signifier aux religieuses de sortir de leurs monastères. A cette époque, la communauté du Saint-Sacrement comptait 23 religieuses choristes, 5 sœurs converses et 2 sœurs tourières ; elles avaient à leur tête la Révérende Mère du Cœur de Marie, de la Fare, personne d'une rare vertu et douée de tous les talents propres à une supérieure accomplie.

On peut concevoir combien fut douloureux pour notre bonne mère supérieure le coup fatal de la suppression de son monastère, et de la dispersion de ses chères filles. Si chaque religieuse en pareille circonstance doit mourir de douleur, la pauvre supérieure meurt autant de fois qu'elle a de religieuses. Quelle ne fut donc pas son affliction quand elle se vit elle-même forcée à obliger ses filles de sortir de leur Jérusalem bien-aimée pour rentrer dans la Babylone ! Son cœur palpitait de crainte en voyant que ces vierges dont elle avait pris tant de soins allaient tomber dans la gueule des loups prêts à les dévorer ; mais ranimée par sa foi, elle ne laissa pas abattre son courage, et comme un autre Abraham, elle prit en main le glaive de la force et se mit en devoir d'obéir. Elle pria, elle exhorta, elle dit à ses saintes filles que Dieu veut qu'elles sortent de leur monastère, qu'il est temps plus que jamais de se faire une retraite intérieure qu'on ne puisse leur ravir, car pour le couvent qu'elles habitent il ne faut plus penser d'y demeurer. Quelle triste annonce pour des religieuses qui avaient un si grand attachement à leur sainte vocation ! Aussi, malgré leur soumission aveugle aux ordres de leur supérieure, elles ne purent s'empêcher cette fois d'opposer des résistances à sa volonté ; elles voyaient bien qu'elle ne commandait que malgré elle.

Elles crurent donc qu'il leur était permis d'employer les prières et les larmes pour obtenir de la bonté de Dieu la révocation de la sentence que des hommes iniques avaient portée. Quel crève-cœur pour notre Révérende mère, si fortement attachée à son Dieu, de se trouver dans l'indispensable nécessité non seulement de sortir de ce saint asile, mais encore d'en faire sortir ces épouses de Jésus-Christ malgré elles 1 Le Seigneur vint à son aide, en lui envoyant dans ce moment décisif une religieuse visitandine, grande servante de Dieu, conduite par des voies extraordinaires. Cette vertueuse fille eut grâce pour décider nos sœurs à ce sacrifice. « C'est la volonté de Dieu que vous quittiez le voile, leur dit-elle, pourquoi voudriez-vous le garder ? Vous me voyez hors de mon cloître, il faut que liées au même époux vous subissiez le même sort. » Ces paroles furent si efficaces qu'elles consentirent enfin à se séparer. Mais il fut convenu qu'elles ne céderaient qu'à la force.

Depuis quelque temps on avait enlevé à nos sœurs leurs propriétés. Tous les jours elles s'attendaient à recevoir l'ordre fatal de quitter leur saint asile. Ce fut le 9 octobre 1792 que quatre municipaux de Bollène se présentèrent à la porte du couvent pour les obliger à en sortir. La supérieure obtint un délai de trois jours. Pendant cet intervalle, elles eurent la douleur de voir profaner les vases sacrés, leur monastère fut envahi par une troupe de brigands, qui sous prétexte de faire l'inventaire du mobilier de la maison, emportaient ce qui était à leur convenance. On permit seulement aux religieuses d'enlever ce qu'elles avaient dans leurs cellules, ce qui se réduisait à bien peu de choses. Elles purent cependant, avec l'assistance d'amis dévoués, sauver quelques ornements d'église, et quelques meubles qu'on fit sortir de nuit par des portes dérobées; les tables du réfectoire furent cachées par maître Linsolas, menuisier, qui les démonta et en fit un plancher à son grenier à foin avec l'intention de les rendre dans un temps plus heureux ; ce qu'il a fait lorsque nos sœurs sont rentrées dans leur maison.

Prévoyant les blâmes qu'on voulait faire tomber sur les communautés religieuses, la Révérende mère supérieure déclara aux municipaux, avant de sortir de son monastère, par un acte authentique signé de toutes les religieuses, que c'est la force seule et non tout autre motif qui les obligeait à rentrer dans le monde.

Le soir du 13 octobre 1792, nos sœurs se virent forcées de quitter leur chère solitude. Que de larmes ! Que de sanglots, lorsqu'il fallut se séparer et sortir de cette maison de paix sur laquelle le Seigneur s'était plu à verser par torrents ses grâces et ses bénédictions I Elles ne purent aller toutes ensemble ; les unes furent reçues par des amis de la communauté, d'autres allèrent chez leurs parents qui s'empressèrent de venir les prendre dans des voitures à la porte du monastère.

Hors de l'arche sainte, Mme de la Fare ne les abandonna pas ; elle les retira auprès d'elle dans une maison de Bollène louée à cet effet, et leur procura autant qu'il fut possible les secours de la religion par le ministère de M. l'abbé Tavernier de Courtines. Ce vertueux ecclésiastique était depuis quelque temps aumônier de la communauté. Son zèle, sa foi, sa piété excitèrent contre lui la haine des révolutionnaires qui le cherchaient pour l'immoler à leur fureur. Nommé par Pie VI administrateur du diocèse de Saint-Paul-Trois-Châteaux, M. Tavernier s’acquitta de cette tâche avec beaucoup de zèle. Nos sœurs furent l'objet de sa constante sollicitude. Il les encourageait, les soutenait, leur procurait les sacrements et même la consolation d'avoir la sainte réserve enfermée dans une armoire, où tour à tour elles venaient faire leur adoration.

Nos sœurs étaient obligées de travailler pour se procurer une honnête subsistance ; elles faisaient des ouvrages de couture, de broderie, de tricotage. La digne supérieure travaillait comme les autres et pourvoyait aux. besoins de chacune. Cette position, quoique pénible, était: néanmoins bien consolante, puisqu'elle lui procurait lai joie de rester avec ses chères filles. Mais le moment des; consolations n'était plus, il ne devait plus y avoir pour elle que des tribulations. Elle fut enlevée à l'amour de: ses enfants par la malice d'un municipal qui la contraignit de quitter Bollène. Elle se réfugia au Pont-Saint-Esprit chez Madame sa mère, emmenant avec elle Madeleine Cluse, de Bouvante, sœur converse. Là, elle apprit avec une douleur qu'on ne pourrait décrire l'arrestation de ses compagnes, leur réclusion à Orange. Son cœur étain déchiré chaque fois qu'on lui apprenait la mort de quelqu'une d'entre elles. Souvent on lui a entendu dire qu'elle avait ressenti le coup de la mort autant de fois que le feu de la guillotine avait frappé une de ses enfants. Enfermée elle-même dans les prisons du Pont-Saint-Esprit, elle en supporta les incommodités avec une patience admirable encourageant par ses paroles et par ses exemples les religieuses détenues avec elle. La sœur Madeleine Cluse qui l'avait suivie, partagea ses peines et sa prison. Plus tard, quand la communauté se rétablit, elle se réunit nos sœurs. Elle nous disait souvent qu'elle regrettait beaucoup de n'être pas restée à Bollène avec les religieuses qui eurent le bonheur de donner leur vie pour la défense de la foi, au nombre desquelles était sa tant« Marie-Anne Beguin et sa sœur Marie Cluse.

Séparées de leur mère, nos sœurs restèrent fermes; inébranlables au milieu des épreuves. Leur position cependant était des plus tristes. Malgré un travail opiniâtre, elles avaient beaucoup de peine pour subvenir à leur frugale nourriture et à leur modeste entretien. Impossible de dire ce qu'elles souffrirent de la faim et du froid. Elles allaient le long des chemins, sur les montagnes, ramasser du bois et de la paille pour faire leur soupe et leur lessive; la privation où elles étaient des choses les plus nécessaires à la vie fut cause que plusieurs d'entre elles se décidèrent à rentrer dans leurs familles.

Celles de nos sœurs qui continuèrent à vivre en communauté attiraient sur elles les regards du divin Epoux par leur ferveur et leur générosité à supporter toutes les privations auxquelles leur triste et pénible position les soumettait. Le Seigneur qui les destinait presque toutes à la gloire du martyre, les préparait à cette grâce par les sacrifices de chaque jour ; elles menèrent cette vie pénible pendant dix-huit mois ne sachant quelle en serait la fin.

Dans la même ville se trouvaient aussi des religieuses de différents ordres, vivant les unes chez leurs parents, les autres réunies dans la même maison sous la conduite de Mme de Roquard, toutes servant le Seigneur conformément à leurs saintes règles et faisant l'édification des fidèles. Le 2 mai 1794, elles furent conduites dans les prisons d'Orange au nombre de quarante-deux [de 29 seulement ce jour-là, les autres suivirent à de courts intervalles]. On les mit sur des charrettes, et on les conduisit ainsi que des agneaux qu'on mène à la boucherie.

Le lendemain de leur entrée dans la prison, ne doutant plus qu'elles ne fussent destinées au martyre, elles se réunissent dans la même chambre pour concerter ensemble les exercices de leur préparation au sacrifice de leur vie pour la cause de la religion.

Leur première pensée fut de n'avoir qu'une seule règle et de suivre toutes le même plan de vie, puisqu'elles avaient la même destinée ; elles poussèrent l'esprit d'union jusqu'à mettre tout en commun, linge et assignats.

Les religieuses qu'on amena dans la suite s'associèrent à cette admirable confraternité.

Chaque jour ces saintes filles commençaient ensemble, dès cinq heures du matin, leurs pieux exercices par une heure de méditation ; après quoi elles récitaient l'office de la sainte Vierge et les prières de la messe ; à sept heures elles prenaient un peu de nourriture ; à huit heures elles disaient les litanies des saints. Quand cette prière attendrissante était achevée, chacune faisait à haute voix la confession de ses fautes et se disposait à la réception intentionnelle du saint Viatique.

Lorsque approchait l'heure où elles pouvaient être appelées au tribunal, elles disaient les prières de l'Extrême-onction, renouvelaient leurs vœux de baptême et de profession religieuse. Quelques-unes, dans le mouvement de leur ferveur, s'écriaient : « Oui, je suis religieuse, j'ai une grande consolation de l'être, je vous remercie, Seigneur, de m'avoir accordé cette grâce. »

A neuf heures, avait lieu ordinairement l'appel de celles qui devaient comparaître devant les juges. Toutes ne furent pas appelées le même jour. Celles qui voyaient différer leur sacrifice éprouvaient une grande peine, tant était vif leur désir de donner leur vie pour Jésus-Christ. Elles ne voyaient plus leurs compagnes parce qu'après leur condamnation elles étaient conduites dans la cour du Cirque[1], en attendant l'heure de l'exécution.

Tout le temps que durait l'audience, les religieuses de la prison se tenaient à genoux pour obtenir à celles qui étaient jugées les lumières du Saint-Esprit et la force nécessaire au moment d'un tel combat, elles imploraient le secours de la Sainte Vierge par la récitation de mille Ave Maria, disaient des litanies sans nombre, faisaient des prières sur les paroles de Jésus-Christ en croix ; enfin, il n'y avait presque point de relâche jusqu'au soir cinq heures où l'on reprenait l'office de la sainte Vierge.

Lorsqu'à six heures du soir, le bruit sinistre du tambour et les cris de Vive la Nation ! Vive la République ! retentissaient autour de la prison, annonçant le départ des victimes pour l'échafaud, les sœurs prosternées récitaient les prières des agonisants et de la recommandation de l'âme, et gardaient ensuite un profond silence, restant toujours à genoux, jusqu'à ce qu'elles présumassent que leurs compagnes avaient subi leur jugement. Elles se levaient alors, se félicitant réciproquement (surtout celles qui étaient de la même communauté), de ce que quelques-unes d'entre elles avaient été admises aux noces de l'agneau sans tache ; elles chantaient avec joie le Te Deum et le psaume Laudate Dominum omnes gentes ; et elles s'exhortaient mutuellement à mourir de même le lendemain.

Chaque victime de ce troupeau d'élite se préparait à son sacrifice par la plus grande pureté de conscience, s'accusant à la Supérieure de ses moindres fautes, gardant un silence continuel ; la prison était pour elles un cloître animé de la plus grande ferveur ; les exercices de la vie religieuse s'y faisaient avec une ponctualité parfaite.

Joignant à des exemples si touchants une sorte d'apostolat, ces saintes filles contribuèrent, autant que les saints prêtres prisonniers comme elles, à ramener au Seigneur les autres détenus et quelques ecclésiastiques, coupables d'avoir prêté le serment, ne tardèrent pas à se repentir, et à se jeter aux pieds des ministres fidèles qui recevaient leur rétractation. Quand ils voyaient nos saintes religieuses aller au martyre, ils se prosternaient devant elles, disant dans toute la vivacité du repentir le plus sincère : « Nous avons reconnu notre erreur et nous l'abjurons de nouveau à vos pieds. Pardon, mille fois pardon, du scandale que nous avons donné aux faibles ; nous voulons mourir comme vous, non seulement dans le sein de l'Eglise catholique, apostolique et romaine, mais encore pour la foi qu'elle professe. »

Le président du tribunal après avoir interrogé la victime qui lui était livrée, sur son nom, son âge, sa profession, lui demandait si elle avait prêté ou si elle voulait prêter le serment de Liberté-Egalité. Les religieuses comme les prêtres répondaient successivement : « Ce serment est contraire à ma conscience, mes principes religieux se le défendent. » Souvent le président insistait avec le grossier tutoiement alors en usage : « Tu es encore à temps de le prêter, et tu peux à ce prix être acquittée », et chacune de répondre : « Je ne puis sauver ma vie aux dépens de ma foi. » A cette réponse, l'arrêt de mort était aussitôt prononcé.

Toutes allèrent au supplice avec une céleste allégresse, et comme à un festin de noces, suivant l'expression d'un témoin oculaire. Le peuple grossier ne pouvait comprendre cette joie ; les gendarmes ne cessaient de répéter dans leur brutal langage : « Ces bougresses-là meurent toutes en riant. »

Il serait difficile de dire combien leur ministère fut utile aux prisonniers qui étaient jugés, condamnés et jetés avec elles dans la cour du Cirque en attendant l'heure du supplice. Elles encourageaient ceux que consternait l'approche de la mort, en leur faisant entrevoir des espérances plus pures et plus solides que celles de la terre. A ceux que la séparation de leurs familles et le préjudice causé à leurs enfants parla confiscation de leurs biens temporels affligeaient outre mesure, elles leur montraient dans le ciel des parents, des amis, des trésors impérissables. Le père d'une nombreuse famille était tombé dans une espèce de désespoir en pensant que ses enfants allaient devenir orphelins; une des religieuses, touchée de compassion, tombe à genoux, priant Dieu pour lui, reste pendant une heure les bras élevés vers le ciel ; sa prière fut exaucée. Le père de famille sentit renaître sa confiance en Dieu et marcha à l'échafaud avec une parfaite résignation.

 

[La relation publiée par M. d'Hesmivy d'Auribeau contient d'abord une partie des détails qu'on vient de lire : elle ajoute ce qui suit :]

 

Parmi les quarante-deux religieuses qui s'étaient vouées volontairement à la mort, par refus de prêter le serment de la liberté et de l'égalité, le divin Epoux en a choisi trente-deux. Les dix qui sont restées gémissent de n'avoir pu suivre leurs compagnes à la salle des noces. Les juges en ont absous cinq pour contenter le peuple; et le tribunal ayant été cassé, les cinq dernières n'ont point été jugées.

L'allégresse que l'on voyait peinte sur le visage de ces saintes filles après leur jugement, encourageait les autres condamnés, et leur faisait désirer la mort. Plusieurs même qui étaient accablés de soucis à cause de leurs femmes et de leurs enfants, en faisaient le sacrifice de tout leur cœur, par les douces et pieuses exhortations de ces religieuses. Elles ont une fois passé demi-heure en oraison, les bras en croix, pour obtenir les forces au père d'une nombreuse famille, qui se livrait au désespoir ; et elles eurent la consolation de l'accompagner au supplice dans les sentiments les plus chrétiens. — « Nous n'avons pu dire nos vêpres, observèrent quelques-unes, nous les chanterons au ciel. » — « Oh ! c'est trop beau, s'écriait la sœur des Anges Rocher ; peut-être que ceci ne sera pas vrai. » — La sœur converse, Saint-André-Sage, tomba la veille de sa mort dans une grande tristesse, et dit à une de ses compagnes : « Je crains que Dieu ne me juge pas digne du martyre. » — La sœur Saint-Bernard Roumillon faisait depuis longtemps une prière la sainte Vierge pour mourir le samedi ou un jour consacré par une de ses fêtes. Elle a obtenu cette grâce ayant été immolée le jour de Notre-Dame du Mont Carmel[2]. — La sœur du Saint-Sacrement Just, avait aussi fait la même demande à la sainte Vierge pendant quinze ans : elle eut le bonheur de consommer son sacrifice le même jour. « Nous avons, dit-elle en présence de ses gardes, nous avons plus d'obligations à nos juges, qu'à nos pères et mères, puisque ceux-ci ne nous ont donné qu'une vie temporelle, au lieu que nos juges nous procurent une vie éternelle. » L'un des gardes en fut attendri jusqu'aux larmes, et un paysan voulut lui toucher la main. L'amour divin dont son cœur était embrasé, la faisait s'écrier : « O quel bonheur ! Je suis bientôt au ciel. Je ne puis contenir les sentiments de ma joie ». — La sœur Sainte-Françoise, ursuline de Carpentras, disait la veille de son martyre : « Quel bonheur ! nous allons voir notre époux ! » — Quelques-unes éprouvèrent d'abord la terreur de la mort ; mais à mesure que le jour du supplice approchait, elles jouissaient du calme le plus parfait et de la paix la plus profonde. Des gens d'armes, témoins de leur constance, dirent à d'autres, d'un ton d'ironie et de blasphème : « Regardez, ces… meurent toutes en riant ». — « Qui es-tu ? » dit le juge à la sœur Thérèse Consolant. — « Je suis fille de l'Eglise. » — « Qui es-tu ? » dit-il à la sœur Claire du Bas. « Je suis religieuse et la serai jusqu'à la mort. »

La sœur Gertrude d'Alausier remercia ses juges du bonheur qu'ils lui procuraient, et baisa la guillotine en y montant. Le jour de sa mort, elle se trouva à son réveil, inondée d'une joie extraordinaire, qui lui fit répandre des larmes. « Je suis dans l'enthousiasme, disait-elle, je suis hors de moi-même ; il est sûr que je mourrai aujourd'hui ». Mais craignant ensuite que ce ne fût un effet d'orgueil, on fut obligé de la rassurer et de la tranquilliser. — La sœur Sainte-Pélagie Bès, après son jugement, sortit de sa poche une boîte de dragées, qu'elle distribua à toutes les condamnées comme elle : « Ce sont, ajoutait-elle, les bonbons de mes noces » ; et chacune les mangeait avec la joie la plus pure. — La sœur des Anges de Rocher était encore chez son père, voyant approcher le moment où on pouvait la mettre en arrestation, demanda conseil à ce vénérable vieillard âgé de 80 ans, pour savoir si elle devait se soustraire à cette peine : « Ma fille, lui répondit-il, il vous est facile de vous cacher ; mais auparavant, examinez bien devant Dieu si vous ne vous écartez pas de ses desseins adorables sur vous, dans le cas qu'il vous ait destinée pour être une des victimes qui doivent apaiser sa colère. Je vous dirai comme Mardochée à Esther : «Vous n'êtes pas sur le trône pour vous, mais pour votre peuple. » Un conseil si chrétien, inspiré de Dieu même, fit la plus vive impression sur l'esprit et le cœur de cette sainte fille. Elle part avec joie et, en récompense de sa fidélité, le Seigneur lui fit connaître intérieurement le jour de la consommation de son sacrifice. En effet, la veille de sa mort, à la prière du soir, elle demanda pardon à toutes ses compagnes, et leur recommanda instamment de bien prier pour elle, parce que le lendemain elle serait immolée. Après la lecture de sa sentence de mort, elle remercia avec une grande satisfaction ses juges, de ce qu'ils lui procuraient le bonheur d'aller se réunir aux saints Anges.

Martyrologe des trente-deux religieuses guillotinées à Orange.

6 juillet. Suzanne-Agathe DELOYE, bénédictine, sœur Marie-Rose, 53 ans.

7 juillet. Marie-Suzanne DE GAILLARD, sacramentine, sœur Iphigénie de Saint-Matthieu, 32 ans.

9 juillet. Marie-Anne DE GUILHERMIER, ursuline, sœur Sainte-Mélanie, 61 ans.

9 juillet. Marie-Anne DE ROCHER, ursuline, sœur des Anges, 39 ans.

10 juillet. Marie-Gertrude DERIPERT D'ALAUZIER, Ursuline, sœur Sainte-Sophie, 36 ans.

10 juillet. Sylvie-Agnès DE ROMILLON, ursuline, sœur Agnès de Jésus, 44 ans.

11 juillet. Rosalie-Clotilde BÈS, sacramentine, sœur Sainte-Pélagie, 42 ans.

11 juillet. Marie-Elisabeth PÉLISSIER, sacramentine, sœur Saint-Théotiste, 53 ans.

11 juillet. Marie-Claire BLANC, sacramentine, sœur Saint-Martin, 52 ans.

11 juillet, Marie-Marguerite d'ALBARÈDE, ursuline, sœur Sainte-Sophie, 54 ans.

12 juillet. Madeleine-Thérèse TALIEU, sacramentine, sœur Rose de Saint-Xavier, 48 ans.

12 juillet. Marie CLUSE, converse sacramentine, sœur du Bon Ange, 32 ans.

12 juillet. Marguerite DE JUSTAMOND, bernardine, sœur Saint-Henri, 48 ans.

12 juillet. Jeanne DE ROMILLON, ursuline, sœur Saint-Bernard, 41 ans.

13 juillet. Marie-Anastasie DE ROQUARD, ursuline, sœur Saint-Gervais, 45 ans.

13 juillet. Marie-Anne LAMBERT, ursuline, sœur Saint-François, 52 ans.

13 juillet. Marie-Anne DE PEYRE, converse ursuline, sœur Sainte-Françoise, 38 ans.

13 juillet. Elisabeth VERCHIÈRE, sacramentine, sœur Madeleine de la Mère de Dieu, 25 ans.

13 juillet. Thérèse-Marie FAURIE, sacramentine, sœur de l'Annonciation, 24 ans.

13 juillet. Anne-Andrée MINUTTE, sacramentine, sœur Saint-Alexis, 54 ans.

16 juillet. Marie-Rose DE GORDON, sacramentine, sœur Aimée de Jésus, 61 ans.

16 juillet. Marguerite-Thérèse CHARRANSOL, sacramentine, sœur Marie de Jésus, 36 ans.

16 juillet. Marie-Anne BEGUIN-ROYAL, converse sacramentine, sœur Saint-Joachim, 58 ans.

16 juillet. Marie-Anne Doux, converse ursuline, sœur Saint-Michel, 55 ans.

16 juillet. Marie-Rose LAYE, converse ursuline, sœur Saint-André, 65 ans.

16 juillet. Dorothée DE JUSTAMONT, ursuline, sœur Madeleine du Saint-Sacrement, 51 ans.

16 juillet. Madeleine DE JUSTAMONT, bernardine, sœur du Cœur de Marie, 40 ans.

26 juillet. Marie-Marguerite BONNET, sacramentine, sœur Saint-Augustin, 75 ans.

26 juillet. Marie-Madeleine DE JUSTAMONT, ursuline, sœur Catherine de Jésus, 70 ans.

26 juillet. Anne CARTIER, ursuline, sœur Saint-Basile, 61 ans.

26 juillet. Marie-Claire DU BAC, ursuline, sœur Claire de Sainte-Rosalie, 68 ans.

26 juillet. Elisabeth -Thérèse CONSOLIN, ursuline, sœur du Cœur de Jésus, 58 ans[3].


[1] . On appelait ainsi l'ancien théâtre romain.
[2] Cette religieuse fut exécutée le 12 juillet. Il y a quelques légères inexactitudes dans cette relation, ce qui s'explique par la hâte avec laquelle ce document fut transmis à M. d'Hesmivy qui y ajoute cette note : « On n'a pas pu savoir encore les noms de maison de toutes ; et l'on nous annonce le tableau précieux du jour propre au massacre de chaque religieuse. »
[3] LES MARTYRS : Recueil de pièces authentiques sur les martyrs depuis les origines du christianisme jusqu'au XX° siècle ; traduites et publiées par le R. P. Dom H. Leclercq, moine bénédictin de Saint-Michel de Farnborough.

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